La mentalité d’Ivan Demidov nous donne des frissons dans le dos

La mentalité d’Ivan Demidov nous donne des frissons dans le dos

Par David Garel le 2025-11-05

Il est arrivé à l’aréna de Brossard mercredi matin en tête des marqueurs chez les recrues de la LNH, avec 12 points en 13 matchs.

À 19 ans seulement, Ivan Demidov a déjà pris d’assaut la ligue, au point où tout Montréal commence à rêver d’un deuxième trophée Calder consécutif après celui de Lane Hutson, ce qui serait une première dans l'histoire du CH.

Et pourtant, malgré cette montée spectaculaire, Martin St-Louis refuse obstinément de s’emballer.

À écouter l’entraîneur du Canadien, le jeune Russe n’est pas encore un prodige. Il est un élève, en apprentissage, qui doit “jouer sans la rondelle”.

St-Louis parle de lui comme d’un joueur encore en construction, prudent, presque distant, comme s’il voulait refroidir l’euphorie collective.

Mais à force de minimiser les exploits de son jeune bijou, le coach donne l’impression de ne pas reconnaître à quel point Demidov est spécial.

« Je ne suis pas encore à 100 % confortable »

Dans le vestiaire de Brossard, Demidov garde les pieds sur terre. Le jeune homme est humble, calme, presque réservé.

Son anglais est encore hésitant, ses réponses sont courtes mais sincères. Et ses propos révèlent un jeune joueur lucide et mature au-delà de son âge.

« Je suis encore en train de m’adapter, a-t-il confié après l’entraînement de mercredi. Je ne suis pas encore à 100 % confortable dans cette ligue, j’ai encore besoin de travailler sur des détails, de travailler sur mon jeu à cinq contre cinq. »

Pour un joueur qui domine déjà les recrues au chapitre des points, cette humilité nous donne des frissons dans le dos. Pas d’arrogance, pas d’ego. Demidov sait qu’il apprend encore, mais il le fait avec la confiance tranquille d’un jeune qui sait ce qu’il vaut.

Cette mentalité nous donne des frissons dans le dos.

Même ses coéquipiers le sentent. Brendan Gallagher, placé à sa droite dans le vestiaire, ne cache pas son admiration :

« Il a beaucoup de talent, les fans sont excités et lui aussi de toute évidence. On est pas mal confiants à chaque fois que la rondelle se retrouve sur son bâton. On a plusieurs gars comme ça dans l’équipe… C’est plaisant de jouer avec lui et je suis convaincu que c’est aussi très plaisant de le voir aller. »

Et Gallagher, vétéran de 12 saisons à Montréal, ajoute même une observation que peu osent dire :

« Quand il s’est présenté ici la saison dernière, il a pris part à seulement deux matchs, et ensuite, ce fut déjà le moment de passer aux séries, ce qui est difficile parce que ce style de hockey-là est différent. Mais il va continuer à s’améliorer et à grandir, ce qui est excitantt. »

Bref, même dans le vestiaire, on sent que Demidov n’est pas un simple espoir. C’est un joueur qui transforme déjà le visage du Canadien.

Et pourtant, face à ces statistiques et à cette maturité, Martin St-Louis garde un ton froid. Il ne parle pas du génie offensif de Demidov, ni de sa vision du jeu, ni de ses passes improbables. Il parle… de son jeu sans la rondelle.

« Il peut montrer ce qu’il est capable de faire, a expliqué St-Louis. Mais je crois aussi que pour un jeune joueur, la transition qu’il y a à faire n’est pas seulement le jeu avec la rondelle en attaque ; c’est aussi une transition par rapport au jeu en entier. »

Puis, le coach ajoute, presque comme pour calmer les attentes :

« Je ne sais pas pendant combien de temps il a la rondelle sur son bâton pendant un match ; il joue pendant 16 minutes, 17 minutes, et est-ce qu’il contrôle la rondelle pendant une minute, une minute 15 ?

Alors il reste 15 autres minutes pendant lesquelles il doit s’adapter, et je crois qu’il essaie de faire toutes les bonnes choses, et c’est entre autres pour ça que je l’ai ajouté à notre première unité en avantage numérique. »

Autrement dit : Demidov ne mérite pas la première unité de powerplay parce qu’il est un prodige… mais parce qu’il fait les “bonnes choses” sans la rondelle.

On comprend la logique pédagogique. St-Louis veut éviter qu’un jeune talent s’enflamme. Il veut construire un joueur complet. Mais à force de prêcher la modération, il donne l’impression de minimiser un phénomène.

Ce n’est pas la première fois qu’on voit ça à Montréal. Dans le passé, Michel Therrien, Claude Julien ou Dominique Ducharme avaient eux aussi tenté de “dompter” les jeunes vedettes en insistant sur la rigueur défensive plutôt que sur le génie offensif.

On se souvient des critiques envers Alex Galchenyuk et surtout des réprimandes publiques envers Cole Caufield. (Dominique Ducharme a tout fait pour détruire le sniper, jusqu'à l'envoyer à Laval).

Aujourd’hui, c’est Ivan Demidov qui hérite de cette prudence presque maladive. St-Louis, qui a pourtant été lui-même un joueur offensif incompris dans sa jeunesse, agit comme s’il craignait que la lumière du jeune Russe brûle trop vite.

Mais ce n’est pas un feu de paille. Demidov, c’est un feu contrôlé. Un feu intelligent. Et même ceux qui le côtoient chaque jour le voient.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Demidov n’a pas été blanchi deux matchs de suite depuis le début de la saison. Il compte déjà six points à ses quatre derniers matchs, et son apport en avantage numérique a métamorphosé l’attaque du Tricolore.

« J’ai obtenu plusieurs occasions de marquer récemment, aussi à cinq contre cinq, a-t-il modestement expliqué. Ça aide de jouer en avantage numérique, de pouvoir toucher à la rondelle. Ça permet de me sentir impliqué dans le jeu, et de me sentir en confiance. »

Même dans ses propos, on sent qu’il comprend la valeur de ce qu’il vit : la confiance, l’implication, la constance. Pour un jeune joueur, ce sont les piliers du succès. Et tout ce qu’il demande, c’est du temps de jeu et la liberté d’exprimer son talent.

Mais Martin St-Louis, fidèle à sa nature d’ancien joueur qui a dû tout prouver, n’accorde rien gratuitement. Il veut que Demidov gagne chaque pouce de glace, chaque minute de powerplay, chaque responsabilité.

Ce discours a sa logique. Mais il entre en collision frontale avec la réalité : Demidov ne joue pas comme une simple recrue. Il joue comme un meneur de jeu, un créateur et un moteur offensif. Et parfois, à trop vouloir l’encadrer, St-Louis semble le retenir.

Ses mots trahissent une philosophie rigide : un joueur doit d’abord “bien jouer sans la rondelle” avant d’avoir le droit d’être un artiste. Une vision héritée de la vieille école, celle des Therrien et Julien, où la créativité se méritait à force de replis défensifs.

Sauf qu’ici, on parle d’un génie offensif naturel, pas d’un prospect moyen.

Ce qui est fascinant, c’est que St-Louis n’a pas tort. Son approche est prudente, cohérente. Mais elle crée un paradoxe : à force de vouloir “protéger” Demidov de la pression, il finit par lui refuser la reconnaissance qu’il mérite.

Et dans un marché comme Montréal, ça finit par se voir. Le jeune Russe mène toutes les recrues au chapitre des points, il inspire ses coéquipiers, il transforme le jeu de puissance, et pourtant, on parle de lui comme d’un joueur “en apprentissage”.

On sent aussi une volonté de reproduire le modèle Lane Hutson. L’an dernier, St-Louis avait attendu jusqu’en décembre pour l’intégrer pleinement à la première unité du powerplay. Il voulait “gagner sa confiance”. Et quand il l’a finalement libéré, Hutson a remporté le Calder.

Cette fois, il semble vouloir suivre le même plan. Mais plus on lui met de restrictions, plus on risque de le brider.

Pour l’instant, Ivan Demidov ne dit rien. Il reste respectueux, concentré, professionnel. Il répète qu’il apprend, qu’il travaille, qu’il veut s’améliorer à cinq contre cinq. Il parle peu, mais agit beaucoup. Et c’est peut-être ce calme qui fait sa force.

Parce que pendant que St-Louis parle de rigueur, Demidov accumule les points. Pendant qu’on lui demande de “s’adapter sans la rondelle”, il rend l’équipe meilleure chaque fois qu’il la touche.

Martin St-Louis ne veut pas que l’on parle de prodige. Il préfère parler de constance, d’adaptation, de travail. Mais à un moment, les faits dépassent la théorie. Ivan Demidov, avec 12 points en 13 matchs, n’est plus un projet. Il est déjà le cœur offensif de l’équipe.

Le coach peut bien répéter que “le jeu sans la rondelle” est essentiel. Le public, lui, voit autre chose : un kid de 19 ans qui a déjà transformé le visage du Canadien.

Et si Martin St-Louis ne veut pas prononcer le mot “prodige”, ce n’est pas grave.

Parce que tout le monde le voit.