Il y a des décisions qui marquent une vie.
En 2015, à seulement 15 ans, Joe Veleno est devenu le tout premier joueur du Québec à obtenir le statut de joueur exceptionnel dans la Ligue canadienne de hockey.
Une reconnaissance rarissime, accordée uniquement à des prodiges capables de faire le saut dans le junior majeur à un âge où la plupart découvrent à peine le secondaire. Pour Veleno, cette décision allait tout changer.
Dix ans plus tard, Veleno n’est pas devenu une vedette comme Connor McDavid ou John Tavares. Il n’a pas atteint les sommets que plusieurs lui prédisaient. Mais il ne regrette rien. Et malgré tout, il tient à remettre les pendules à l’heure dans une entrevue émouvante avec le Journal de Montréal.
« Je savais que ça me suivrait toute ma carrière », a-t-il confié au journaliste Kevin Dubé du Journal de Montréal dans une entrevue aussi touchante qu’introspective. «
Mais c’est ça, le hockey. Ça vient avec de la pression et de gros moments. J’étais préparé mentalement à accepter ça. »
Un cadeau empoisonné?
Il ne faut pas sous-estimer l’impact de cette étiquette. Être un « joueur exceptionnel », c’est comme être désigné futur Messie du hockey.
Pour un adolescent québécois de 15 ans, c’est une pression démesurée. Lorsqu’il a mis les patins pour les Sea Dogs de Saint-Jean, on parlait déjà de lui comme d’un futur premier choix au total.
Et quand, finalement, il a été repêché 30e au total en 2018 par les Red Wings, certains ont vu cela comme un échec. Comme si être repêché en première ronde, mais pas assez haut, c’était déjà une trahison des attentes.
Est-ce que ce statut exceptionnel a fait dérailler sa carrière? La question se pose.
Veleno, dans sa lucidité, reconnaît à demi-mot que ce poids a pesé lourd :
« Ce statut amène de la pression, c’est certain. »
Il aurait pu devenir une vedette offensive, mais à son arrivée chez les professionnels, les choses ont changé. «
À Detroit, on m’a demandé de jouer un rôle plus défensif. »
Il n’a pas protesté. Il n’a pas claqué la porte. Il a accepté, lentement, douloureusement, de changer de peau. De vedette offensive, il est devenu joueur de soutien. De futur premier trio, il est devenu spécialiste du désavantage numérique. Un joueur « responsable », un soldat anonyme parmi d’autres.
« Ç’a été difficile à accepter au début, avoue-t-il. Mais avec le temps, j’ai compris que c’était le rôle que je devais jouer si je voulais rester dans la LNH. »
Aujourd’hui, il veut devenir un joueur comme Christian Dvorak, pas un Connor Bedard. Il veut faire le sale boulot, celui qui ne rapporte pas la gloire, mais qui garde une équipe en vie. Et malgré tout, il conserve une immense fierté.
« Je retire maintenant beaucoup de fierté à jouer un style plus défensif. »
Rejeté par Chicago. Racheté par Seattle. Moqué sur les réseaux sociaux. Et pourtant, Veleno n’a jamais paru aussi serein.
« C’est un honneur et un privilège de jouer pour le Canadien », a-t-il affirmé avec émotion au micro de Tony Marinaro (The Sick Podcast).
« Quand l’opportunité s’est présentée, je tenais à la saisir. »
À 25 ans, il signe à Montréal pour un maigre contrat d’un an à 900 000 $. Un contrat à un volet, pour un joueur qui n’a toujours pas percé comme on l’aurait cru à ses débuts. Et tout de suite, les mauvaises langues se sont déchaînées :
« Il a été signé juste parce qu’il connaît Kent Hughes. »
Veleno a entendu ces critiques. Et il y répond, calmement :
« Oui, tout le monde sait que Kent Hughes a été mon agent. Mais il y avait plusieurs clubs intéressés. On a attendu de voir ce qui allait se passer. »
Il ne doit rien à personne. Et il refuse d’avoir honte de ses liens. Il voulait jouer ici, chez lui, pour sa famille, pour le public québécois. Il veut encore prouver sa valeur.
Et maintenant?
Il ne deviendra pas une étoile. Peut-être ne dépassera-t-il jamais les 30 points en une saison. Mais il n’a pas besoin de cela pour être utile.
« Je pense que je peux apporter quelque chose sur le désavantage numérique. Dvorak et Armia ne sont plus là. Il y a une opportunité pour moi. »
Il veut se battre. Il veut servir. Et surtout, il ne veut plus porter ce fardeau de l’échec. Il a déjà assez porté celui des attentes.
En fin de compte, Joe Veleno n’est peut-être pas devenu le joueur exceptionnel qu’on espérait. Mais il est devenu un joueur exceptionnel à sa manière : un exemple de persévérance, d’humilité et de résilience.
Et si c’était à refaire?
« Je referais exactement la même chose », dit-il, sans hésiter.
Et rien que pour cette réponse, il mérite le respect.
Mais cette lucidité tardive ne vient pas sans un brin de tristesse. Car Joe Veleno n’est pas dupe. Il sait que, quelque part, la pression du statut exceptionnel a peut-être précipité une éclosion qui ne s’est jamais vraiment produite.
Il sait que, s’il avait pris une autre voie, peut-être aurait-il eu plus de temps pour évoluer, pour respirer, pour se construire une identité offensive sans cette étiquette de "sauveur" collée au dos.
Et c’est là toute l’émotion de son parcours. Il ne renie rien. Il ne blâme personne. Mais il avoue, à demi-mot, que cette ascension fulgurante n’était peut-être pas la meilleure chose pour lui.
« Quand tu es jeune, tu veux foncer, tu veux tout casser. Tu dis oui à tout, tu rêves grand… mais tu ne vois pas encore l’autre côté de la médaille », a-t-il confié, avec une maturité nouvelle, dans son entretien avec Kevin Dubé.
« Est-ce que j’aurais été un meilleur joueur si j’avais pris plus mon temps? Peut-être. Mais je n’ai pas de regrets. Ça a forgé qui je suis aujourd’hui. »
Aujourd’hui, justement, Joe Veleno ne rêve plus à des saisons de 80 points ou à des trios offensifs électrisants. Il vise l’efficacité. La fiabilité. Le rôle ingrat mais essentiel d’un centre capable de tuer les pénalités, de gagner ses mises au jeu à gauche, de sortir la rondelle du territoire en fin de match.
« C’est sûr que ce n’est pas le rôle que j’imaginais à 15 ans. Mais c’est un rôle qui a sa valeur. Un rôle qui peut faire une différence dans un match. Et si je peux le faire ici, à Montréal, dans l’uniforme du Canadien… c’est encore plus significatif. »
L’humilité, aujourd’hui, remplace les attentes démesurées. Et au-delà du hockey, il y a un homme qui a vécu des années entières à essayer de répondre aux standards inatteignables d’un système qui broie les jeunes talents.
Veleno n’a jamais été un joueur à problèmes. Jamais un gars difficile dans un vestiaire. Jamais un tricheur sur la glace. Mais il a été étiqueté trop tôt. Et ce genre d’étiquette colle, hante, et parfois détruit.
Son rachat par Seattle, en juin dernier, n’a pas été un choc pour lui. C’était la suite logique d’un passage difficile à Chicago, d’un échange sans lendemain, d’un contrat devenu encombrant.
« Ça fait mal, oui. Mais ça te force à regarder les choses différemment. Tu te recentres. Tu te demandes ce que tu veux vraiment. »
Et ce qu’il voulait, plus que tout, c’était une chance. Une vraie. Une organisation qui le verrait non pas comme un flop ou comme une vieille promesse fanée, mais comme un joueur utile. Montréal a levé la main.
Et malgré tout ce qu’il lit depuis sa signature (les moqueries, les comparaisons injustes, les insinuations sur Kent Hughes), Joe Veleno garde la tête haute.
« Je comprends que les gens puissent penser ça. Kent a été mon agent, oui. Mais s’ils pensent que c’est la seule raison pour laquelle j’ai signé ici, qu’ils viennent me voir. Je vais leur montrer que j’ai encore de l’essence dans le moteur. »
Cette déclaration, lancée à Tony Marinaro dans « The Sick Podcast », résonne comme un cri du cœur. Ce n’est pas de l’arrogance. C’est un appel. Une volonté de faire taire les mauvaises langues non pas par la parole, mais par le travail.
Il le sait : Montréal n’est pas une ville douce. Encore moins pour un Québécois. Surtout pour un joueur qui porte les cicatrices d’un passé glorieux qui ne s’est jamais matérialisé.
Mais Montréal, pour lui, c’est aussi une maison. Une ville qu’il connaît, qui a forgé ses rêves, et qui pourrait, peut-être, lui offrir un dernier chapitre digne de ce qu’on voyait en lui à 15 ans.
« Je suis conscient de ce que ça implique. Je suis conscient que chaque match va être scruté à la loupe. Mais je suis prêt. Je suis prêt à être un soldat. »
Veleno n’a jamais eu l’attitude d’un joueur fini. Et à 25 ans, il ne l’est pas. Il est dans la fleur de l’âge. Il a encore un coup de patin explosif. Il peut encore produire offensivement. Il peut devenir ce joueur de 3e trio qu’on envoie dans toutes les situations et qui fait le sale boulot avec fierté.
Et surtout, il peut inspirer. Inspirer d’autres jeunes qui, comme lui, ont été projetés trop tôt sous les projecteurs. Leur montrer qu’on peut survivre à l’échec, qu’on peut se réinventer, qu’on peut être fier même sans être une vedette.
Joe Veleno ne sera peut-être jamais le joueur exceptionnel qu’on imaginait. Mais il peut encore devenir un joueur exemplaire.
Et si c’est à Montréal que ça se produit, devant sa famille, ses amis et ceux qui ont cru en lui dès le premier jour, alors ce ne sera pas une résurrection. Ce sera une délivrance.