Ça chauffe à Brossard.
Le nom de Jacob Fowler circule dans le vestiaire du Canadien de Montréal.
Les joueurs n’ose pas prononcer son nom à voix haute, de peur de créer un malaise inutile, d’envenimer un climat déjà fragile ou de déclencher une controverse qu’on ne pourra plus jamais éteindre.
À Montréal, cette réalité a maintenant un nom, un visage et une série de performances qui n’ont rien d’un hasard : Jacob Fowler est trop fort pour la Ligue américaine, et tout le monde le voit, surtout Samuel Montembeault.
C’est ce non-dit qui rend la situation encore plus électrique, encore plus inconfortable, encore plus explosive pour un gardien déjà au cœur de la tourmente.
Fowler ne devrait pas être dans cette conversation aussi tôt dans sa carrière, mais ce qu’il fait à Laval ne laisse plus aucune possibilité de l’ignorer. Et ce contexte-là, Montembeault le ressent dans sa peau, dans ses statistiques et dans chaque huée qu’il reçoit au Centre Bell.
À Laval, on vit l’inverse exact du climat montréalais : stabilité, confiance, structure. Le Rocket sait ce qu’il obtient soir après soir lorsque Fowler saute sur la glace.
C’est un jeune homme de vingt ans qui joue avec la sérénité d’un vétéran de trente-cinq, qui contrôle sa surface comme un chirurgien, qui lit le jeu avec une précision troublante, et qui dégage un calme presque intimidant. Les journalistes qui couvrent le Rocket le répètent sans gêne : la LAH, pour Fowler, c’est de la petite bière. I
Il est trop relax, trop à l’aise, trop en contrôle. Et le pire : il ne semble même pas forcer. Le Rocket joue d’une manière différente quand il est derrière eux. Tout paraît plus simple, plus fiable, plus respirable. À Montréal, ce n’est plus le cas depuis longtemps.
Son troisième blanchissage de la saison, dimanche à Providence, n’est même plus surprenant, c’est rendu sa marque de commerce.
26 arrêts, aucun rebond dangereux, aucune panique, et une impression générale : si on lui donnait un filet dans la LNH demain matin, il ne serait pas intimidé. Il a maintenant un dossier de 6-3, une moyenne de 2.01, un taux d’efficacité de .924, et une autorité dans son demi-cercle qui s’impose naturellement.
Ce n’est plus « un bon espoir ». C’est un mur. Un mur qui cogne à la porte du Centre Bell. Un mur qui met une pression énorme sur ceux qui sont devant lui dans l’organigramme. Et un mur qui change les conversations dans les corridors de la Place Bell.
Pendant ce temps, à Montréal, Samuel Montembeault vit la période la plus difficile de sa carrière. Les mauvais buts, les départs hésitants, les statistiques qui se détériorent match après match, les réactions de la foule, les applaudissements sarcastiques, le poids du chandail tricolore, et maintenant…
Cette situation-là, avec un jeune prodige qui accumule les performances dominantes à Laval, crée une pression que Montembeault n’avouera jamais publiquement.
Il ne dira jamais qu’il regarde derrière lui. Il ne dira jamais qu’il sent Fowler souffler dans son cou. Il ne dira jamais que chaque erreur devient plus lourde, que chaque but douteux devient une menace pour son avenir.
Mais Montréal le sait. Le vestiaire le sait. Le personnel d’entraîneurs le sait. Martin St-Louis peut bien répéter qu’on protège les jeunes, que Fowler a du temps, qu’il ne faut pas brusquer les étapes, mais la réalité statistique commence à s’imposer d’elle-même : le meilleur gardien de l’organisation en ce moment ne joue pas au Centre Bell.
Et ce n’est pas juste une question de chiffres. Lorsque tu deviens le gardien associé au doute, au chaos, aux huées et aux arrêts manqués au mauvais moment, tu deviens vulnérable.
Lorsque ton homologue, à Laval, devient le symbole du calme, de la structure, de l’avenir et de la fiabilité, tu deviens encore plus vulnérable.
Et dans ce contexte-là, Montembeault n’a plus l’espace mental qu’un gardien devrait avoir pour rebondir. Tout lui explose dans le visage en même temps : les critiques, les huées... et maintenant l’ombre gigantesque de Fowler.
Les journalistes de Laval ne se gênent plus : Fowler n’est plus seulement trop fort pour la LAH, il est « trop en mode confort ». Il lit les attaques adverses avant qu’elles ne se construisent. Il avale les rebonds. Il contrôle la circulation. Il pose un rythme sur les matchs.
On dirait un gars qui joue dans une ligue inférieure à son niveau réel. Ce genre de phrase-là, même si elle n’est pas prononcée directement à Montréal, finit toujours par percoler dans le vestiaire du grand club. Et inconsciemment, ça joue dans la tête d’un gardien qui veut s’accrocher à son poste.
Et cette pression se fait sentir jusque dans le jeu du Canadien. Le CH a concédé quinze buts lors de ses trois derniers matchs.
Dobeš, qui avait été sensationnel en début d’année, traverse lui aussi un passage plus difficile. La défensive n’est pas parfaite, mais les gardiens ne sont pas capables de sauver les moments critiques.
Dans une structure déjà fragilisée par les blessures (Newhook, Guhle, Dach, chaque hésitation devant le filet devient amplifiée. À Montréal, le gardien n’a pas le droit d’être moyen. Sauf que Montembeault est moyen. Et parfois, il est moins que ça.
À Laval, Fowler est tout l’inverse. Son équipe respire quand il est dans le filet. Les défenseurs prennent des risques calculés. Les sorties de zone sont plus fluides. Les joueurs n’ont pas peur de faire des erreurs.
C’est l’effet d’un gardien qui inspire confiance. Et à Montréal, l’effet est inversé : les défenseurs jouent nerveux, hésitent, paniquent, stresse. Ce contexte-là dramatise chaque arrêt, chaque but, chaquen erreur. Et ça, Montembeault le vit dans sa chair.
Et il y a une vérité que personne n’ose dire trop fort : si Fowler était rappelé demain matin, personne ne serait surpris.
Le Canadien ne veut pas brûler les étapes. On ne veut pas lancer un jeune gardien dans une équipe instable. On ne veut pas accélérer une progression qui n’a pas besoin d’être bousculée.
Mais lorsque la différence de performance entre le numéro un de la LAH et le duo de la LNH devient aussi extrême, l’organisation se retrouve devant une réalité incontournable. La LNH est une ligue de mérite. Et Fowler mérite.
Montembeault ne veut pas être échangé. Il le sait que son contrat est raisonnable. Il le sait qu’Edmonton et la Caroline l’ont dans la mire. Il le sait que le CH prépare tranquillement l’avenir avec Dobeš et Fowler.
Et il le sait que chaque mauvaise séquence ouvre davantage la porte à une transaction qu’il ne veut pas voir arriver.
Et en parallèle, il continue d’être exposé à un marché qui n’a aucune patience et qui scrute chaque mot, chaque posture, chaque justification. Et quand tes performances sont fragiles et que ton avenir semble menacé, même une histoire banale de réseaux sociaux devient un incendie.
À Laval, rien de tout cela n’existe. Fowler joue. Il gagne. Il ne donne rien. Il construit sa carrière sans un gramme de bruit médiatique autour de lui. Il monte les échelons silencieusement. Et dans une organisation où les postes de gardiens vont changer au cours des douze prochains mois, c’est lui qui pousse la porte le plus fort.
La question n’est plus « si » Fowler sera rappelé. C’est « quand ». Et plus Montembeault chancelle, plus la réponse semble se rapprocher.
Fowler n’est pas juste l’avenir du Canadien. Il est en train de devenir le présent.
