C’est la victoire la plus amère de la carrière médiatique de Pierre-Karl Péladeau. Celle qu’il rêvait d’obtenir depuis vingt ans : faire plier Radio-Canada. La faire plier publiquement. La faire reculer. La faire rougir de honte.
Et il y est arrivé.
Après le scandale dévastateur de l’entrevue commanditée à Bonsoir bonsoir!, où Marie-Claude Barrette, en remplacement de Jean-Philippe Wauthier, vendait littéralement une marque de cosmétiques payée par nos taxes, Radio-Canada a reculé.
Devant le malaise général, la critique publique, la dénonciation des syndicats internes et la colère politique qui grondait à Ottawa et à Québec, la société d’État a plié les genoux.
Radio-Canada a annoncé qu’elle mettait fin à la pratique des entrevues commanditées.
À peine quelques jours après que le scandale éclate, Marie-Claude Barrette est discrètement évacuée de l’antenne de Radio-Canada.
Officiellement, on parle d’« engagements personnels prévus de longue date ». Officieusement, tout le monde dans l’industrie comprend ce qui vient de se passer : le couperet est tombé.
L’animatrice a peut-être servi d'"agneau sacrifié" dans une tempête provoquée ailleurs, mais elle portait trop de symboles à la fois.
Une animatrice issue du privé, entrée à Radio-Canada comme remplaçante estivale, prise dans une controverse de commandite… C’en était trop pour une société d’État en pleine tourmente. Il fallait envoyer un signal.
Et ce signal, c’est Pierre-Karl Péladeau lui-même qui l’a déclenché.
Pas directement. Pas officiellement. Mais dans les coulisses, tout le monde le sait : c’est son acharnement, ses dénonciations répétées, ses interventions médiatiques et politiques qui ont forcé Radio-Canada à reculer. Et dans ce recul, il fallait un sacrifice. Une tête qui tombe.
Et c’est celle de Marie-Claude Barrette qui a roulé. Ironique, quand on sait qu’elle est l’une des rares à être passée des plateaux de TVA à ceux de Radio-Canada, avec l’appui discret… de plusieurs anciens collègues.
Son éviction expéditive a été ressentie comme une manœuvre de crise de réputation. Pas de déclaration officielle. Pas de retour prévu.
Jean-Sébastien Girard a pris la relève dans un silence gêné, comme si le scandale n’avait jamais eu lieu. Comme si le malaise n’avait jamais traversé le plateau.
Mais dans les corridors de Radio-Canada, les murs ont des oreilles. Et plusieurs chuchotent déjà que Péladeau a eu sa revanche personnelle.
Quand on y pense, le sort de Marie-Claude Barrette est d’une ironie cruelle. Celle qui animait Deux filles le matin, pendant 21 ans, celle qui a longtemps été l’une des figures numéro un de TVA, a vu son balado ("Ouvre ton jeu") devenir l'un des plus populaires au Québec… avant de revenir brièvement par la porte estivale de Radio-Canada.
Mais ce retour s’est soldé par un crash public. Ce n’est pas une erreur de débutante. Ce n’est pas un oubli technique. C’est un placement de produit commandité par la principale commanditaire de son propre site web. Une copine. Une cliente. Une partenaire. Appelle-la comme tu veux : Karine Joncas était chez elle, sur ce plateau.
Et Marie-Claude Barrette ? Elle lui a déroulé le tapis rouge… avec nos taxes.
Ce n’est pas seulement une bourde. C’est une récidive.
Déjà à TVA, son départ avait été qualifié de « tumultueux ». Il y avait des tensions, des critiques sur le ton, sur le contenu, sur la direction éditoriale. Plusieurs sources affirmaient qu’elle était devenue un poids politique pour le réseau.
Et voilà qu’après avoir quitté Québecor dans des circonstances nébuleuses, elle revient à Radio-Canada pour finalement se faire flusher après un scandale commandité par ses propres réseaux.
Le karma médiatique est parfois chirurgical.
C’est plus qu’un simple départ : c’est une fermeture de boucle en direct.
Elle avait quitté TVA dans l’embarras.
Elle quitte Radio-Canada dans le malaise.
Et Pierre-Karl Péladeau, en spectateur silencieux, se frotte les mains.
Il n’a pas simplement dénoncé une entorse à la déontologie. Il a renvoyé symboliquement l’une des leurs, en pleine antenne.
Un coup de maître cruel. Mais diablement efficace.
Marie-Claude Barrette l’a mal pris. Très mal.
Quand TVA a mis fin à son émission vedette en 2023, Marie-Claude Barrette ne s’en est jamais vraiment remise.
Officiellement, on parlait de changements de programmation. Officieusement, tout le monde savait qu’elle n’était plus en odeur de sainteté auprès de Pierre-Karl Péladeau et de la direction de Québecor Contenu.
Elle avait quitté avec les larmes aux yeux, publiant un long message empreint de nostalgie et de douleur sur Facebook. Une année marquante, disait-elle. Une cassure.
Mais le plus cruel, c’est que le même Péladeau l’a “congédiée” une seconde fois, cette fois… par personne interposée.
Car soyons clairs : même si Radio-Canada prétend que son départ de Bonsoir bonsoir! est « volontaire » et que d’autres engagements l’attendaient, personne ne croit vraiment à cette fable.
Elle a été éjectée en silence, dans la gêne, après avoir commis une erreur stratégique qui a donné à Pierre-Karl la meilleure arme de sa croisade contre Radio-Canada depuis dix ans.
Deux chaînes. Deux départs. Deux humiliations. Même bourreau.
Pour Pierre-Karl Péladeau, c’est un triomphe symbolique. Il le dit depuis des années : Radio-Canada s’enrichit avec nos impôts tout en faussant le marché.
Elle se donne une image de diffuseur neutre, mais elle pratique l’intégration commerciale à peine voilée. Elle joue à la fois le rôle du juge et de la partie.
Mais cette fois, ce n’est pas un simple discours. C’est une véritable victoire. Officielle. Publique. Radio-Canada reconnaît qu’elle est allée trop loin.
Et pourtant, à TVA Sports, personne ne sourit.
Parce que pendant que Pierre-Karl Péladeau s’obsède à détruire Radio-Canada, sa propre maison s’effondre. TVA Sports vit ses derniers instants. L’incertitude plane. Le personnel tremble.
Les droits de diffusion du Canadien s’envolent. RDS s’apprête à redevenir le diffuseur unique francophone du Canadien de Montréal et ses séries éliminatoires en français.
Bell est en train de reconquérir le trône. Et dans les coulisses, plusieurs employés se demandent si le boss ne devrait pas concentrer ses efforts à sauver ce qui peut être sauvé de TVA Sports plutôt que de continuer sa guerre obsessionnelle contre Radio-Canada.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une obsession. Depuis toujours, Pierre-Karl Péladeau voit en Radio-Canada un symbole de tout ce qu’il déteste : les subventions, le favoritisme, le manque de compétition. Mais à force de vouloir démonter la maison d’en face, il a oublié de réparer son propre toit.
Dans son entrevue tendue avec Patrice Roy, Péladeau n’a jamais dit que TVA Sports allait fermer. Mais tout dans son langage l’indiquait. Les pertes. L’absence de renouvellement. Le recul stratégique. Et surtout : la phrase qui a fait trembler toute l’industrie.
« Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités. »
C’est dit. Et c’est maintenant clair : même si Pierre-Karl Péladeau remporte quelques escarmouches contre Radio-Canada, il perd la guerre à l’intérieur de son propre empire.
Et cette victoire contre les placements de produits ne changera rien au fait que dès 2026-2027, les matchs du CH (même le samedi soir) et les séries éliminatoires retourneront à RDS, que Pierre Houde et Marc Denis seront de retour, que Félix Séguin, Patrick Lalime, Jean-Charles Lajoie et compagnie seront probablement poussés vers la sortie, et que TVA Sports, tout simplement, ne survivra pas à l’année suivante.
Alors oui, c’est une victoire pour Pierre-Karl Péladeau. Mais ce n’est pas une victoire pour TVA Sports. Et ce n’est surtout pas une victoire pour les employés qui perdront leur emploi, pour les journalistes qui vivent dans l’incertitude, pour les réalisateurs, les caméramans, les recherchistes, les adjoints, les équipes de montage, les téléphonistes.
Ils ne demandent pas à ce qu’on détruise Radio-Canada. Ils demandent qu’on les sauve, eux. Et pour le moment, Pierre-Karl Péladeau ne les entend pas.
Parce qu’il est trop occupé à célébrer une victoire qu’il croit historique. Alors qu’elle pourrait bien être, au fond, un dernier tour d’honneur avant l’effondrement final.