Congédiement: Cogeco abandonne ses femmes

Congédiement: Cogeco abandonne ses femmes

Par David Garel le 2025-08-08

Le 98,5 FM est en train de sombrer.

Mais ce naufrage ne s’explique pas uniquement par des chiffres d’audience ou des erreurs stratégiques. Il est aussi, et surtout, le résultat d’une reprise en main brutale du pouvoir par un vieux boys’ club radio-canadien, mené dans l’ombre par des figures comme Éric Trottier, ancien patron de La Presse et architecte silencieux du « Country Club » qui contrôle désormais l’antenne du 98,5.

Et à qui fait-on payer cette reconquête masculine? Aux femmes. Deux femmes brillantes, populaires, et parfaitement qualifiées viennent d’être sacrifiées par le 98,5 FM : Geneviève Pettersen et Élisabeth Crête.

Deux femmes éjectées de la grille horaire pendant que Philippe Cantin, figure d’un autre temps, incapable de performer en ondes, est reconduit sans aucune remise en question.

Une programmation honteuse.

La nouvelle grille automnale du 98,5 FM est tombée. Et le choc a été brutal.

Aucune mention de Geneviève Pettersen, qui animait l’émission Ça va aller loin en début de soirée. Aucune mention non plus d’Élisabeth Crête, qui était pourtant la tête d’affiche du week-end, et qui assurait l’intérim de l’émission du retour pendant l’été.

Selon les informations de la presse, Crête a appris son éviction en lisant le communiqué officiel, comme une vulgaire figurante.

C’est non seulement humiliant, c’est surtout révélateur. Ces femmes n’ont même pas eu droit à un remerciement public.

Face à la colère suscitée par l’exclusion d’Élisabeth Crête et de Geneviève Pettersen, Julie-Christine Gagnon, directrice des programmes du 98,5 FM, s’est réfugiée derrière des formules creuses, incapables de défendre ouvertement les décisions de la station.

Interrogée par La Presse, elle s’est contentée de dire que l’équipe « travaillait à finaliser les détails » de la programmation du week-end, sans confirmer le retour d’Élisabeth Crête… alors que cette dernière venait d’apprendre son éviction par voie de communiqué.

Pire encore, Gagnon a tenté de sauver la face en affirmant que des « discussions étaient en cours » avec Geneviève Pettersen, tout en glissant que l’animatrice pourrait être réaffectée ailleurs dans l’empire Cogeco, comme au réseau Rythme.

Un transfert maquillé en opportunité, mais qui sent surtout le recyclage stratégique pour ne pas assumer le congédiement.

 Bref, aucune explication directe, aucune responsabilité assumée, seulement des non-dits, des euphémismes et des détours sémantiques pour faire oublier que deux femmes influentes viennent de se faire sortir sans procès.

Pendant ce temps, Patrick Lagacé, Philippe Cantin, Luc Ferrandez, Mario Langlois, Denis Lévesque et compagnie, les hommes du circuit fermé médiatique masculin, reviennent pour une autre saison, comme si de rien n’était.

Le cas de Philippe Cantin est à lui seul un affront à l’intelligence des auditeurs. Personne n’écoute Cantin. Ses performances à l’heure de pointe du retour sont catastrophiques.

Même à l’interne, les employés s’en plaignent. Il n’a ni rythme, ni charisme, ni capacité à créer une chimie avec le public. Et pourtant, il reste.

Pourquoi? Parce que Patrick Lagacé l’a recommandé.

Et c’est ici que le cercle vicieux se resserre. Lagacé recommande Cantin, Cantin s’écroule, Lagacé blâme Cantin pour son propre effondrement.

C’est le jeu des trônes version radio, mais sans dignité. Et pendant que les egos masculins s’écharpent dans les coulisses, les femmes talentueuses sont tassées, ignorées, mises sur la touche.

Geneviève Pettersen était une voix originale, franche, capable de prendre des risques éditoriaux tout en gardant un ton humain et accessible.

Elle s’était imposée rapidement, s’était bâti une audience fidèle, et avait démontré une capacité rare à tenir tête aux figures dominantes du réseau. Peut-être trop rare, justement.

Il faut se poser la question : est-ce que Pettersen paye le prix de son indépendance d’esprit? Est-ce qu’elle a été mise à l’écart parce qu'elle est en couple avec Pierre-Yves McSween, lui aussi victime injuste du nettoyage orchestré par le boys’ club plus tôt cet automne?

Les silences autour de son avenir sont assourdissants. Et les « discussions en cours » évoquées par Cogeco sentent le placard doré, pas la relance ambitieuse.

Le cas Élisabeth Crête est encore plus insultant. Dans un été marqué par l’absence de Philippe Cantin, c’est elle qui a "tenu la baraque".

Elle a assuré le retour à la maison avec professionnalisme, souplesse, écoute. Elle a été meilleure que Cantin à tous les niveaux. Et pourtant, elle est écartée, sans raison valable, sans message de remerciement.

Pourquoi? Parce qu’elle ne fait pas partie du club. Le club des hommes. Le club de ceux qui se couvrent entre eux, qui se protègent malgré les échecs, qui considèrent la radio comme leur pré carré.

Dans tout ce chaos, un autre départ passe presque inaperçu : celui de Dave Morissette. Le seul homme du réseau qui mettait un peu de couleur, de spontanéité, de chaleur dans la programmation.

Lui aussi a pris la porte. Officiellement, son contrat était arrivé à échéance. Officieusement, il dérangeait. Il ne cadrait pas dans l’univers inodore, incolore et beige du 98,5 post-Arcand.

Morissette, c’était le dernier rempart contre l’uniformisation. Son départ confirme que le 98,5 FM se transforme en machine grise, élitiste, figée.

Au cœur de cette transformation, un homme : Éric Trottier. Ancien directeur de l’information de La Presse, il est aujourd’hui un acteur de l’ombre, mais ô combien influent dans les coulisses du 98,5.

Trottier est l’un des artisans de ce qu’on appelle le Country Club : une structure non officielle mais bien réelle de journalistes, d’anciens collègues et d’alliés de La Presse qui se cooptent mutuellement et verrouillent les postes stratégiques.

C’est ce club qui a poussé pour l’arrivée de Lagacé. C’est ce club qui a appuyé Cantin. C’est ce club qui ne veut pas de femmes trop indépendantes, trop fortes, trop populaires. Ce qu’ils veulent, c’est la paix du roi. Et tout ce qui menace l’entre-soi est rapidement neutralisé.

Et pendant ce temps, la station s’effondre. Patrick Lagacé attire 58 100 auditeurs en matinale, contre 63 700 pour Patrick Masbourian à ICI Première. La station a perdu son trône. Le 98,5 FM n’est plus la radio numéro 1 à Montréal.

Et pourtant, rien ne change. Tous les animateurs sont reconduits. Le communiqué de Cogeco est même triomphal :

« Le 98,5 FM est fier de présenter sa nouvelle programmation. »

Fier de quoi? Fier d’avoir perdu sa couronne? Fier d’avoir écarté les femmes? Fier d’avoir ignoré les signaux d’alarme?

Les propos de Pierre Martineau, vice-président des stations parlées chez Cogeco, sont d’une désolante lucidité. Il reconnaît que la station a perdu des auditeurs, mais il parle de « petits ajustements », de « détails à améliorer ». Il n’y aura pas de bouleversements, dit-il. Pas de sanctions. Pas de véritables remises en question.

Ce qu’il y a là, c’est un entêtement aveugle. Une incapacité à reconnaître que le public a tourné la page. Que la recette ne fonctionne plus. Que le règne de Lagacé est un échec.

Lagacé n’est pas le seul responsable. Mais il est le symptôme le plus visible d’un système en décomposition.

Pendant que le 98,5 FM patauge, ICI Première triomphe. Et qui retrouve-t-on dans cette réussite? Pierre-Yves McSween, congédié honteusement du 98,5. L’un des rares talents qui osait parler avec un ton tranchant mais juste... et surtout divertissant.

McSween a été sacrifié pour des raisons politiques. Il avait osé prendre trop de place et demander qu'il soit co-animateur avec Cantin l'ennuyeux.

Résultat : il a été éliminé. Et maintenant, c’est lui qui redonne du souffle à la matinale de Masbourian, lui qui attire le public avec ses chroniques éclairantes.

C’est le plus grand pied de nez de la décennie. McSween et Masbourian ont détrôné Lagacé et Cantin. Et tout cela, en refusant de jouer dans la cour fermée du boys’ club.

Ce que Cogeco ne comprend pas, c’est que le public a changé. Il ne veut plus des mêmes figures figées. Il ne veut plus des conflits d’ego. Il veut de la rigueur, de la fraîcheur, de la diversité.

Et surtout : il ne pardonne pas l’injustice. Il ne pardonne pas que deux femmes compétentes et populaires soient sacrifiées, pendant que des hommes déconnectés et dépassés soient reconduits.

Le 98,5 FM est devenu une caricature de lui-même. Une station vieillissante, arrogante, dirigée par des hommes qui refusent de voir la réalité en face. Une station où les femmes sont sacrifiées, où les talents sont écrasés, où les échecs sont récompensés.

La purge des femmes à l’automne 2025 restera comme un moment de honte historique dans le monde radiophonique québécois.

Dans les coulisses, tout le monde connaît la mécanique. À chaque crise de crédibilité, le 98,5 FM applique la stratégie du brouillard.

On noie les décisions dans un flot de justifications techniques : réajustement de grille, échéance de contrat, réalignement stratégique.

Mais quand une femme apprend son sort en lisant un communiqué? Quand une autre se fait reléguer au statut de collaboratrice éventuelle dans un autre réseau? Ce n’est plus une question de stratégie, c’est un manque de respect flagrant.

Et pendant que Julie-Christine Gagnon joue la carte de la modération en public, les décisions sont prises ailleurs, dans les cercles du Country Club, par ceux qui ne prennent jamais la parole publiquement, mais qui placent leurs pions sans rendre de comptes.

C’est la règle d’or de ce cartel médiatique : les femmes sont remplaçables, les hommes sont intouchables.

Ce qui se passe au 98,5 FM n’est pas une simple erreur de programmation. C’est un acte de domination, planifié, exécuté et assumé par les cercles d’influence masculins de la radio québécoise.

C’est une leçon envoyée à toutes les femmes qui voudraient encore déranger, innover, prendre de la place. Le message est sans pitié : si vous n’êtes pas dans le cercle, vous serez éjectées, humiliées, puis effacées. 

Et la direction, pendant ce temps, cachée derrière ses communiqués et ses excuses molles.

Mais attention. Le mépris, l’arrogance et la manipulation qui ont marqué cette rentrée radiophonique restent imprimés dans la mémoire collective. 

Et s’il y a une chose que le Country Club n’a pas encore compris, c’est que le public n’est plus naïf. 

Le vent tourne. Et il ne souffle plus dans leur direction...