Journée noire pour TVA: la station chute pour de bon

Journée noire pour TVA: la station chute pour de bon

Par David Garel le 2025-05-08

Le 7 mai 2025 restera comme une date noire dans l’histoire médiatique du Québec.

C’est le jour où Pierre Karl Péladeau a déclaré, avec la froideur d’un chirurgien qui annonce l’inévitable : TVA Sports pourrait fermer ses portes.

Ce n’est plus une hypothèse, ce n’est plus une rumeur : c’est une préparation mentale à la catastrophe annoncée. Pour la première fois, Péladeau lui-même a publiquement ouvert la porte à cette fermeture, et l’onde de choc secoue non seulement l’industrie des médias, mais tout le tissu économique du Québec.

« Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités », a-t-il lancé à ses actionnaires, dans une phrase qui résonne comme un acte de décès verbal.

Une phrase livrée sans emphase, sans flafla, mais qui cache un drame industriel profond. Après plus de 230 millions de dollars de pertes cumulées, Péladeau brandit l’ultime métaphore latine : “don’t throw good money after bad”. Autrement dit, TVA Sports est devenu un gouffre financier sans fond.

Et les chiffres ne mentent pas. Le Groupe TVA a dévoilé des pertes de 20,3 millions au premier trimestre seulement. Son action, en chute libre, a atteint le plancher alarmant de 0,75 $ l’unité.

Un seuil historiquement bas, qui a fait bondir les investisseurs et déclenché une tempête d’analyses négatives. Adam Shine, de la Financère Banque Nationale, a réduit la note de l’entreprise à « sous-performance », abaissant du même coup le cours cible à… 0,25 $. Une humiliation.

Et que dire des studios MELS? Acquis par TVA pour 118 millions... voilà que la valeur boursière totale du Groupe TVA vaut 32 millions de dollats.

MELS était censé être le joyau technologique du groupe, le pivot de la production de contenus francophones de haut niveau. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un actif toxique plombé par le ralentissement de la production mondiale et la désertion des annonceurs.

Mais ce qui scandalise encore davantage, c’est l’ombre grandissante de l’ingérence et des conflits d’intérêts qui ont entaché cette transaction dès le jour un.

En décembre 2014, quand le Groupe TVA a déboursé 118 millions de dollars pour acquérir Vision Globale – rebaptisé depuis Studios MELS – cela a soulevé des doutes dans le milieu financier.

La transaction a été financée en grande partie par une émission de droits de souscription d’environ 100 millions, une manœuvre qui a dilué massivement les actionnaires minoritaires. Et c’est là que le drame financier arrive: plusieurs de ces actionnaires ont crié à l’injustice, dénonçant ouvertement le prix d’achat jugé exorbitant, mais surtout les liens troubles entre les membres de la haute direction de Québecor et Groupe TVA.

L’homme fort derrière tout ça ? Pierre Karl Péladeau lui-même. Sa double casquette d’actionnaire de contrôle de Québecor et d’influence directe sur les décisions stratégiques de TVA a suscité de vives inquiétudes.

Stephen Takacsy, de Gestion d’actifs Lester – l’un des plus importants actionnaires minoritaires de TVA – parle même d’« ingérence politique », une accusation lourde dans le contexte d’une entreprise cotée en bourse.

L’AMF (l'Autorité des marchés financiers) a bien ouvert un dossier, mais a finalement conclu que les irrégularités relevées relevaient davantage du droit corporatif… avant de classer l’affaire.

Autrement dit : personne n’a été tenu responsable. Et le résultat, c’est que l’actif pour lequel on a payé 118 millions en vaut aujourd’hui à peine 32.

Un gouffre financier. Un affront aux petits actionnaires. Et surtout, un symbole criant d'un actionnaire majoritaire qui agit en faveur d'intérêts personnels plutôt que ceux des actionnaires minoritaires.

Cette opération, plus que tout, résume le climat de méfiance qui entoure aujourd’hui Groupe TVA et explique pourquoi sa valeur boursière s’est effondrée.

Ce désastre financier se conjugue à un désastre humain. TVA Sports, c’est plus qu’une station. C’est une équipe, une histoire, un rêve de compétition médiatique face à RDS.

Mais dès la signature du contrat de sous-licence en 2013, le sort était scellé. Alors que TVA Sports pariait sur un retour rapide des Nordiques et sur un Canadien compétitif, le Tricolore s’est effondré en reconstruction et les Nordiques n’ont jamais refait surface. Douze ans de diffusion… pour douze années de déconfiture sportive.

Le résultat? Une programmation qui n’a jamais réussi à convaincre. Un duo d’analyse controversé avec Patrick Lalime et Félix Séguin, un animateur mal-aimé en Jean-Charles Lajoie, des dérives éditoriales de plus en plus agressives, des téléspectateurs qui fuient en masse vers RDS ou Sportsnet.

Le clou? L’incapacité de TVA Sports à capitaliser sur l’arrivée d’Ivan Demidov, où ce sont les images de sites indépendants qui ont dominé le web.

De l'autre côté du spectre, RDS, malgré une présentation plus classique, a su garder sa clientèle. TVA Sports, en misant sur le sensationnalisme, a tout perdu.

Ce que l’on vit aujourd’hui est plus qu’une crise. C’est la lente agonie d’un modèle d’affaires incapable de s’adapter. Pierre Karl Péladeau parle d’effondrement publicitaire, de désaffection pour le modèle télé. Il a raison.

Mais il oublie de dire que TVA Sports n’a jamais su créer une véritable culture, une identité propre, un lien de confiance avec le public. La fermeture, si elle a lieu en 2026, ne sera pas le fruit d’un complot. Ce sera un constat d’échec. Froid. Brutal.

Les actionnaires, eux, sont furieux. Ils voient fondre leur investissement. Ils voient un empire autrefois flamboyant perdre ses joyaux un à un. Ce n’est plus qu’une question de semaines avant que TVA soit obligée de se résigner.

La direction pourra bien parler de transformation numérique, de plateforme alternative, de convergence. Mais sans contenu phare, sans hockey, tout cela n’est que vent.

Et c’est peut-être ça, le plus tragique. Car le Québec a besoin d’une diversité médiatique. Il a besoin d’une concurrence forte, créative, audacieuse. Il a besoin de deux voix, pas d’une seule. Si TVA Sports meurt, ce sera aussi la fin d’une époque où la presse sportive francophone pouvait rivaliser, rêver, s’opposer.

Le compte à rebours est commencé. L’été 2026 sonnera le glas. Et cette fois, ce n’est pas un concurrent qui plante le clou. C’est son propre créateur, Pierre Karl Péladeau, qui admet, à demi-mot, que la partie est terminée.