Il fallait le vivre, pas juste le voir. Ce match, ce moment, ce rugissement collectif du Centre Bell qui, pour une fois, n’était pas dirigé vers Ivan Demidov, ni même vers Cole Caufield ou Nick Suzuki.
Non. Ce soir, c’était le match de Juraj Slafkovsky. Et toute la ville l’a senti.
Il a été partout.
Et pour la première fois depuis bien longtemps, on ne parlait plus de sa copine, de sa mère, de son manque de constance, de son jeu en avantage numérique, ni de ses points par match.
On parlait de ce qu’il a toujours été censé incarner : une locomotive humaine, un train de 6 pieds 3 pouces et 230 livres qui fonce tête baissée vers l’objectif.
Et l’objectif, hier, était simple : gagner, coûte que coûte, pour garder les séries à portée de main.
Dès la première mise en jeu, le ton était donné. Slafkovsky a distribué des mises en échec comme on distribue des billets de concert. Il frappait tout ce qui bougeait, sans retenue, sans calcul.
Chaque fois qu’un défenseur adverse tentait une sortie de zone, il se retrouvait avec le numéro 20 du CH dans les côtes. Chaque fois qu’un ailier opposé osait pénétrer en territoire montréalais, Slafkovsky le recevait avec une charge parfaitement légale, mais dévastatrice.
C’était du hockey de séries. Brutal. Rythmé. Sans fioritures. Et Slafkovsky en était le chef d’orchestre.
On dit souvent que ce genre de joueur se révèle quand les enjeux sont élevés, quand les points valent double. Hier soir, on a vu un joueur qui vivait pour ce genre de moment.
Il n'était pas là pour faire joli. Il n'était pas là pour des "expected goals" ou des statistiques avancées. Il était là pour dominer physiquement, pour inspirer ses coéquipiers, pour faire comprendre aux adversaires que ce ne serait pas une balade au Centre Bell.
Car soyons clairs : les chiffres n'ont plus d'importance.
Finalement, on se fiche de ses statistiques.. Ça ne changera rien. Ce qu’on a vu hier, c’est un joueur qui peut faire mal à l’adversaire en séries.
Pas juste avec des coups d’épaule, mais avec sa capacité à briser le rythme d’un match, à imposer un tempo lourd, sale, sans pitié.
Slafkovsky est devenu ce que le Canadien espérait : un joueur qui devient meilleur quand ça compte vraiment. Pas un joueur d’octobre. Pas un joueur de janvier. Un joueur de printemps.
Et Dieu sait que le CH en a besoin.
C’est bien simple : il a inspiré toute l’équipe.
À chaque fois qu’il rentrait dans le coin, la foule se levait d’anticipation. À chaque mise en échec, l’effet domino était immédiat.
Suzuki coupait le centre avec plus d’engagement. Caufield tentait des jeux plus audacieux. Même Kaiden Guhle, avec deux buts, montaient plus rapidement, "boostés" par l’attitude de leur gros ailier.
Ce genre de transformation ne s’explique pas par les points ou les statistiques. C’est une transformation de culture. Slafkovsky a amené le groupe là où il devait aller : dans un match sans lendemain, où l’on laisse tout sur la glace.
Et il a tout laissé.
Une réponse à toutes les critiques.
Car il faut se souvenir d’où il vient.
Il y a à peine quelques jours, il était encore la cible de moqueries sur les réseaux sociaux. On disait qu’il ne méritait pas sa place sur le premier trio.
On le voyait déjà remplacé par Demidov. On parlait de le sortir du premier avantage numérique. On lui reprochait d’être distrait, trop "soft", incapable de jouer avec intensité sur une base régulière.
Ce soir, il a cloué le bec à tout le monde.
Il ne l’a pas fait avec un finesse ou style. Il l’a fait avec ce qui fait le plus mal en séries : des coups d’épaule, des courses vers la bande, des replis défensifs exemplaires, une intensité sans relâche, et une envie de gagner qui transpirait de chaque pore de sa peau.
Ce match, c’est peut-être celui qu’on citera un jour comme le vrai début de la carrière de Juraj Slafkovsky à Montréal. Le moment où il est passé de projet prometteur à colonne vertébrale de l’équipe.
Parce qu’on l’a tous vu : ce n’était pas juste une bonne soirée. C’était un "statement". Une prise de pouvoir. Une revendication d’identité.
Il ne sera peut-être jamais un marqueur de 100 points. Et alors?
Il sera ce joueur qu’aucune équipe ne veut affronter en séries. Ce joueur qu’on cherche à neutraliser, qu’on doit surveiller à chaque présence, parce qu’il frappe, il bouscule, et parfois, il marque.
Ce joueur qui peut changer le momentum d’une série avec une seule présence musclée. Un Brady Tkachuk en devenir, mais version Montréal.
Et hier soir, on a vu cette version pour la première fois. Entièrement. Sans filtre. Sans crainte.
En se qualifiant pour les séries, il devra son ticket à Juraj Slafkovsky autant qu’à Suzuki ou Montembeault. Et si cette équipe veut gagner une série, une vraie, elle aura besoin de ce Slafkovsky-là. Celui d’hier. Celui qui n’a pas besoin de produire trois points pour faire sentir sa présence.
Les séries approchent, et Slafkovsky est prêt.
Un train lancé à pleine vitesse.
Et ce train, personne ne voudra se le prendre de plein fouet en première ronde.