L'incomptéhension grandit à Montréal.
Alors que Martin St-Louis multiplie les justifications floues pour expliquer pourquoi Ivan Demidov ne joue que 10 minutes dans un match, son meilleur buteur, Cole Caufield, vient sans le vouloir de le placer dans une position impossible.
En voulant complimenter son jeune coéquipier, Caufield a révélé au grand jour ce que tout le monde sait déjà : le monde du hockey est obsédé par Demidov.
Trevor Zegras, les amis de Caufield, les entraîneurs adverses, les partisans… tout le monde parle du prodige russe, de son intelligence de jeu et de sa capacité à créer l’impossible.
Tout le monde, sauf Martin St-Louis. Le coach, lui, s’obstine à ramener le débat sur la « constance », le « jeu sans la rondelle » et les « habitudes ».
Mais quand un joueur domine les conversations à travers la LNH, quand même les vedettes adverses s’extasient sur lui, comment justifier qu’il joue moins de onze minutes?
Après la défaite du Canadien contre les Flyers, Cole Caufield a traversé les couloirs du Centre Bell pour aller saluer son ami Trevor Zegras, le héros de la fusillade. Et la première chose dont Zegras a voulu lui parler, ce n’était pas du match, ni du but vainqueur : c’était d’Ivan Demidov.
« Il m’a dit : “Chaque fois qu’il a la rondelle, il se passe quelque chose.” », a raconté Caufield.
« Il met les défenseurs sur les talons, et ça, c’est très difficile à faire dans cette ligue. Et réussir à le faire à chaque présence, c’est spécial. Il est capable de voir la glace et de créer quelque chose à partir de rien. »
Zegras n’est pas le seul à lui poser la question. Caufield l’a admis : depuis le début de la saison, tous ses amis ne parlent que de Demidov.
« Tous mes chums veulent savoir comment il est. Ils sont obsédés par lui et par sa game. », a confié le tireur d’élite du CH.
Et à chaque fois qu’on lui demande : “Est-ce qu’il est vraiment aussi bon que ça?”, la réponse est la même :
« Oui. Oui, il l’est. »
Cette simple phrase vaut toutes les analyses du monde. Quand un joueur comme Caufield, qui a grandi avec Zegras dans le programme américain et qui a côtoyé les plus grands jeunes talents de sa génération, dit que Demidov est spécial, on doit le croire.
La ligue entière a les yeux rivés sur lui.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 12 points en 14 matchs, meneur chez les recrues de la LNH, un point devant Matthew Schaefer, le premier choix au total du dernier repêchage. Mais ce n’est pas juste la production. C’est la façon dont il produit.
Depuis que Martin St-Louis l’a placé sur la première unité du jeu de puissance, le Canadien convertit 53,9 % de ses avantages numériques.
C’est le meilleur taux de la LNH sur cette période. Sept buts en 13 occasions, dont un signé Demidov et trois autres sur des passes primaires venant directement de lui.
Et pourtant, il n'a joué que dix minutes et demie lors du dernier match.
Comment expliquer ça? Comment justifier qu’un joueur qui transforme littéralement le power play du CH en machine à marquer soit utilisé comme un joueur de soutien?
Pendant que Zegras et Caufield s’extasient sur son talent, pendant que Lane Hutson explique en détail comment Demidov “sort proprement de la pression avec ses hanches” et “rend tout le monde meilleur”, Martin St-Louis, lui, répète la même chose : il doit “jouer mieux sans la rondelle”.
« Je ne sais pas combien de temps il a la rondelle sur son bâton dans un match », a expliqué St-Louis.
« Il joue 16 ou 17 minutes, mais il contrôle la rondelle pendant peut-être une minute, une minute quinze. Il reste donc 15 minutes où il doit s’adapter. »
C’est ce genre de discours qui fait grincer des dents à Montréal. Parce qu’il sonne faux. Premièrement, Demidov a joué 16 et 17 minutes seulement deux fois depuis le début de la saison.
Oui, un joueur doit apprendre à jouer sans la rondelle. Oui, la LNH est une ligue de structure. Mais réduire le rôle de Demidov à cause de ça, c’est passer à côté de l’évidence : ce kid est un générateur d’offensive.
Même St-Louis l’admet à demi-mot :
« Demi est élite dans ce domaine à un très jeune âge. Certains joueurs atteignent ce niveau plus tard, lui, il l’a déjà. »
Alors pourquoi le freiner? Pourquoi lui imposer la même grille de lecture qu’un joueur moyen? Quand tu as un Mozart du hockey dans ton équipe, tu ne lui demandes pas de “jouer la bonne note”, tu le laisses écrire la symphonie.
Ce qui rend la situation encore plus absurde, c’est que Demidov ne se plaint jamais. Même quand il joue 10 minutes, même quand il se fait ignorer en prolongation, il reste positif.
« Je m’adapte encore, je ne suis pas à 100 % confortable dans cette ligue, j’ai besoin de travailler sur des détails à cinq contre cinq », a-t-il dit humblement mercredi.
C’est ce genre de maturité qui impressionne tout le monde dans le vestiaire.
Et pourtant, St-Louis continue de parler de son “alarm”, ce fameux sens de la transition entre l’attaque et la défense :
« Je pense qu’il est très engagé dans ce sens, et c’est encourageant. Avoir une alarme, c’est plus important qu’avoir tous les bons détails. Ça montre que tu veux faire le travail. »
Mais à force de l’enfermer dans un cadre technique, St-Louis oublie la base : Demidov est un artiste. Et chaque minute qu’on lui retire, c’est une minute de magie perdue.
Quand on regarde les séquences décrites dans The Athletic, c’est évident : Demidov fait des choses que personne d’autre ne peut faire.
Contre Ottawa, il a échappé à Nick Jensen avec une double feinte sur ses carres, utilisant une maîtrise de ses appuis digne d’un patineur olympique. Lane Hutson, pourtant lui-même un phénomène de mobilité, l’a dit sans détour :
« C’était malade. La façon dont il s’en sort, avec ses hanches, c’est unique. »
Contre Philadelphie, il a trompé Dan Vladar d’un tir instantané après avoir feinté une passe vers Nick Suzuki, le même Suzuki qu’il avait déjà servi sur un plateau deux fois plus tôt dans le match.
Caufield, pourtant habitué aux buts spectaculaires, a réagi avec incrédulité :
« Je me suis dit : “Holy s—!” C’est comme si c’était rien pour lui. »
Et malgré tout ça, Martin St-Louis lui a donné 10 minutes et 27 secondes de glace hier.
C’est là que le commentaire de Caufield prend tout son poids. Sans le vouloir, il a mis en lumière le décalage total entre la perception du vestiaire et celle de l’entraîneur.
Quand Zegras, Hutson, Suzuki et Caufield parlent de Demidov, c’est toujours avec admiration. Quand St-Louis en parle, c’est avec distance, prudence, presque méfiance. Comme s’il voulait surtout ne pas trop en dire.
Et c’est ce silence qui parle le plus fort. Car pendant que la ligue tombe sous le charme du jeune Russe, St-Louis semble incapable de l’aimer pleinement.
Le problème, c’est peut-être humain. Martin St-Louis est un ancien joueur sous-estimé, un petit homme qui a bâti sa carrière sur le travail, la rigueur et la discipline.
Il a dû se battre pour chaque minute, chaque contrat. Et voilà qu’il se retrouve à diriger un prodige naturel, un kid qui, à 19 ans, fait des choses qu’il a mis dix ans à maîtriser.
Cela crée une tension invisible. St-Louis veut façonner Demidov à son image (travailleur, patient, structuré) alors que Demidov, lui, joue par instinct, par flair, par génie. Deux mondes qui s’entrechoquent.
Mais si St-Louis ne s’adapte pas, il risque de briser le joyau qu’il est censé polir.
Quand Cole Caufield raconte que “tous ses amis veulent savoir comment il est”, il ne parle pas d’un simple espoir prometteur. Il parle d’un phénomène. D’un joueur que toute la LNH observe déjà comme le prochain grand nom russe. Et c’est à Montréal qu’il joue.
Le problème, c’est qu’il n’y joue pas assez.
Demidov a déjà changé la dynamique du Canadien. Le power play fonctionne, l’équipe marque plus, les partisans vibrent à nouveau. Il a ramené la créativité et la magie au Centre Bell. Et pourtant, son propre entraîneur continue de l’utiliser comme s’il fallait le “protéger”.
Il n’y a plus d’excuses. Quand Trevor Zegras te dit qu’un joueur est spécial, quand Cole Caufield le confirme, quand Lane Hutson le décrit comme un génie du patinage, tu le fais jouer. Point final.
Cole Caufield a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Ivan Demidov n’est pas un bon jeune joueur : c’est déjà une star. Une star que Martin St-Louis retient par peur, par égo ou par incompréhension.
Mais à ce stade, ce n’est plus un choix tactique. C’est une faute de gestion.
Parce que si même Trevor Zegras, à des centaines de kilomètres, s’émerveille de Demidov, le monde du hockey sait déjà ce que Montréal a entre les mains.
Et pendant que tout le monde célèbre le génie, Martin St-Louis, lui, continue de l’enfermer sur le banc.
