Avant chaque match du CH, on voit Jakub Dobeš assis sur le banc du CH, les yeux fermés, en train de méditer.
On est loin de Samuel Montembeault qui "niaise" et qui rit avec ses "chums".
Ce moment de silence, c’est son monde. Son refuge avant la tempête.
Depuis le début de la saison, Dobeš incarne la sérénité du Canadien de Montréal. Invaincu à ses six premiers départs, il joue avec une assurance qui donne la chair de poule.
Mais derrière ce calme d’acier, Guillaume Lefrançois de La Presse a révélé un portrait plus intime : celui d’un gardien qui vit dans une bulle mentale, où chaque geste, chaque décision, est calculé, anticipé, intériorisé.
« Si je ne joue pas, je vais souper avec les gars la veille, je passe du temps avec eux », explique-t-il. « Mais si je joue, je reste à l’hôtel, je fais une sieste, je vais marcher et je me commande à souper. »
Chez Dobeš, la préparation commence toujours 24 heures avant le match. Pas question de s’attabler dans un restaurant bruyant ou de s’attarder à des conversations sans importance.
« Le restaurant, c’est long. Tu dois prendre un taxi, attendre ton repas, payer la facture, parler aux autres, revenir, et ça te prend deux bonnes heures. Ici, je peux regarder un film, faire des étirements, manger… Des choses qui m’aident pour mon match. »
Le Tchèque de 24 ans a appris que le vrai combat n’est pas physique, mais mental.
« La préparation pour un gardien, c’est très demandant mentalement. Le jour du match, c’est plus mental que physique. Donc, si j’ai du temps pour me détendre, je peux conserver mon énergie. »
Son approche méthodique reflète une maturité rare pour un jeune gardien. À Montréal, les entraîneurs le décrivent comme un joueur d’exception dans sa gestion des émotions. Pas d’excuse, pas de distraction, pas de mise en scène. Juste une discipline quasi militaire.
Depuis ses débuts dans la LNH, Dobeš a bâti sa réputation loin du Centre Bell. Quinze de ses vingt et un départs ont eu lieu à l’extérieur, et dix de ses treize victoires ont été acquises sur des glaces adverses. Il aime les foules hostiles. Il aime la solitude de l’hôtel. Il aime les défis que d’autres redoutent.
« J’aime ça. Je sens que tu fais juste jouer, parce que tu es sur la route. À la maison, je sens plus d’attentes, donc on se prépare plus, on le prend plus personnel, on ne veut pas décevoir les partisans. Ici, on n’a rien à perdre. Mais bon, ça reste du hockey. »
Cette lucidité traduit bien la personnalité de Dobeš : un joueur qui ne fuit pas la pression, mais qui la redéfinit. Il se nourrit du silence et du vide pour être prêt quand tout s’agite autour de lui.
Mais ce qu’on a découvert à travers La Presse, c’est surtout un pan méconnu de sa vie personnelle. À 16 ans, Dobeš quitte la Tchéquie pour s’installer à St. Louis, dans une famille d’accueil qui deviendra sa véritable maison. Vincent Michael Mullen, le père de cette famille, deviendra pour lui une figure paternelle.
En septembre, Dobeš a partagé sur Instagram l’avis de décès de Mullen. L’homme combattait un cancer, mais rien ne laissait présager une fin aussi soudaine.
« Un peu avant le camp, je lui ai rendu visite. Je voulais le voir avant que ma saison commence. On a regardé le football, tout allait bien et il est mort subitement deux ou trois jours plus tard. »
L’émotion transparaît à travers ces mots. Pas de grandes phrases, pas de déclaration larmoyante, juste la franchise d’un jeune homme qui a perdu son repère.
« Ils se sont occupés de moi et ont fait beaucoup de choses que des étrangers n’auraient pas faites. Cette saison, on a un voyage pour nos mentors et je vais inviter la mère de la pension. »
Ce deuil, Dobeš ne l’a jamais vraiment extériorisé. Mais il en a fait une force. Chaque match qu’il dispute loin de chez lui est aussi un hommage à cet homme qui l’a aidé à s’adapter, à comprendre la culture nord-américaine, à devenir celui qu’il est aujourd’hui.
Huit ans après son départ, Dobeš se considère toujours comme Tchèque, mais son cœur est ailleurs.
« Je suis tchèque, mais ma vie est ici. Mis à part ma famille, rien ne m’attend en Tchéquie. Mon frère est ici depuis six ou sept ans. Comme moi, il ne tient pas tant à y retourner l’été. À 15, 16 ans, tu commences à forger ta propre vie. Tu gagnes en maturité et tout change. On a grandi en Amérique du Nord. »
Son intégration est totale. Contrairement à bien des Européens, il n’a pas gardé de lien direct avec la fédération de son pays.
« Je ne parle pas vraiment à la fédération tchèque, j’ai peut-être joué deux matchs dans toute ma vie pour l’équipe nationale. Je n’ai pas de relation avec le programme. »
Il ne cache pas son détachement des Jeux olympiques :
« Je ne porte pas trop attention aux Jeux olympiques. Je me concentre sur ce qu’on a ici et on verra ce qui arrivera quand l’équipe sera annoncée. »
Ce discours peut sembler froid, mais il témoigne d’une réalité que beaucoup de jeunes Européens vivent en silence : celle d’une double identité. Dobeš est un joueur formé en Amérique, nourri à la mentalité nord-américaine, et dont la carrière appartient désormais à Montréal.
Si le Canadien est aujourd’hui en position de rêver à une course en séries, c’est aussi parce que Dobeš a stabilisé le filet. En un an, il est passé du statut d’espoir prometteur à celui de gardien numéro un incontesté.. Et cette ascension rapide a tout changé dans la hiérarchie interne du club.
Samuel Montembeault, pourtant l’un des artisans de la qualification printanière, a vu sa place s’effondrer. Dobeš, lui, n’a jamais réclamé le filet. Il l’a simplement pris. Par la force du travail, par la constance, par la froide efficacité.
Comble de malheur, c'est l'anniveraire de 29 ans de Samuel Montembeault aujourd'hui. Un signe de plus que l'avenir ne lui appartient plus à Montréal.
Martin St-Louis, interrogé avant le match à Seattle, a d’ailleurs résumé la situation en une phrase :
« Dobeš est dans une zone présentement. C’est dur de ne pas prendre avantage de ça. »
Cette déclaration veut tout dire. C’est le signe que la hiérarchie a basculé. Le filet n’est plus en rotation. Il appartient désormais à celui qui le protège sans faille.
Le portrait dressé par La Presse révèle un homme profondément structuré, qui ne laisse rien au hasard. De ses repas solitaires à ses marches du soir, de ses réflexions sur la route à son refus d’être distrait, tout est pensé pour un seul but : la performance.
Et quand il parle de son père de pension, on comprend que cette rigueur n’est pas seulement sportive. C’est une façon de vivre, un code moral. Une fidélité silencieuse à ceux qui lui ont tendu la main.
Il n’a pas eu besoin de s’inventer une histoire. Il en a une, bien réelle : celle d’un jeune Tchèque déraciné, devenu homme à travers le hockey, la discipline et la douleur.
Son histoire nous donne des frissons dans le dos.
