Imaginez un instant. Vous donnez dix ans de votre vie à aider un homme brisé. Vous l’élevez, le protégez, vous gérez ses contrats gratuitement, vous ouvrez les portes que personne d’autre ne lui aurait jamais ouvertes.
Puis, un jour, vous vous réveillez et découvrez qu’un documentaire vous peint comme un voleur. Sans appel. Sans droit de réplique. Sans pitié.
C’est ce que vit Gilles Proulx, l’un des plus grands monuments radiophoniques du Québec, accusé publiquement dans la série documentaire Être un Hilton, diffusée sur Crave et guidée par Marie-Claude Savard.
Et aujourd’hui, cette série est nominée aux prix Gémeaux dans la catégorie "Meilleure série documentaire: histoire, politique et société".
Une gifle pour la justice… et pour la vérité...
C’est incompréhensible. Alors que Gilles Proulx a entamé une poursuite judiciaire, alors que plusieurs éléments de la série sont en contradiction directe avec les faits, alors que des proches d’Alex Hilton dénoncent une manipulation, une réécriture volontaire de la vérité… voilà que l’industrie se permet d’honorer cette production.
Au lieu de faire preuve de prudence, d’attendre l’issue du litige, les Gémeaux, censés reconnaître l’excellence, donnent leur bénédiction à ce que plusieurs appellent un procès médiatique déguisé.
Une série qui falsifie les faits ? Poser la question, c'est y répondre.
La force de ce documentaire repose sur une image bien précise : celle d’un Alex Hilton détruit, en chute libre, et trahi par ceux qui l’entouraient.
Le nom de Gilles Proulx est prononcé dans des circonstances ambiguës, accusatoires, sans qu’il ait jamais eu l’occasion d’expliquer sa version des faits.
Voici ce que Gilles Proulx a déclaré en entrevue sur les ondes de Hockey30 :
« J’ai été son gérant pendant dix ans. Je n’ai jamais pris un sou. Je l’ai traité comme un frère. C’est un geste de bon samaritain qu’on est en train de transformer en crime. »
Proulx affirme avoir voulu aider Hilton à se reconstruire, à remonter sur le ring. Il raconte avoir investi de son temps, de son argent, et même payé des coupe-vents à l’effigie de la famille Hilton, sans jamais attendre un retour financier.
Et pourtant, le documentaire laisse planer l’idée qu'il aurait été complice d’un stratagème financier douteux.
Selon les documents judiciaires déposés par Gilles Proulx dans sa poursuite en diffamation pour 140 000 dollars, une partie essentielle de l’histoire a été volontairement coupée dans la série Être un Hilton.
L’argent auquel on fait référence, environ 90 000 $, provenait des derniers gains de carrière d’Alex Hilton. Plutôt que d’être détourné par Proulx, comme le prétend le documentaire, cette somme aurait été confiée à un homme d’affaires du nom de Jean-Léon Gélinas.
Ce dernier, décrit par Proulx comme un intermédiaire financier crédible à l’époque, aurait proposé un rendement alléchant via un placement à haut risque.
C’est alors qu’entre en scène Victor Lacroix, personnage clé d’un scandale financier majeur ayant éclaté au début des années 1990. Lacroix était connu pour ses opérations dans des paradis fiscaux, notamment aux Bahamas, où il promettait des rendements de 12 %.
Dans l’entrevue accordée à Hockey30, Gilles Proulx admet avoir fait preuve de naïveté :
« Oui, j’ai cru à leurs promesses. Oui, je voulais que l’argent d’Alex fructifie plutôt que de dormir dans un compte d’épargne. Mais je n’ai jamais vu une cenne. Et surtout, je n’ai jamais pris une cenne. »
Proulx affirme même avoir voulu limiter les retraits d’Alex Hilton à 300 $ par semaine à l’origine, pour l’aider à se stabiliser financièrement. Ce sont les conseils de Gélinas, soutenus par l’aura de Lacroix, qui auraient influencé le choix du placement offshore.
Le scandale Victor Lacroix est bien réel. Il a éclaboussé de nombreux investisseurs québécois dans les années 1990, et des dizaines de milliers de dollars ont été perdus dans des schémas financiers illégaux à l’étranger.
Le lien entre Lacroix et Gélinas est évoqué dans la documentation légale, et jamais Gilles Proulx n’a été poursuivi ou accusé officiellement dans ce dossier.
Aucun document bancaire, aucune preuve matérielle ne vient appuyer les accusations portées contre lui dans Être un Hilton.
« Je voulais que la Caisse populaire limite ses retraits à 300 $ par semaine. Mais Gélinas a dit : on va chercher du 12 % dans une banque des Bahamas. J’étais naïf, oui. Mais voleur ? Non. »
Mais ce n’est pas tout. Gilles Proulx ne dénonce pas seulement le contenu du documentaire : il dénonce la Marie-Claude Savard pour ce qu’il qualifie de proximité intime et inacceptable avec son sujet, Alex Hilton.
« Elle faisait le ménage chez la famille Hilton pendant les Fêtes, elle était partout, même dans la chambre. »
« Quand tu dors chez ton sujet, tu n’es plus une journaliste. Tu es une actrice dans ton propre scénario. »
Cette relation, pour le moins intime, jette une lumière troublante sur l’objectivité du projet. La réalisatrice s’est-elle trop impliquée ? A-t-elle sacrifié l’éthique au profit de la dramaturgie ?
Proulx, lui, n’a aucun doute :
« Elle voulait un documentaire ? Elle a produit une téléréalité minable. »
Gilles Proulx décrit Alex Hilton comme un homme fragile, instable, influençable.
« Il a eu des dépendances, il a dormi sur des bancs publics. Et au lieu de l’élever, elle l’a utilisé comme tremplin pour faire parler d’elle. »
Il affirme que plusieurs personnes proches de Hilton, notamment Denis Sicotte, qui l’a soutenu dans sa sobriété, ont tenté de corriger le tir, d’informer la production de la vraie histoire, mais ont été ignorées.
« Denis l’a sauvé de l’alcool, jour après jour. Il a envoyé plein de messages à la production pour dire la vérité. Ils l’ont zappé. »
Ce Denis Sicotte, dont on parle peu mais dont la présence aurait été cruciale, est présenté par Gilles Proulx comme l’ange gardien d’Alex Hilton : celui qui l’a aidé jour après jour à rester sobre.
Pourtant, malgré ce rôle salutaire, Sicotte a été presque entièrement coupé du montage de la série, réduit à une trentaine de secondes à l’écran.
Ce geste, selon Proulx, n’est pas un oubli mineur : il illustre clairement l’emploi délibéré de raccourcis narratifs visant à fonder un récit sensationnaliste, et non une histoire vraie de rédemption.
Ce qui choque encore plus Gilles Proulx, c’est le silence Bell, qui diffuse la série via Crave, tout en se vantant d’être le bastion du journalisme éthique.
Même les journalistes de La Presse, selon Proulx, ont enquêté sur les allégations… pour finalement conclure qu’il n’y avait rien.
« Ils ont appelé à une douzaine d’endroits. Ils ont gratté. Et ils ont conclu que ce n’était pas moi. Mais le mal était fait. »
Depuis la diffusion de l’entrevue-choc de Gilles Proulx sur Hockey30, Marie-Claude Savard n’a toujours pas répondu. Elle se réfugie derrière le fait que le dossier est maintenant judiciarisé, et refuse tout commentaire.
Mais le silence, dans ce cas, est un aveu d’impuissance. Et peut-être même de culpabilité morale.
Gilles Proulx, lui, n’a pas dit son dernier mot.
« Elle m’a mis dans un ring sans gants. Mais j’en ai vu d’autres. Elle a voulu faire un punch ? Elle vient de se faire knocker. »
Ce qui rend cette affaire encore plus intolérable, c’est que la série Être un Hilton, malgré toutes les zones grises, les conflits d’intérêt, les atteintes à la réputation, est maintenant en lice pour un prix Gémeaux.
Autrement dit : on récompense la déchéance instrumentalisée d’un ex-boxeur. On honore le lynchage médiatique d’un monument radiophonique. Et on tourne le dos à toute forme de justice et d’honnêteté.
Cette saga doit nous forcer à réfléchir. À quoi servent les prix télévisuels s’ils couronnent des œuvres contestées, manipulées, dénoncées par des proches ?
Quand une série documentaire met en scène des victimes bien réelles, encore vivantes, qui contestent chaque minute de ce qu’on leur fait dire, on doit avoir le courage d’appuyer sur pause.
Être un Hilton est peut-être une bonne histoire. Mais ce n’est pas la vraie. Et dans une société qui prétend défendre la vérité, la justice, la rigueur et la dignité… on ne devrait jamais nommer ce genre de fiction parmi les meilleures œuvres de l’année.
Nos pensées vont à Gilles Proulx, à tous ceux qui ont été salis sans possibilité de se défendre, et à ce qui reste du journalisme de conscience au Québec.
Cette fois, les Gémeaux auront peut-être un trophée pour ce mensonge… mais la honte, elle, restera gravée pour longtemps.