C’est un geste rare. Un acte de communication d’urgence.
Le CF Montréal a diffusé aujourd’hui une lettre officielle aux partisans, dans un ton presque solennel, dans le but de dissiper les doutes et de « rétablir la vérité » quant à son avenir.
L’objectif est clair : tuer dans l’œuf la rumeur persistante d’un déménagement à Détroit. Une rumeur qui n’a cessé d’enfler… et qui, ironie du sort, a été propagée d’abord et avant tout par TVA Sports, l'ancien diffuseur officiel de l’équipe qui n'a jamais accepté de perdre les droits du CF Montréal et de la MLS, et Québécor, l’un des principaux canaux médiatiques du Québec.
Dans un monde normal, cette lettre aurait calmé les esprits.
Mais le CF Montréal n’évolue pas dans un monde normal.
Quelques heures à peine après la publication du communiqué, Jean-Nicolas Blanchet, chroniqueur au Journal de Montréal (également propriété de Québécor), en rajoutait une couche.
Avec une virulence assumée, il a comparé l’initiative du club à « un gars saoul qui revient de la taverne à 3 h du matin pour réveiller sa blonde et lui dire qu’il va changer ». Le genre d’image brutale qui laisse des traces.
Le parallèle est cruel, mais révélateur : le club tente de regagner la confiance… pendant que Quebecor le ridiculise.
La crise actuelle trouve son origine dans une chronique publiée l'automne dernier par Jean-Charles Lajoie, animateur de l’émission « JiC » à TVA Sports.
Dans un segment qui a aussitôt provoqué une onde de choc, Lajoie affirmait que le CF Montréal était voué à être vendu à des intérêts américains et que la ville de Détroit avait été identifiée comme destination potentielle.
Ses mots ont résonné avec violence :
« Faut être niais pour penser que le Patron va dire que l’équipe est sur la voie de la perdition afin d’être liquidée à des intérêt$ U$ une foi$ le$ expansion$ terminée$. »
La thèse était sans équivoque : la MLS se dirige vers la fin de son processus d’expansion, et dans ce contexte, Détroit préférerait acquérir une équipe déjà existante plutôt que de passer par un processus classique.
« Montréal a été évoqué derrière des portes closes dans les discussions avec les financiers intéressés par la MLS à Detroit. Le motif en ce sens étant que Detroit a œuvré d’intérêt pour un club d’expansion et préférerait un transfert de club. »
Et selon Lajoie, Montréal est la proie parfaite : petit marché, propriétaire désabusé, infrastructures déficientes.
Il va même jusqu’à évoquer un échéancier prévis, selon lui lié à la fin du processus d’expansion de la MLS :
« De là le délai de 4-5 ans puisque la MLS ouvrira des fenêtres de vente et transferts de club uniquement lorsque son processus d’expansion sera à échéance… »
Une formulation qui laisse entendre que Montréal ferait partie d’une « short list » si jamais la ligue devait déménager une franchise existante.
Face à la montée de l’inquiétude dans les cercles de partisans, et à la multiplication des chroniques anxiogènes, le CF Montréal a choisi de prendre les devants.
Dans une lettre signée collectivement par l’organisation, l’équipe affirme avec force que le club est enraciné à Montréal, que le projet est à long terme, et que les rumeurs ne sont que de pures spéculations déconnectées de la réalité.
On y évoque la volonté de mieux communiquer, d’être à l’écoute, et de recentrer les efforts sur une relation durable avec la communauté montréalaise. Un passage particulièrement éloquent mentionne :
« Nous voulons réaffirmer notre engagement envers nos partisans et notre ville. Le CF Montréal est ici pour rester. »
Mais ce qui frappe, c’est le timing. Pourquoi cette lettre aujourd’hui, et pas plus tôt?
La réponse tient en un mot : pression. Car après des mois et des mois de silence, le discours de Jean-Charles Lajoie a commencé à faire des dégâts réels.
Rappelons que l’informateur numéro un du soccer au Québec, Nilton Jorge, avait osé confronter publiquement Lajoie sur X et déclencher une prise de conscience :
« Mon problème, JiC, c’est que des gens me disent que le club va déménager à Detroit parce que tu es une personne extrêmement influente. Or, ce n’est pas un fait en 2025, ni à court ou moyen terme. Il est important de tenir compte de notre influence et de ses conséquences. »
Lajoie a répondu du tac-au-tac:
« La menace que le CF Montréal soit vendu en tout ou en partie et déménagé ne fera que devenir plus réelle chaque année… »
Le mal était déjà fait.
Plutôt que de calmer le jeu, le Journal de Montréal en a rajouté.
Dans une chronique cinglante publiée le jour même de la lettre du club, Jean-Nicolas Blanchet n’a pas simplement remis en doute les intentions du CF Montréal : il a ridiculisé l’initiative, comparant le club à un conjoint alcoolique et l’affaire à une mauvaise pièce de théâtre.
« Comme un mari gênant, depuis plusieurs années, le CF déçoit, insulte et se néglige. »
Il a ensuite sorti l’artillerie lourde :
« Ça commence à faire Expos, et pas à peu près. »
C’est là où ça devient dangereux Alors même que le CF Montréal tente d’éloigner le spectre d’un départ, un journaliste de la même maison médiatique que Lajoie ravive la comparaison avec la plus grande trahison sportive de l’histoire du Québec.
Tout cela n’arrive pas dans le vide.
Rappelons que Tony Marinaro avait diffusé une entrevue de Joey Saputo accordée à une radio de Bologne, dans laquelle ce dernier disait, en italien :
« J’ai perdu la passion de travailler à l’intérieur de ce club-là. »
Et :
« À Montréal, je suis vu comme le gars qui met trop son nez dans la cuisine. À Bologne, on me laisse travailler. »
Il ajoutait que :
« Si les partisans n’acceptent pas la stratégie du club, ce sera bye-bye. »
Ces mots, traduits et repris par Marinaro, ont été interprétés comme des indices supplémentaires d’un désengagement progressif.
Surtout quand on sait que le club perd 20 millions $ par année, n’investit pas dans son stade, et détient la plus petite masse salariale de la ligue.
Soyons clairs : les critiques sportives envers le CF Montréal sont fondées.
11 entraîneurs en 13 ans.
10 M$ investis dans l’effectif, contre 46 M$ pour Miami.
Un projet sportif flou, des joueurs invisibles, un stade vide.
Mais insinuer un déménagement sans fondement officiel, alors que le club tente tant bien que mal de reconstruire… c’est autre chose.
La lettre du club n’a pas nié les erreurs, elle n’a pas nié les faiblesses. Elle a simplement voulu dire : « on est là, et on veut avancer avec vous ».
Or, la réponse des médias de Québécor a été cinglante, presque méprisante. Comme si la seule version acceptable de l’histoire était celle du désespoir.
Le CF Montréal a tenté un geste courageux. Une prise de parole directe, sincère, imparfaite, mais nécessaire. Un effort pour reprendre le contrôle du récit.
Mais il est désormais clair qu’il y a une guerre narrative au Québec autour de ce club.
D’un côté, des journalistes comme Nilton Jorge, qui critiquent, mais avec un attachement sincère à l’institution. De l’autre, des figures médiatiques qui utilisent le soccer comme combustible pour alimenter le feu de la désillusion, quitte à enterrer le club avant même qu’il n’ait la chance de se relever.
La question est simple : les partisans vont-ils suivre le club dans sa volonté de changement… ou vont-ils suivre Jean-Charles Lajoie jusqu’à Détroit?
Parce qu’en ce moment, la machine médiatique semble vouloir écrire une fin tragique.
Et elle est très, très persuasive.