Le témoignage de Réjean Tremblay sur la réalité des journalistes qui suivent le Canadien de Montréal sur la route est un véritable cri du cœur.
Loin des clichés glamour associés à la couverture d’une équipe professionnelle, il met en lumière une profession qui, selon lui, a perdu son essence et son identité.
« Imaginez-vous lever aux aurores, prendre les avions commerciaux, juste pour suivre l’équipe et obtenir une phrase tellement banale que tout le monde va finir par avoir, parce que les entrevues sont sur YouTube de toute façon. »
Tremblay décrit un quotidien exténuant où les journalistes doivent jongler avec des horaires impossibles.
« Si le morning skate est à 11 heures à Washington, le journaliste prend l’avion à 6 h 15 pour y être à temps. Il saute dans un taxi, arrive directement à la patinoire, avant même d’aller à l’hôtel.
Il regarde la séance d’entraînement, assiste aux points de presse, puis retourne à son hôtel, mais ne mange pas avec l’équipe, ne voyage pas avec elle. Il est coupé de tout. »
Cette déconnexion a pris une ampleur encore plus grande lorsqu’un vétéran du métier comme Danny Dubé a raconté son échange avec Carey Price à Vancouver.
Pour la première fois en carrière, il a pu s’entretenir plus de trois minutes avec l’ancien gardien étoile du Canadien.
« On a passé 20 minutes ensemble. On a parlé de la pluie et du beau temps. C'était la première fois dans toute ma carrière de diffusion des matchs que je passais plus de trois minutes avec Carey », a noté Dubé.
La conversation entre Dubé et Price a été révélatrice du mur qui sépare les journalistes des joueurs.
« Je lui ai dit : 'Tu sais, nous, Martin (McGuire) et moi, on garde quand même une certaine distance avec les joueurs pour notre objectivité'. Et il a dit : 'Oui, puis je pense qu'on l'a toujours apprécié.' »
Mais pour Dubé, cette distance est aussi une barrière empêchant les journalistes d’apprendre à connaître les athlètes qu’ils couvrent pendant des années.
En plus, il faut rappeler que Dubé est l'un des rares journalistes qui voyagent avec l’équipe.
Pourtant, malgré toutes ces années, Dubé n’avait jamais parlé plus de trois minutes avec Carey Price avant cette rencontre à Vancouver?
Je pensais que ça allait changer avec Chantal Machabée, mais ce n’est pas de sa faute, c’est juste comme ça. Et c’est d’une tristesse incroyable.
« Là, je prends la peine de te dire (à Carey Price) que ça a été un privilège de couvrir tous tes matchs, tant aux Olympiques, à l'international, tout ça...
Et puis qu'on a été chanceux de t'avoir à Montréal. Pour Martin et moi, ça a été un privilège de pouvoir suivre ta carrière d'aussi près. »
L’ancien analyste a senti que Price était surpris de ce commentaire, mais aussi touché. Ce simple échange a mis en évidence l’une des grandes ironies du métier : des années passées à couvrir un joueur, sans jamais vraiment le connaître.
Bien sûr, Danny Dubé et Martin McGuire gagnent bien plus que 125 à 150 000 $, les salaires des simples journalistes sur le "beat" du CH, mais qui ne voyagent pas avec l'équipe.
Pour Dubé et McGuire, on parle de salaires nettement plus élevés, et eux, ils voyagent avec l’équipe, en classe affaires, à bord du jet privé du Canadien.
Pourtant, même avec ces avantages, Dubé trouve la situation d’une tristesse inouïe. Maintenant, imaginez ce que c’est pour les journalistes sur le beat, ceux qui suivent l’équipe sur la route sans faire partie du voyage officiel.
Des gars comme Anthony Martineau, Simon-Olivier Lorange et d’autres, qui doivent enchaîner les vols commerciaux, courir d’un aéroport à l’autre, subir les retards et l’épuisement, pour au final obtenir des citations génériques que tout le monde partage.
Si même Dubé trouve ça difficile avec tous ses privilèges, comment ne pas avoir une pensée pour ces journalistes qui doivent composer avec encore plus de contraintes et encore moins d’accès aux joueurs ?”
Pourtant, ces sacrifices professionnels ne se traduisent pas nécessairement par une reconnaissance accrue. Réjean Tremblay souligne la précarité et l’isolement de ces journalistes qui, malgré un salaire confortable estimé entre 125 000 et 150 000 dollars annuellement, doivent accepter des conditions de travail de plus en plus difficiles.
« C’est une job de fou. Ils sont condamnés à livrer des one-liners écrits par quelqu’un d’autre. Le gars réussit à tout préparer. C’est acceptable, mais pour un journaliste, c’est une forme d’appauvrissement. »
L’ancien chroniqueur déplore également la disparition progressive du contact humain et des relations privilégiées entre journalistes et joueurs.
« Ils sont coupés du plaisir aussi. Les grandes histoires du hockey ne se racontent plus sur le beat, elles se racontent entre eux, entre journalistes. »
On avait pourtant cru que l’arrivée de Chantal Machabée allait renverser la vapeur et rapprocher les médias des joueurs.
Mais comme le souligne Dubé, le problème est systémique. Ce n’est pas la faute d’une personne, c’est un système en place qui empêche le vrai contact entre joueurs et journalistes.
Pour Tremblay, cette transformation du journalisme sportif est symptomatique d’une industrie en mutation, où l’immédiateté et l’accessibilité numérique ont relégué au second plan le rôle traditionnel du journaliste de terrain.
« Avant, un gars qui suivait l’équipe vivait des moments uniques avec des joueurs, des coachs, des individus exceptionnels. Aujourd’hui, ils voyagent à part, mangent à part, et doivent se contenter de miettes d’information, déjà disponibles sur les réseaux sociaux. »
Il conclut sur une note amère :
« Ils passent 30 ans de leur vie à côtoyer des gens extraordinaires, mais ils sont réduits à récupérer des citations génériques. Je suis désolé pour eux. »
Ce témoignage poignant de Réjean Tremblay et Danny Dubé vient rappeler que derrière les articles publiés chaque jour sur le Canadien de Montréal, il y a des journalistes dont le métier est devenu un parcours du combattant, entre fatigue, solitude et désillusion.