Il faut cesser de tourner autour du pot : si la situation avec Ivan Demidov a pris une tournure aussi toxique, ce n’est pas une question de système, de constance ou de détail défensif.
C’est d’abord et avant tout une question d’ego, et ce n’est pas une insulte. C’est un fait profondément ancré dans la carrière de Martin St-Louis, un moteur extraordinaire qui lui a permis de devenir un joueur du Temple de la Renommée, mais aussi un poison lent qui l’a déjà fait dérailler dans le passé.
Le problème aujourd’hui, c’est que cet ego-là, celui qui l’a poussé à survivre, à défier les pronostics, à gagner le Hart, à gagner la Coupe Stanley, à accumuler une fortune colossale et à imposer sa volonté dans une ligue qui ne voulait pas de lui, est exactement le même qui menace de faire éclater le lien fragile entre lui, son vestiaire et une organisation qui tente d’élever l’un des plus grands talents jamais repêchés à Montréal depuis Guy Lafleur.
L’histoire n’est pas nouvelle. Elle a un précédent clair, documenté, et confirmé par des témoins directs : les Jeux olympiques de Sotchi.
Quand Steve Yzerman, alors DG d’Équipe Canada, a décidé de ne pas sélectionner Martin St-Louis dans sa formation initiale, ce n’était pas simplement une question de profondeur offensive.
Selon une membre du staff olympique citée par le balado Stanley25 et le journaliste Maxime Truman, l’attitude de St-Louis était un problème si réel que certains n’en voulaient même pas dans la pièce.
L’expression utilisée était cinglante, mais révélatrice : « la pire attitude du groupe ». On décrit un joueur brillant, mais centré sur lui-même, impatient, intransigeant, peu capable de se soumettre au collectif, obsédé par la reconnaissance, convaincu d’être constamment sous-estimé.
Yzerman, froid comme le marbre, avait tranché : pas de St-Louis dans l’équipe. Pas parce qu’il n’était pas assez bon, parce que son ego déstabilisait la structure globale de l’équipe.
Une blessure à Steven Stamkos l’a finalement forcé à corriger la liste, mais même une fois là, Babcock l’a placé dans un rôle marginal entre le 4e trio et les gradins, incapable de se fondre dans l’esprit d’équipe nécessaire pour une formation d’étoiles.
Résultat : zéro point en cinq matchs et un silence glacial dans les corridors. Et la suite fut encore plus révélatrice : St-Louis a exigé une transaction de Tampa Bay, uniquement parce qu’il estimait que Yzerman l’avait humilié sur la scène internationale.
Il ne voulait aller nulle part ailleurs qu’aux Rangers. Il a imposé un ultimatum. Il a planté son DG dans le dos. Il a placé l’organisation dans une impasse. Même à New York, plusieurs joueurs avaient admis qu’ils n’avaient jamais vu un capitaine quitter son équipe comme ça, par orgueil blessé.
Cette histoire, tout le monde l’a oubliée. Mais elle revient aujourd’hui avec une violence spectaculaire. Parce que ce comportement, on le revoit maintenant, en direct, dans la gestion d’Ivan Demidov.
C’est exactement là que cette histoire devient pertinente aujourd’hui, car Montréal vit quelque chose d’étrangement similaire avec Ivan Demidov.
Un jeune joueur qui attire les projecteurs. Et pour la première fois, peut-être, Martin St-Louis se retrouve devant un joueur qui vole l’attention sans le vouloir. Un joueur qui symbolise l’avenir, la magie, l’étincelle, tout ce que l’entraîneur aimerait incarner lui-même dans sa reconstruction.
Ce n’est pas un conflit ouvert. Ce n’est pas un cri dans un vestiaire. C’est quelque chose de beaucoup plus subtil, mais tout aussi puissant : une gestion qui ralentit l’ascension du prodige, qui limite son rôle, qui pose des conditions à chaque erreur, qui laisse toujours entendre que « ce n’est pas encore assez ».
On a vu St-Louis être patient avec Slafkovsky, protecteur avec Hutson, indulgent avec plusieurs jeunes. Mais avec Demidov, tout est plus froid, plus exigeant, plus contrôlé. Comme s’il devait lutter pour garder la main sur le narratif.
Ce comportement ne vient pas d’un manque de compétence. Il vient du même moteur qui a fait de lui une légende : un besoin obsessionnel d’être celui qui ouvre les portes, qui traîne l’équipe, qui inspire, qui sauve.
Il ne s’agit pas d’un égoïsme malveillant. Il s’agit d’un ego construit par une vie entière passée à se battre contre la marginalisation.
Le problème, c’est que ce même ego peut devenir un obstacle lorsque le rôle change. Comme joueur, il l’a utilisé pour renverser le destin. Comme entraîneur, il doit apprendre à ne pas laisser ce même instinct créer une distance avec un talent générationnel comme Demidov.
La relation entre un entraîneur et un joueur aussi spécial devrait se bâtir sur le respect mutuel, la confiance, la vision.
Mais à Montréal, on sent une tension invisible. On sent que St-Louis exige de Demidov ce qu’il exigeait de lui-même : un perfectionnisme féroce, une résistance à la facilité, une discipline totale. Or Demidov n’est pas St-Louis, et le forcer à entrer dans cette logique-là pourrait ralentir sa progression.
Le passé olympique de St-Louis n’est pas un simple souvenir sportif. C’est une fenêtre sur le cerveau du coach, sur ce qui le motive et sur ce qui peut aussi le tromper.
La question aujourd’hui est simple : Martin St-Louis saura-t-il gérer une superstar en devenir qui ne lui ressemble pas ? Ou revivra-t-on, sous une autre forme, les mêmes tensions qui l’ont défini dans les moments les plus difficiles de sa carrière?
Ce qui est certain, c’est qu’à Montréal, tout se voit, tout se ressent, tout se raconte. Et si St-Louis veut vraiment être l’architecte de la prochaine grande équipe du Canadien, il devra apprendre à faire ce qu’il n’a jamais vraiment fait comme joueur : partager la lumière... et marcher sur son ego...
