À Chicago, Kirby Dach a retrouvé sa famille et ses démons

À Chicago, Kirby Dach a retrouvé sa famille et ses démons

Par André Soueidan le 2025-10-12
canadiens

Quand Kirby Dach a sauté sur la glace du United Center, tout semblait familier ... les murs, les bruits, les visages.

Mais rien ne sonnait pareil.

Ce n’était plus sa ville.

C’était un rappel. Un miroir. Un avertissement.

Chicago lui a tout donné, puis tout repris.

Et samedi soir, il est revenu là où tout avait basculé, en essayant de prouver qu’il restait encore quelque chose à sauver.

Le visage fermé, le regard lourd, Dach savait qu’il ne pouvait pas fuir ce moment.

Revenir à Chicago, c’est comme rouvrir une cicatrice : celle d’un joueur que la ville a jugé trop tôt, et d’un jeune homme qui a passé plus de temps à se réparer qu’à jouer.

Derrière chaque poignée de main échangée dans les corridors de l’aréna, il y avait des souvenirs que le temps n’avait pas complètement effacés.

Les entraîneurs, les soigneurs, les employés du vestiaire : tous se souvenaient du grand centre repêché 3e au total en 2019, celui qu’on avait vu arriver comme la promesse d’un renouveau.

Et tous savaient aussi comment cette promesse s’était éteinte.

Une série de blessures, des attentes impossibles, une confiance érodée.

Puis, un été de 2022 qui l’expédie à Montréal, dans une transaction qui avait tout d’un divorce prématuré.

Depuis, Dach se reconstruit. Lentement. Doucement. Trop doucement, diront certains.

Mais ce soir-là, à Chicago, il n’était plus ce jeune homme qu’on a abandonné.

Il était le frère, le fils, le compétiteur qui revient sur la scène de son premier naufrage.

« C’était bien de voir la famille »

Devant les journalistes, Dach s’est montré calme, presque apaisé.

Mais ses mots trahissaient une émotion bien réelle :

« Non, ils avaient un événement, donc on a fait notre truc en équipe hier soir. Mais on a passé la journée avec lui, ma mère et mon père. C’était bien de voir la famille et de passer du temps ensemble. »

C’était son premier retour complet, avec sa mère dans les gradins, témoin du duel entre ses deux fils : Kirby et Colton.

« Notre mère n’avait pas pu nous voir jouer l’un contre l’autre l’an passé, alors c’est excitant pour elle, et on a hâte.»

Pour une fois, la blessure familiale laissait place à un moment de tendresse.

Mais dans le regard de Kirby, on voyait autre chose : la nostalgie d’un joueur qui sait qu’il n’a jamais atteint le plafond qu’on lui avait promis.

Les chiffres sont froids, mais ils racontent une histoire.

11 minutes 47 à Toronto, 14 minutes 10 à Détroit, 14 minutes 12 à Chicago.

Une progression prudente, presque contrôlée, comme si Martin St-Louis voulait doser la confiance de son joueur.

Dach le sait : à 24 ans, il ne bénéficie plus de la patience qu’on accorde aux recrues.

Et pourtant, son discours demeure celui d’un joueur lucide :

« Je pense que je m’améliore à chaque match, à chaque pratique. J’essaie de jouer avec intention et de me concentrer sur les aspects collectifs du jeu. »

Il sait d’où il revient.

Deux opérations au genou. Des mois sans contact. Des doutes qui s’incrustent.

« Après une longue période de blessures, ça prend du temps pour retrouver ton confort, ton rythme. Mais ça revient petit à petit. »

Ces mots-là, simples, sans fard, tracent le portrait d’un gars qui a compris que son talent ne suffira plus.

Cette saison, Dach évolue au centre d’un trio atypique : Brendan Gallagher à droite, Zachary Bolduc à gauche.

Un mélange de feu, d’énergie et d’instinct.

Gallagher, c’est le moteur, le vétéran qui n’a jamais triché.

Bolduc, c’est l’étincelle, le jeune marqueur qui pousse le tempo.

Et au milieu, Dach : grand, puissant, mais hésitant.

Cette fois, pourtant, il semble enfin bien entouré.

Le trio n’éblouit pas, mais il avance. Il gruge des minutes, il s’impose physiquement.

Martin St-Louis, prudent, parle de « build-up ». Le mot parfait pour un joueur qui, depuis trois ans, tente de reconstruire une carrière éclatée.

« Je pense que ce qu’on essaie de bâtir, c’est une identité qui ne dépend pas d’un seul joueur, a expliqué St-Louis avant la rencontre. On veut que chaque trio ait une mission claire, qu’on puisse faire confiance à n’importe qui sur la glace. »

Et lorsqu’on lui parle de progression, l’entraîneur est resté fidèle à sa philosophie :

« Ce n’est pas une ligne droite. Il faut comprendre que ça passe par la répétition. Les gars qui sortent d’une blessure ou d’un long arrêt, on leur donne du temps, on ajuste selon leurs sensations. Ce n’est pas une science exacte. »

Puis, il a ajouté, presque pour Dach sans le nommer :

« L’important, c’est qu’ils restent dans le moment. Pas de panique. Juste de la constance. »

Mais dans les faits, il doit maintenant livrer.

Car tout est en place : la santé, les partenaires, le rôle.

Il ne reste que la constance.

À Chicago, l’écho d’un souvenir

Le United Center n’a pas la mémoire courte.

Les applaudissements étaient polis. Le respect, sincère.

Mais sous la surface, tout le monde se souvenait de ce soir où Kirby Dach, lors de son premier retour en 2023, avait marqué en tirs de barrage avant de narguer la foule.

Ce geste, il ne le referait plus aujourd’hui.

Parce que depuis, la vie lui a rappelé que la LNH n’est pas un film, et que chaque chute laisse des cicatrices.

Samedi soir, son langage corporel disait tout : pas de sourire, pas de célébration. Juste du travail.

Et quand il parle d’« intention », ce n’est pas une façade.

C’est la seule façon qu’il ait trouvée pour exister encore dans une ligue qui ne pardonne rien.

Son contrat tire à sa fin.

Techniquement, Dach sera joueur autonome avec compensation (RFA) cet été.

Mais personne ne veut en arriver là. Ni lui, ni le Canadien.

Parce qu’on sait que si cette saison ne décolle pas, son avenir à Montréal pourrait être compromis.

Le plan de St-Louis est clair : lui donner du temps, des responsabilités, mais aussi l’obligation de produire.

Pas question de le protéger éternellement.

Dach a déjà joué 42 matchs en 2023 avant sa blessure fatale.

Il n’en a disputé que 60 au total depuis son arrivée à Montréal.

Cette année, il doit atteindre la ligne d’arrivée. Peu importe les statistiques, il doit tenir.

Et ça, c’est souvent la vraie victoire qu’on ne voit pas sur la feuille de pointage.

Colton Dach, lui, poursuit son développement tranquillement à Chicago.

Il n’a ni le statut, ni le contrat, ni la pression de son frère.

Mais il a ce luxe que Kirby n’a jamais eu : du temps.

Quand les deux se sont croisés après le match, c’était furtif, discret.

Mais dans le regard du plus vieux, on voyait une promesse silencieuse : il n’a pas encore dit son dernier mot.

Il y a quelque chose de presque poétique dans la trajectoire de Kirby Dach.

Un joueur bâti pour dominer physiquement, mais que la vie a forcé à réapprendre la patience.

Dans un monde où tout le monde veut des résultats maintenant, lui avance lentement.

Et s’il ne deviendra peut-être jamais le centre de premier plan qu’on avait imaginé, il reste l’un des rares à Montréal à avoir cette humilité rare : celle de reconnaître qu’il n’y a pas de raccourci vers la confiance.

Son visage, après le match, disait tout : soulagé, mais lucide.

Ce n’est pas un retour glorieux. C’est un retour humain.

Quand on lui demande comment il se sent, il répond simplement :

« C’est toujours plaisant de jouer ici. L’hymne national te met dans l’ambiance, et c’est leur match d’ouverture, leur centième anniversaire. C’est excitant. On sait ce qu’on doit faire, venir ici, faire notre travail et jouer un autre bon match sur la route. »

Aucune rancune. Aucun mot plus haut que l’autre.

Juste un gars qui veut continuer à jouer, à se prouver, à se reconstruire.

Et peut-être qu’au fond, c’est ce qu’on attendait de lui depuis le début.

Pas qu’il fasse taire les critiques.

Mais qu’il apprenne à exister autrement.

Parce que parfois, la plus grande victoire, ce n’est pas de gagner à Chicago.

C’est d’y revenir sans haine, et d’en sortir debout.

AMEN