Arber Xhekaj avait la voix cassée, les épaules décontractées, et ce petit sourire en coin qui trahissait une nuit plus longue que prévue.
« Excusez ma voix. Beaucoup de karaoké, hier », a-t-il lancé à la blague, devant une mêlée de journalistes aussi surpris que ravis.
On était loin, très loin, de l’ambiance militaire et étouffante que Martin St-Louis avait vécue jadis à Tremblant sous les ordres d’un certain Guy Boucher.
Ce camp à Québec, avec ses enfants dans les gradins, ses rondes de golf au Golf de la Faune, ses soupers d’équipe, ses moments de cohésion… c’est tout un message.
Martin St-Louis vient de mettre Guy Boucher dans sa petite poche arrière...
Car derrière les blagues, les sourires, et la camaraderie affichée, se cache une opération menée de main de maître par Martin St-Louis.
Québec n’est pas un hasard. Québec, c’est une réponse.
En s’installant au Centre Vidéotron, avec les partisans en vacances scolaires, les fans gonflés à bloc, les joueurs qui chantent et s’entraînent devant le public, Martin St-Louis reprogramme l’ADN de ce qu’une retraite d’équipe devrait être. Et... il élimine Boucher une seconde fois.
Pour comprendre l’ampleur du geste, il faut revenir quatorze ans en arrière. Nous sommes en 2011. Martin St-Louis est alors un vétéran respecté dans la LNH, un futur membre du Temple de la renommée et surtout, un exemple de rigueur et de dévouement.
L'entraîneur-chef du Lightning à ce moment-là? Guy Boucher. Un Québécois comme lui. Un intellectuel du hockey et un stratège réputé. Mais aussi un contrôlant, pour ne pas dire un général aux méthodes militaires.
À l’automne 2011, après un match préparatoire au Centre Bell, le Lightning ne rentre pas directement en Floride. Boucher impose une retraite fermée à Mont-Tremblant.
L’objectif est, en apparence, noble : souder l’équipe, créer un esprit de corps. Mais la méthode est brutale. Séances d’entraînement infernales. Des push-ups à répétition. Des séries de sprints, puis encore des push-ups. Des cris. Des humiliations. Les joueurs, éreintés, n’osent pas parler. Mais un homme ne tolère pas cette culture de la terreur : Martin St-Louis.
C’est lui qui, en coulisses, va frapper à la porte du directeur général Steve Yzerman. Et ce n’est pas une plainte de tous les jours. C’est une demande de rupture. Un ultimatum.
« Guy Boucher détruit ce vestiaire. Si tu veux que l’équipe avance, il doit partir. »
Le message était fort et politique. Surtout, c’était assumé. Quelques mois plus tard, Boucher est congédié. Et dans le milieu, tout le monde comprend que Martin St-Louis est celui qui a appuyé sur le bouton.
Et maintenant, en 2025, St-Louis est lui-même entraîneur-chef du Canadien de Montréal.
Il est en contrôle total. C’est son club. Sa vision. Sa méthode.
Et au moment précis où le CH doit choisir un nouveau responsable de l’avantage numérique, après le départ d’Alex Burrows, une idée s’impose : Guy Boucher.
Après tout, on parle d'un expert. Un ancien de la maison. Il était libre et disponible. Et plusieurs dans l’organisation, y compris dans les médias, avançaient son nom.
Mais Martin St-Louis a refusé. Il refuse même de le considérer. Il décide plutôt de prendre en charge lui-même l’attaque à cinq.
Et surtout : il ramène son équipe en retraite fermée. Pas à Tremblant. Pas là où Boucher l’avait humilié. Pas là où il avait craqué. Non. Cette fois, c’est Québec... pour le fun... et non pour un "boot camp".
Et c’est là que le génie cruel de Martin St-Louis prend tout son sens.
Il n’a pas besoin de dire le nom de Guy Boucher. Il n’a pas besoin de l’attaquer frontalement. Il l’efface. Il réécrit l’histoire. Il réinvente la retraite fermée. Il transforme ce qui fut pour lui un traumatisme en un moment de bonheur collectif.
En 2011, la retraite de Tremblant avait brisé son lien avec Guy Boucher.
En 2025, la retraite de Québec vient l’enterrer pour de bon.
Là où Boucher brisait ses soldats à Tremblant, St-Louis les élève à Québec. Là où on poussait jusqu’à l’épuisement, on célèbre maintenant la cohésion. On chante. On rit. On prend un verre entre coéquipiers. On se protège sur la glace, puis on se serre les coudes à la table du souper. C’est du leadership moderne alors que Boucher était, est et sera toujours un dinosaure.
Martin St-Louis s’est permis de rire publiquement en évoquant l’état de ses joueurs au lendemain de leur soirée d’équipe à Québec.
« C’était bon qu’il y ait des fans dans les gradins pour les encourager, ça les a aidés à travailler un peu plus fort. Ils en avaient besoin aujourd’hui! », a-t-il lancé avec un sourire en coin, devant les journalistes présents au Centre Vidéotron, laissant entendre que certains avaient profité de leur congé pour se coucher un peu plus tard qu’à l’habitude.
Le ton était clair : c’était permis, c’était voulu, et ce relâchement faisait partie du plan.
« Je trouve que le voyage à Québec est arrivé à un très bon moment. De garder l’énergie et l’enthousiasme pendant trois semaines durant le camp d’entraînement, ça peut être difficile. Donc ça aide quand tu as une force externe. »
Dans le hockey moderne, la psychologie a remplacé la terreur. Et Martin St-Louis incarne cette rupture. Il a vécu les humiliations. Il les a absorbées. Et maintenant, il construit un monde où elles n’existent plus.
Mais attention : cette révolution douce, cette atmosphère de camp scout à Québec, doit rapporter des résultats dès cette année. Sinon, on va encore dire que St-Louis était un coach trop soft... pour des gagnants...
Parce que Tremblant, en 2011, a marqué la fin d’un cycle.
Et Québec, en 2025, marque la naissance d’un empire.
Guy Boucher est l’exemple à ne pas suivre.Le fantôme qu’on enterre une fois pour toutes.
Si cette équipe gagne, si elle explose, si elle fait un bon bout de chemin en séries, on se souviendra de Québec 2025 comme du moment charnière.
Et si elle échoue?
On reparlera peut-être de Boucher.
Mais à voir l’énergie de Xhekaj, l’enthousiasme de Demidov, le plaisir évident dans ce camp, on sent que quelque chose de fort est en train de naître.
Et cette chose-là, c’est le CH de Martin St-Louis.
Pas celui de Boucher.
Pas celui de l’humiliation.
Celui du renouveau.