Il y a des silences qui parlent plus fort que les mots.
Dimanche soir, sur le plateau de Tout le monde en parle, Kevin Parent a offert à la nation québécoise l’un de ces moments où le malaise s’installe, s’épaissit, et refuse de se dissiper.
L’auteur-compositeur-interprète gaspésien, autrefois chéri pour ses chansons poétiques et sa voix rauque empreinte d’humanité, s’est retrouvé figé, muet, pris au piège de ses contradictions, incapable de répondre à une question pourtant simple : as-tu déjà mis "ta graine" dans le verre d’une fille à son insu?
Ce moment surréaliste, amplifié par les lumières du studio et la nervosité palpable de l’invité, aurait pu n’être qu’une séquence gênante d’un homme pris dans ses souvenirs flous.
Mais l’effet a été tout autre. Il a agi comme une onde de choc. Parce qu’au-delà de l’individu, ce qu’a exposé Kevin Parent, c’est un comportement — le “grainage de verres” — qui, selon des dizaines de témoignages reçus depuis la diffusion de l’émission, est en fait bien plus courant qu’on ne veut le croire… particulièrement dans les vestiaires du hockey junior et universitaire.
Et c’est là que le malaise devient une alarme.
Dans les jours suivant l’entrevue, les courriels ont afflué. Des témoignages anonymes, parfois bouleversants. Des ex-joueurs, des ex-managers, des ex-blessés du silence, qui affirment que le geste de Kevin Parent n’est pas un “accident de parcours” isolé ou une simple “niaiserie backstage” de musicien déchaîné.
Non. C’est une tradition. Un rituel. Un “running gag” perpétué, normalisé, banalisé dans les loges… mais aussi dans les chambres des joueurs, dans les bus, dans les partys d’initiation des équipes de hockey.
Certains l’appellent “le baptême du grainage”. Et ça commence très tôt.
Un joueur universitaire nous a écrit :
« Ce que Kevin Parent décrit, j’ai vu ça au moins cinq fois dans mon année recrue. Des vétérans qui mettaient leur pénis dans des verres, des bouteilles, des brocs. Ils riaient, les recrues devaient boire. C’était vu comme “faire partie de l’équipe”. »
Un autre, ex-joueur junior majeur :
« Il y avait un gars chez nous qui avait pour habitude de plonger ses couilles dans les cannettes de Gatorade qu’il offrait aux recrues. Si tu t’en rendais compte, t’étais un “snitch”. Si tu le buvais sans rien dire, t’étais “un vrai de vrai”. »
On croirait à une caricature sordide, à un mauvais sketch du Bye Bye — d’ailleurs, cette même revue avait déjà moqué Kevin Parent en 2020 avec une “limonade” spéciale brassée à son organe — mais c’est plus qu’un gag. C’est un système. Un code de silence. Une dynamique de pouvoir, d’humiliation, de domination masculine toxique.
Et si Kevin Parent n’a pas su quoi répondre à la question de Guy A. Lepage, c’est peut-être parce qu’au fond de lui, il n’a jamais perçu ce geste comme si grave.
Parce que dans son entourage d’hommes, dans ses souvenirs de jeunesse et de tournée, c’était ça, le délire entre gars. Il ne réalisait pas que l’époque avait changé. Ou alors, il refuse de le reconnaître.
Mais le monde, lui, ne peut plus faire semblant.
L’erreur de Kevin Parent, ce n’est pas seulement d’avoir “mal répondu”. C’est d’avoir mis à nu, malgré lui, la ligne floue entre les “niaiseries de vestiaire” et l’agression. Entre la rigolade d’adolescents attardés… et la violence d’un geste imposé sans consentement.
Et ce que les témoignages ont révélé, c’est que cette culture du “grainage” est en réalité un écho très clair de ce qui se passe encore, aujourd’hui, dans de nombreux cercles sportifs masculins, surtout dans le hockey.
On pense à toutes les victimes qui ont eu le courage de dénoncer les rituels humiliants de son initiation junior. À l’ancien gardien Kevin Poulin, qui s’était confié sur les “tests de virilité” imposés aux nouveaux venus.
On pense aussi aux révélations accablantes de Daniel Carcillo et d'anciens joueurs de la LNH, qui exposait la brutalité psychologique de certains entraînements de hockey junior au Québec.
Ce ne sont pas des anecdotes. C’est une culture.
Quand on parle d’initiations, on imagine souvent des scènes de bizutage un peu grotesques, du type “les gars se déguisent en filles”, ou “ils doivent chanter nus dans l’autobus”.
Mais la réalité va beaucoup plus loin. Dans certains cas, on parle de pénétration simulée avec des objets, d’agressions déguisées en “jeux”, de blessures physiques, et de traumatismes psychologiques durables.
Le “grainage” est un des éléments les plus pervers, parce qu’il passe sous le radar. C’est censé faire rire. C’est “innocent”. Mais il symbolise tout ce qui cloche : un manque total de respect du corps de l’autre, une objectification des coéquipiers ou des femmes, une culture de l’humiliation comme ciment de groupe.
Et ce sont souvent ceux qui osent briser ce code — les recrues qui refusent, qui dénoncent, qui s’insurgent — qui sont mis à l’écart, moqués, traités de faibles ou de “princesses”.
Dans son entrevue, Kevin Parent n’a pas su clarifier les faits. Il a patiné. Hésité. Bafouillé. Mais surtout, il n’a pas su s’excuser de manière claire, ni reconnaître la gravité potentielle du geste.
Il a préféré parler de “contexte”, de “distinctions”, de “nuances”. Comme si tout cela n’était qu’un malentendu d’époque. Mais il a oublié que les victimes, elles, n’ont pas besoin de nuances. Elles ont besoin de reconnaissance.
Dimanche soir, pendant que Kevin Parent tentait de s'évader du trou de ses justifications laborieuses, deux autres invités partageaient le plateau de Tout le monde en parle pour une occasion bien plus noble : Danny Dubé et Martin McGuire célébraient leur 1500e match ensemble comme duo radiophonique sur les ondes du 98.5 FM.
Un moment de fierté. Une rare longévité dans le paysage médiatique québécois. Mais ce qui devait être une fête a rapidement pris une tournure malaisante.
Car pendant que Kevin Parent enchaînait les hésitations sur le “grainage de verres”, Danny Dubé, pourtant reconnu pour son calme et son assurance, semblait clairement inconfortable
. Il souriait nerveusement, mais détournait souvent le regard. Il regardait vers le sol. Il fuyait l’écran. À plusieurs reprises, les caméras l’ont montré en train de fixer la table, les épaules tendues. Ce n’était pas un malaise passager. C’était un profond désaccord silencieux.
Et quand on connaît l’histoire de Danny Dubé, on comprend pourquoi.
Ancien entraîneur dans la LHJMQ, Dubé a vu de près les dérives des initiations dans le hockey junior. Il sait très bien ce que ces pratiques laissent derrière elles : des joueurs brisés, humiliés, détruits à l’intérieur, qui traînent ces blessures invisibles pendant des années.
Il a lui-même été appelé à témoigner dans certaines enquêtes internes sur les rites d’initiation abusifs. Il a porté ces histoires avec gravité, parfois avec honte, mais jamais avec complaisance.
Alors l’écouter Kevin Parent minimiser son geste, chercher des nuances, et refuser de reconnaître la portée symbolique d’un “grainage” — en présence d’un homme qui a vu les ravages de ce genre de comportement — relevait presque de la provocation.
Danny Dubé et Kevin Parent n’étaient tout simplement pas au même party. Le premier représentait la dignité d’un sport qui tente de se réformer. Le second ramenait l’audience dans une époque que plusieurs veulent enterrer.
Et cette tension, elle se lisait dans les yeux baissés de Dubé. C’était un non-verbal qui en disait long. Lui aussi savait que ce qui se disait ce soir-là, c’était tout sauf anodin.
Et surtout, Parent a manqué l’occasion de transformer son passage à la télévision en un acte de responsabilisation. De dire : “Oui, j’ai fait ça. C’était déplacé. Et aujourd’hui, je réalise à quel point c’était mal.”
Mais non. Il a laissé le doute s’installer. Et avec lui, l’impression que ce qu’il a fait, ce que tant d’hommes font dans l’ombre des loges et des vestiaires, n’est peut-être pas si grave. Juste des “niaiseries entre gars”.
Et c’est précisément pour ça que c’est grave.
Le Québec est à une époque-charnière. Depuis #moiaussi, depuis les révélations sur Rozon, Salvail, Morin, Nevsky, Lacroix et tant d’autres, on aurait pu croire que les comportements d’un autre temps avaient été relégués au passé. Mais ce serait naïf.
Parce que tant que dans nos arénas, nos équipes universitaires, nos groupes de musiciens ou nos loges artistiques, les jeunes hommes continuent d’apprendre que leur masculinité passe par l’humiliation des autres, on n’a rien réglé.
Kevin Parent n’a pas été un monstre dimanche soir. Il a été un reflet. Un reflet flou, mal à l’aise, maladroit, mais révélateur. Il nous a tendu un miroir, et ce qu’on y a vu, c’est l’image trouble d’un système entier à revoir.
Pas seulement dans la musique.
Mais dans le hockey, surtout.
Parce que si on ne nomme pas les choses, si on ne brise pas le silence, si on continue de trouver ça “comique”, alors le “grainage” ne sera jamais une simple rumeur dans un bar.
Il sera le symptôme d’un sport qui refuse de grandir.
Et ça, c’est intolérable.