Ça chauffe entre Jakub Dobeš et son pays.
Il ne portera peut-être jamais le chandail de son pays. Non pas parce qu’il n’en est pas digne. Mais parce qu’il a décidé, très tôt, que ce pays ne le méritait pas.
Jakub Dobeš est en train de devenir, sous nos yeux, non seulement le gardien numéro un du Canadien de Montréal, mais aussi le symbole d’une fracture identitaire grandissante entre certains joueurs européens et les fédérations nationales qui ont refusé de croire en eux.
L’histoire de Dobeš avec la Tchéquie est triste. Et elle ressemble étrangement à celle de Juraj Slafkovský avec la Slovaquie. Deux jeunes au tempérament fort, exilés volontairement très jeunes, qui refusent de se plier aux règles d’un système rigide et ancré dans des méthodes d’un autre temps.
Dans le cas de Dobeš, la rupture a eu lieu très tôt. Avant même que le nom du jeune gardien ne circule dans les palmarès de l’USHL ou dans les bureaux du CH, il avait déjà été rayé de la carte des plans à long terme de la fédération tchèque.
Pas parce qu’il était mauvais. Mais parce qu’il ne correspondait pas à ce que les entraîneurs considéraient comme un "gardien technique".
Son style, jugé atypique, tout croche, trop instinctif, dérangeait. En République tchèque, on veut des robots entre les poteaux. Des gardiens au style carré, académique, avec une mobilité précise, des gestes codifiés, reproductibles à l’infini.
Dobeš, lui, était un électron libre. Trop réactif. Trop agressif. Trop nord-américain dans sa posture. Et même si ses statistiques et sa lecture du jeu étaient déjà au-dessus de la moyenne, les entraîneurs des équipes nationales le boudaient.
Lui, il s’en souvient très bien. Il en parle rarement, mais lorsqu’il le fait, son ton devient sec. Il évoque la Tchéquie avec une distance. Il n’a jamais digéré l’humiliation de s’être fait couper des camps U18, puis U20, malgré des performances supérieures à celles des autres.
Ce n’est pas pour rien qu’il a décidé de s’exiler aux États-Unis dès l’âge de 17 ans, sans même regarder en arrière.
Pour lui, l’avenir n’était pas à Prague, ni ailleurs dans son pays. Il voulait tout réapprendre en dehors de ce système fermé.
Au final, il a terminé dans la NCAA à Ohio State, en passant par NHHL et la USHL. Un vrai américain!
Aujourd’hui, la fédération tchèque aimerait faire comme si de rien n’était. Les Jeux olympiques approchent. Et le nom de Dobeš est impossible à ignorer. Mais derrière les portes closes, on le dit encore « pas fiable ».
On questionne son attitude, son indépendance, son tempérament. La vérité, c’est que la Tchéquie n’a jamais accepté que ce gardien se développe sans eux.
Et qu’il devienne un espoir d’élite en Amérique, sans avoir porté le chandail national une seule fois dans les catégories juniors parce qu'on le jugeait trop faible.
Mais voilà que le destin vient de changer.
Malgré la logique qui veut que Lukas Dostal et Karel Vejmelka seront les gardiens de la Tchéquie aux Jeux olympiques de Milan, le sélectionneur Radim Rulík a récemment surpris bien du monde en affirmant qu’il fallait désormais considérer sérieusement Jakub Dobeš, compte tenu de son début de saison exceptionnel avec le Canadien.
Sans promettre quoi que ce soit, le coach a ouvertement déclaré que Dobeš « frappait à la porte », et que sa progression fulgurante à Montréal ne pouvait pas être ignorée plus longtemps.
Ce qui choque le plus le gardien, dans toute cette histoire, ce n’est même pas l’ignorance, c’est l’hypocrisie. Dans les faits, Dobeš n’a eu aucun appel, aucune discussion, aucune communication.
« Ces gars-là, ils ne répondent même pas à mes courriels », a lancé Dobeš pour répondre au coach et surtout à sa fédération. Il n’en revient pas d’être traité avec aussi peu de respect en réalité, alors que la fédération, via le coach, lui lance des fleurs publiquement.
Pour le principal intéressé, c’est trop peu, trop tard :
« Je ne vais pas supplier un pays qui ne m’a jamais cru ».
Retse que ;e nom de Dobeš circule dans les coulisses, et s’il poursuit sur sa lancée, il pourrait bousculer l’ordre établi à l’interne.
Le simple fait qu’un jeune gardien, encore classé troisième dans la hiérarchie montréalaise par certains experts il y a un mois. soit aujourd’hui évoqué dans les cercles olympiques en dit long sur son ascension.
Dommage que ce soit si tendu avec la fédération de son pays.
Dobeš n’a jamais voulu porter le costume du gardien modèle tchèque. Il ne s’est jamais excusé d’avoir quitté le pays. Il n’a jamais fait semblant d’être reconnaissant envers une structure qui l’a repoussé. Et surtout, il n’a jamais tenté de se justifier.
Lorsqu’on lui parle de la sélection olympique à venir, il évite la question. Il sait que même s’il performe à Montréal, même s’il domine dans les statistiques, même s’il devient un des dix meilleurs gardiens de la LNH, la porte restera fermée tant que les tensions personnelles ne seront pas résolues.
Mais ce n’est pas Dobeš qui pliera. Il ne le fera jamais. Tout comme Slafkovský ne s’est jamais excusé de son attitude décomplexée. Tout comme Ivan Demidov, dans un autre registre, n’a jamais fléchi devant les critiques de la KHL sur son individualisme. Ces jeunes joueurs sont en train de redessiner le lien entre les joueurs et les nations. Ils veulent jouer pour leur pays, mais pas au prix de leur autonomie. Ils ne veulent plus faire semblant d’aimer des institutions qui les ont maltraités ou ignorés. Ils veulent que le respect soit réciproque.
Dans le cas de Dobeš, ce respect n’a jamais été là. Et Montréal est devenu son pays d’adoption. Son entraîneur de gardiens, Éric Raymond, est devenu sa figure paternelle professionnelle.
Martin St-Louis l’a traité comme un adulte dès le jour un. Et les partisans, malgré la sympathie évidente envers Samuel Montembeault, a fini par reconnaître que le vrai numéro un est Dobeš.
Et même si Montembeault continue d’avoir ses chances, tout le monde sait que l’avenir, c’est Dobeš (et Jacob Fowler).
La Tchéquie va peut-être se retrouver, dans moins de trois mois, avec un dilemme olympique. Appeler Dobeš, et ravaler son orgueil. Ou continuer de faire comme s’il n’existait pas, au risque de se faire humilier sur la scène en oubliant le gardien le plus hot de la LNH. Dans les deux cas, l’embarras est inévitable.
Dobeš, lui, avance. Il a enterré la Tchéquie dans son esprit. Il n’a pas besoin de cette validation. Son rêve, ce n’est plus de gagner une médaille pour son pays, mais de soulever la Coupe Stanley à Montréal.
C’est ce rêve qui guide ses séances à Brossard. C’est ce rêve qui lui a permis de détrôner Montembeault sans créer de guerre interne. Il ne joue pas contre les autres. Il joue pour lui.
Et en faisant ça, il est en train de régler ses comptes avec tout un pays.
