Matt Grzelcyk a tout pour être un défenseur apprécié par ses pairs : un patin fluide, une relance rapide, une vision du jeu aiguisée et, surtout, une production offensive qui a explosé l’an dernier avec les Penguins de Pittsburgh.
Pourtant, malgré une saison de 40 points, dont 39 passes, et une présence constante sur le top 4 défensif, il est toujours sans contrat plus d’un mois après l’ouverture du marché des joueurs autonomes.
Ce silence des directeurs généraux est éloquent. Dans une Ligue nationale de hockey où l’image de la défense est désormais façonnée par la muraille des Panthers de la Floride, deux fois champions de suite, les profils comme celui de Grzelcyk (5 pieds 10, 181 livres), orientation offensive marquée, physique limité, n’inspirent pas confiance quand vient le temps de batailler pour la Coupe Stanley.
Et c’est là que Kent Hughes, directeur général du Canadien de Montréal, doit sourire. Non pas parce qu’il rêve de signer Grzelcyk (au contraire, il ne veut pas d’un autre petit défenseur offensif à droite de sa brigade), mais parce que la saga de l’ex-Bruin lui fournit un levier de négociation en or dans le dossier brûlant de Lane Hutson.
La réticence envers les défenseurs de petite taille n’est pas nouvelle, mais elle a pris un virage net depuis les dernières séries éliminatoires.
Les Panthers ont remporté deux championnats consécutifs avec une défense massive, robuste, sans pitié le long des bandes et devant le filet. Des gars comme Seth Jones, Aaron Ekblad, Gustav Forsling, Niko Mikkola et Dmitry Kulikov incarnent ce modèle : gros gabarit, portée de bâton, capacité à encaisser et distribuer les coups.
À l’inverse, chaque printemps, les exceptions au gabarit idéal se retrouvent scrutées à la loupe… et souvent critiquées.
Grzelcyk n’échappe pas à ce phénomène. Même avec ses 40 points, la perception qu’il peut être neutralisé physiquement en séries pèse lourd dans les bureaux des DG.
Cette vision du marché, Hughes le connaît par cœur. Et il sait très bien que si un vétéran expérimenté comme Grzelcyk, productif et reconnu dans le vestiaire, ne trouve pas preneur à un prix raisonnable, un jeune prodige comme Lane Hutson ne pourra pas ignorer ce climat lorsqu’il demandera 10 millions de dollars par saison.
Hutson sort d’une saison historique. Avec 66 points en saison régulière, il a pulvérisé le record de Chris Chelios pour un défenseur recrue du Canadien.
Sur l’avantage numérique, il a métamorphosé l’attaque montréalaise, devenant une menace constante avec sa mobilité et sa vision périphérique.
Mais voilà : la saison régulière ne raconte pas toute l’histoire. En séries, Hutson a été exposé. Certes, il a inscrit 5 points en 4 matchs, un rendement offensif impressionnant, mais défensivement, ses lacunes sont apparues au grand jour.
Coincé le long des bandes, bousculé devant le filet, dépassé physiquement sur certaines séquences clés… le film de ses présences contre Washington a fait le tour des bureaux de recruteurs et d’agents.
C’est exactement le type de séquences que Hughes pourra mettre en avant pour dire à Sean Coffey, l’agent de Hutson :
« Ton client est exceptionnel, mais pas complet. En séries, on ne peut pas encore lui donner le mandat de stopper les gros trios adverses. Alors 10 ou 11 millions ? Pas maintenant. »
Sean Coffey, justement, n’est pas un inconnu. Il travaille pour Quartexx, l’agence fondée à l’origine par… Kent Hughes lui-même.
Autrement dit, Hughes sait exactement quelles sont ses méthodes. Coffey est ambitieux, agressif dans ses demandes, et il vise gros. Très gros.
Dans le cas Hutson, sa stratégie semble claire : attendre que Connor Bedard, Logan Cooley, Adam Fantilli et Leo Carlsson signent leurs prolongations pour avoir des comparables en or.
L’idée ? Prouver que Hutson vaut autant, ou plus, que ces jeunes vedettes. Et tant qu’à y être, espérer que la montée du plafond salarial de la LNH continue rende un contrat de 10 à 11 millions par année moins choquant.
Mais cette stratégie comporte un risque : si les DG continuent de bouder les petits défenseurs, même offensifs, à cause de leur impact perçu en séries, Coffey pourrait se retrouver dans une position moins favorable que prévu.
Le cas Grzelcyk tombe à point. Il s'agit d'un coup de circuit pour Kent Hughes. le DG du CH peut s’en servir de deux façons :
Mettre en doute la valeur défensive : en rappelant que, peu importe la production, un petit défenseur doit prouver sa résilience en séries pour justifier un contrat élite.
Souligner la tendance du marché : les DG privilégient la robustesse et la taille à la ligne bleue, particulièrement en séries. Ce n’est pas un jugement personnel contre Hutson, mais un constat basé sur des cas concrets comme Grzelcyk.
Même si Hutson est beaucoup plus jeune et a un potentiel supérieur, ce parallèle suffit à alimenter une négociation plus prudente.
Hughes a déjà prouvé qu’il pouvait gagner ce genre de bras de fer. L’an dernier, Coffey représentait aussi le gardien Jacob Fowler.
L’agent voulait un contrat d’entrée immédiat, avec tous les bonus possibles. Hughes a tenu bon, a laissé Fowler retourner à Boston College, et a imposé un contrat moins avantageux l’année suivante.
Cette victoire stratégique est encore fraîche dans la mémoire des deux hommes. Hughes sait qu’il peut pousser Coffey dans ses retranchements, et Coffey sait qu’il ne peut pas se permettre une autre défaite publique.
À court terme, il est clair que le Canadien n’ira pas chercher Grzelcyk. L’équipe a déjà Noah Dobson, Alex Carrier et, à terme, David Reinbacher comme droitiers réguliers. Ajouter un autre petit défenseur offensif n’a pas de sens dans la construction de la brigade.
Mais le simple fait que Grzelcyk soit encore libre, malgré sa production, sert de preuve vivante que le marché est frileux envers ce type de profil.
Dans une négociation, c’est un atout psychologique puissant : si un vétéran productif ne trouve pas preneur, pourquoi donner un contrat record à un jeune qui doit encore prouver sa valeur défensive ?
Hutson est dans une situation paradoxale. D’un côté, il est acclamé comme l’avenir de la défense offensive du CH.
De l’autre, il est scruté à travers un préjugé qui ne pardonne pas aux petits gabarits. Cette perception, juste ou non, joue un rôle énorme dans les négociations.
Hughes sait que le public adore Hutson, mais il sait aussi que l’opinion populaire ne signe pas les chèques. Et tant que les images de ses difficultés physiques en séries circulent, le DG aura un argument imparable pour freiner les ardeurs salariales de Coffey.
Autre élément stratégique : la règle de la convention collective qui entrera en vigueur en 2026-2027, limitant les prolongations à sept ans. Pour obtenir un contrat de huit ans, Hutson doit signer avant le 1er juillet 2026. Hughes peut donc jouer sur deux tableaux :
Attendre pour voir si Hutson progresse défensivement, ce qui pourrait justifier un gros contrat… ou non.
Mettre la pression en rappelant qu’après 2026, la durée maximale baissera, ce qui changerait totalement la valeur d’un contrat à long terme.
La situation actuelle est limpide : Matt Grzelcyk, malgré une saison record, illustre parfaitement la méfiance croissante du marché envers les petits défenseurs, surtout quand l’heure des séries sonne.
Kent Hughes n’a pas besoin de dénigrer Hutson ; il lui suffit de pointer le cas Grzelcyk et de laisser Coffey comprendre le message.
Hutson a le talent pour mériter un contrat élite. Mais le marché, l’historique des séries, et les tendances actuelles de la LNH offrent à Hughes des arguments concrets pour freiner la course vers les 10 millions de dollars par année.
Ce bras de fer s’annonce intense. Hughes jouera la carte de la prudence et de la projection défensive. Coffey, lui, misera sur la production offensive et la comparaison avec les autres jeunes vedettes.
Entre les deux, Hutson pourrait bien se retrouver à devoir trancher : suivre l’agent dans une bataille pour devenir le joueur le mieux payé du Canadien… ou accepter de miser sur la stabilité et la chimie de son équipe.
=Et tout ça, ironiquement, pourrait être influencé par un vétéran de 31 ans qui patiente toujours, son téléphone silencieux, malgré ses 40 points : Matt Grzelcyk, le joueur que le CH ne veut pas… mais dont le dossier pourrait valoir des millions à Kent Hughes.