Congédiement de John Tortorella: Matvei Michkov brise le silence

Congédiement de John Tortorella: Matvei Michkov brise le silence

Par Nicolas Pérusse le 2025-08-09

À Philadelphie, l’histoire entre John Tortorella et Matvei Michkov n’a jamais été simple. On a voulu y voir un vieux coach de la vieille école, allergique aux jeunes vedettes, incapable de composer avec l’égo et la créativité d’un talent générationnel.

On a même cru que leur relation tendue avait précipité le congédiement de Tortorella. Mais derrière les rumeurs et les clichés, il y a une vérité plus nuancée.

Parce que si Michkov a parfois été laissé dans les gradins ou engueulé sur le banc, il a aussi été protégé, soutenu, et même pris sous l’aile d’un entraîneur qu’on croyait incapable de douceur.

Dès son premier match dans la LNH, le jeune Russe a découvert un Tortorella inattendu.

Devant tout le vestiaire, il avait présenté Michkov et Jett Luchanko comme “l’avenir de l’organisation” et exigé que l’équipe se batte pour eux. Ce soir-là, il ne s’agissait pas de crier ou d’humilier, mais de rassurer. D’enlever le poids des attentes pour leur permettre de simplement jouer.

Cela n’a pas empêché les éclats. Les deux hommes ont eu leurs prises de bec, parfois en plein match. Mais ces confrontations se terminaient toujours de la même façon : une discussion franche dans le vestiaire, des excuses échangées, et la volonté de repartir ensemble dans la même direction. Tortorella savait que Michkov avait du caractère. Michkov savait que Tortorella avait la même trempe.

Le problème, c’est que dans la LNH, les nuances se perdent vite. Et la réputation colle à la peau. À l’extérieur, on ne voyait que l’entraîneur colérique, allergique au talent non conformiste. Cette image, Ivan Demidov n’a pas hésité à l’alimenter. Le prodige du Canadien a publiquement affirmé qu’il préférait les entraîneurs pédagogues aux techniciens qui hurlent. Il a cité Martin St-Louis comme modèle, laissant deviner que l’école Tortorella ne faisait pas partie de ses inspirations.

Ce décalage entre perception et réalité a pesé lourd dans l’avenir de Torts. Surtout lorsque Philadelphie s’est mis à rêver de Trevor Zegras. Un joueur spectaculaire, mais imprévisible. L’organisation savait qu’avec Tortorella derrière le banc, la rencontre risquait d’exploser. On craignait un nouveau bras de fer, cette fois avec un artiste encore plus flamboyant que Michkov.

Ironiquement, même à Montréal, Martin St-Louis a lui aussi fermé la porte à Zegras… et à Michkov. Pas par peur du conflit, mais par conviction. Pour St-Louis, ces joueurs symbolisent une culture qui ne cadre pas avec celle qu’il veut instaurer. Il préfère miser sur des guerriers prêts à bloquer des tirs et à manger des coups que sur des vedettes virales. Une philosophie qui, à sa façon, rejoint celle de Tortorella… mais sans la réputation encombrante.

Car c’est là toute la différence. St-Louis bénéficie d’une image d’entraîneur moderne, ouvert, proche de ses joueurs, même lorsqu’il impose des standards exigeants. Tortorella, lui, traîne deux décennies d’histoires, de conférences de presse incendiaires, de mises au rancart spectaculaires. Peu importe ses efforts pour s’adoucir, ses premières impressions laissent encore une trace indélébile.

Et la tension avec Daniel Brière n’a rien arrangé. Les deux hommes ne partageaient pas la même vision, et cette fracture est devenue publique au printemps dernier. Après une défaite humiliante contre Toronto, Tortorella a assumé la faute… tout en laissant entendre qu’il n’avait plus envie de coacher ce type d’équipe.

Dans une ville comme Philadelphie, ce genre de déclaration est perçu comme un abandon. Et dans les bureaux, c’est reçu comme un aveu de rupture.

Brière, déjà fragilisé par des décisions contestées, voyait son vestiaire s’effriter. Les vétérans semblaient résignés, les jeunes déboussolés. Les partisans perdaient patience. Dans ce contexte, garder un entraîneur polarisant devenait intenable.

Ce qui rend l’histoire encore plus ironique, c’est que Michkov, celui qu’on croyait sacrifié par Tortorella, a été l’un de ses plus ardents défenseurs après son départ. Il a parlé de respect mutuel, d’émotions fortes mais honnêtes, de conversations franches. Des mots rares dans la bouche d’un joueur de 20 ans qui aurait eu toutes les raisons de régler ses comptes.

Mais dans le hockey, la perception l’emporte souvent sur la réalité. Et la perception, à Philadelphie, était simple : Tortorella était un frein à l’évolution du projet. Les rumeurs de l’arrivée de Zegras ont servi de déclencheur, même si elles n’ont jamais abouti. L’organisation voulait tourner la page, éviter un nouveau feuilleton et protéger un vestiaire déjà fragile.

Pendant ce temps, à Montréal, Demidov s’installe comme le visage de la nouvelle génération. Son discours sur l’importance d’un coaching calme et pédagogique trouve un écho chez St-Louis. Loin du banc de Philadelphie, la rivalité implicite avec Michkov continue d’alimenter les conversations. Deux philosophies, deux destins, et un point commun : leur chemin s’est croisé, directement ou indirectement, dans l’ombre de John Tortorella.

Aujourd’hui, le constat est implacable. Peu importe les gestes pour se rapprocher de ses jeunes, peu importe les témoignages favorables, John Tortorella n’a pas réussi à effacer l’étiquette collée sur lui. Dans un marché sous tension, avec un DG qui jouait sa survie, cette réputation valait une condamnation.

Il reste maintenant à voir ce que fera Michkov sans celui qui, malgré ses colères, lui a donné un espace pour grandir. Et si, dans quelques années, il se surprendra à appliquer à son tour certaines des leçons de Torts.

Parce qu’au fond, derrière les cris et les regards durs, il y avait peut-être plus de respect qu’on ne l’aura jamais admis.