Kent Hughes n’est pas du genre à frapper la table ou à multiplier les déclarations-chocs. Mais quand vient le temps de manœuvrer dans les eaux troubles du plafond salarial, il se transforme en véritable magicien.
Alors que le ciel semblait lui tomber sur la tête avec la signature monstre de Jackson LaCombe à 9 millions $ par saison pour huit ans à Anaheim, Hughes a répliqué avec une arme méconnue, sournoise et parfaitement légale : la convention de retraite.
Un mécanisme fiscal qui, bien utilisé, pourrait permettre à Lane Hutson de toucher plus que LaCombe ou Luke Hughes, tout en maintenant l’impact sur la masse salariale du CH sous les seuils critiques.
C’est un tour de force. Et surtout, un message envoyé à la LNH : le Canadien a beau évoluer dans un marché surtaxé, il dispose désormais d’outils pour concurrencer les clubs sans impôts sur le revenu comme Vegas, Dallas ou Tampa Bay.
Le dossier Lane Hutson avançait déjà sur une corde raide. La comparaison avec Luke Hughes (9 millions $ par saison pour 7 ans avec les Devils) servait de point d’ancrage pour le clan Hutson.
Mais voilà que Jackson LaCombe, un défenseur costaud de 6’2, 205 livres, repêché 39e au total en 2019, a signé un contrat de 72 millions $ sur 8 ans, établissant un nouveau standard chez les Ducks… et semant la panique dans le bureau de certains DG.
LaCombe a certes inscrit 43 points en 75 matchs l’an dernier, mais il n’a rien d’un phénomène. Il n’a pas le flair de Hutson, ni l’impact médiatique, ni l’aura d’une future étoile.
Il n’a même pas participé aux Mondiaux ni reçu d’invitation au camp olympique de USA Hockey. Et pourtant, son contrat équivaut à celui de Luke Hughes. Du coup, les comparaisons ont fusé : si LaCombe vaut 9M$, Hutson en vaut 10. Peut-être 11.
Mais Kent Hughes a calmé la tempête d’un seul geste. Il a sorti une clause obscure de la convention collective, utilisée jadis par John Tavares à Toronto : la convention de retraite.
Dans sa chronique « La Mise en échec » sur les ondes de TVA Sports, Renaud Lavoie a levé le voile sur le plan de Kent Hughes. Grâce à cette clause, un joueur peut déposer jusqu’à 50 % de son salaire dans une fiducie de retraite, et ainsi bénéficier d’un allègement fiscal majeur.
Concrètement, selon les simulations disponibles, un joueur américain comme Lane Hutson pourrait économiser jusqu’à 1,14 million $ par saison en impôts, en évoluant à Montréal plutôt qu’à New York, en Californie ou même au Minnesota.
Ce que ça veut dire? Qu’un contrat de 9 millions $ par année, structuré autour de cette convention, permettrait à Hutson de toucher net autant qu’un contrat de 10,1 ou 10,2 millions $ ailleurs. Une aubaine, autant pour le joueur que pour le club.
Et ce n’est pas un gadget théorique. Le CH aurait déjà avisé le clan Hutson qu’il entendait recourir à ce mécanisme.
En d’autres mots, Kent Hughes est prêt à égaler les offres les plus salées du marché… sans les inscrire en totalité sur sa masse salariale. Une forme de magie comptable parfaitement légale.
Pour Kent Hughes, la comparaison avec LaCombe n’a tout simplement pas lieu d’être. À ses yeux, c’est un écran de fumée. D’abord parce que LaCombe avait des leviers de négociation que Hutson n’a pas : droits d’arbitrage, admissibilité à une offre hostile, et autonomie complète à portée de main.
Le contrat de LaCombe achète six années complètes d’autonomie, soit les plus chères sur le marché. Hutson, de son côté, ne libérera que trois années UFA sur un contrat de huit ans.
En termes de comparaison contractuelle, on ne parle donc pas de la même nature d’engagement.
Hughes peut aussi souligner que LaCombe a été invité au camp d’orientation olympique, ce qui n’est pas le cas de Hutson. Et que malgré tout, le contrat offert à Hutson pourrait se traduire par un gain net supérieur.
Hughes démonte un par un les arguments du clan Hutson sans hausser le ton. Il s’appuie sur les faits. Sur la fiscalité. Sur la convention collective. Et surtout, sur sa maîtrise des leviers contractuels. Il joue la montre, sachant que la pression retombera dès que la saison commencera.
L’autre point central de ce « lapin fiscal », c’est l’impact sur la masse salariale. En temps normal, verser 9 millions $ à Lane Hutson aurait été un risque considérable pour un club comme le CH, qui devra négocier sous peu le contrat d'Ivan Demidov.
Mais avec la convention de retraite, le salaire net du joueur augmente, tandis que l’impact comptable reste identique à celui d’un contrat signé sans ce levier. La magie comptable permet au CH de préserver sa flexibilité à long terme, tout en récompensant équitablement son joyau offensif.
Cette approche pourrait devenir la signature de Kent Hughes. Il l’avait évoqué à mots couverts en juin dernier, lorsqu’il avait expliqué vouloir “construire une grille salariale intelligente, qui anticipe la croissance du plafond sans tomber dans l’excès”. Voilà qui est fait.
Pour Kent Hughes, le moment est idéal pour attaquer. Si Hutson connaît une saison de 75-80 points, tout sera perdu. Le joueur aura tous les arguments. Les comparaisons avec Quinn Hughes et Cale Makar se multiplieront. Et les 9 millions $ deviendront un minimum syndical.
Mais en négociant maintenant, Hughes peut encore jouer la carte du potentiel, de la progression à encadrer, du développement à long terme. Il peut offrir une stabilité financière au joueur, un pont vers une fortune future, tout en protégeant l’avenir du CH.
La clé, c’est de convaincre Hutson que son réel pouvoir d’achat net est plus grand à Montréal qu’ailleurs. C’est exactement ce que la convention de retraite permet de démontrer.
Ne l’oublions pas : Kent Hughes n’est pas un DG comme les autres. Il a passé sa vie à négocier des contrats de joueurs. Il connaît la convention collective comme sa poche. Il sait quels arguments font mouche chez les agents. Et il maîtrise les rouages fiscaux du Canada mieux que quiconque dans la LNH.
Ce n’est donc pas un hasard s’il a trouvé cette solution-là. Pas un hasard s’il a sorti “le lapin fiscal” de son chapeau au moment précis où les comparaisons avec LaCombe menaçaient de faire exploser les négos. Ce n’est pas de la chance. C’est de l’anticipation et de la stratégie pure.
Le dossier Hutson sera probablement étudié par tous les DG de la LNH dans les prochains mois. Car la convention de retraite, longtemps considérée comme un outil poussiéreux et risqué, redevient soudainement un levier puissant dans les marchés canadiens.
Toronto l’a utilisé avec John Tavares. Aujourd’hui, Montréal s’apprête à le faire avec Hutson. Peut-être qu’Edmonton, Ottawa, Winnipeg ou Calgary s’en inspireront aussi. Mais pour l’instant, c’est Kent Hughes qui mène le bal.
Il a pris un joueur talentueux mais encore très jeune, un contexte fiscal difficile, une pression médiatique étouffante, et il a tout transformé en opportunité. Un chef-d’œuvre de négociation silencieuse.
Et maintenant, la balle est dans le camp de Lane Hutson. Mais une chose est certaine : Kent Hughes n’est pas du tout dépassé par l’inflation des contrats. Au contraire. Il vient de montrer qu’il était en avance d’un coup.