Depuis son arrivée en sol canadien, Ivan Demidov est accueilli comme une véritable rockstar. Le prodige russe n’a pas encore disputé un seul match que déjà, son nom fait vibrer Montréal. On l’attend comme un sauveur, un artiste de la rondelle, un futur pilier du Canadien.
Mais voilà que certaines voix, plus cyniques, tentent déjà de tempérer l’enthousiasme.
« Prudence, souvenez-vous d’Alex Galchenyuk », entend-on. À cela, il faut répondre clairement : Demidov n’est pas Galchenyuk. La comparaison ne tient pas la route — ni sur le plan du talent, ni sur celui de la personnalité.
Ceux qui comparent Ivan Demidov à Alex Galchenyuk oublient bien vite tous les drapeaux rouges qui flottaient déjà au-dessus de la tête du troisième choix au total de 2012.
Galchenyuk avait du talent, mais il arrivait à Montréal avec une attitude souvent qualifiée d’arrogante en privé, peu de rigueur dans sa préparation, et un entourage familial omniprésent – notamment un père jugé trop envahissant dans les décisions sportives.
Dès ses premières semaines, il créait un malaise chez certains coéquipiers en refusant de parler en anglais dans certaines situations, même s’il maîtrisait parfaitement la langue. Un signe, disait-on alors, d’un jeune homme peu enclin à l’ouverture ou à l’humilité.
Il a aussi été lié à des excès nocturnes bien documentés, parfois en compagnie de vedettes locales (Maripier Morin), parfois seul.
L’épisode impliquant les forces de l’ordre dans un condo montréalais, sans qu’aucune accusation ne soit portée, avait semé l’inquiétude.
Plusieurs membres de l’organisation avaient rapidement compris que le feu couvait sous une image publique pourtant soigneusement polie par les relations publiques du club.
Avec Ivan Demidov, rien de tout ça. Le jeune homme est discret, respectueux, travailleur. Il ne cherche pas à faire parler de lui autrement que par son jeu.
Il n’a pas d’agent envahissant, pas de scandales, pas de comportement douteux. Il a traversé une année difficile en Russie sans jamais se plaindre. Et surtout, il n’arrive pas comme une vedette autoproclamée : il arrive comme un coéquipier.
Tout dans le parcours d’Ivan Demidov jusqu’à présent démontre un jeune homme modeste, discipliné et extrêmement concentré sur son développement.
À seulement 19 ans, il a traversé des turbulences majeures en Russie : utilisé de manière incohérente, mis sur le banc sans explication, écarté des alignements en raison de son refus de signer une prolongation avec le SKA.
Et pourtant, jamais une plainte publique. Jamais un mot plus haut que l’autre. Il a fermé la bouche, gardé la tête haute, et terminé meilleur pointeur de son équipe.
En entrevue, ses coéquipiers potentiels comme Lane Hutson soulignent déjà son ouverture et son respect. Demidov n’a pas cherché à voler un numéro à Oliver Kapanen, il n’a pas exigé de traitement de faveur. Au contraire, il s’intègre pas à pas, avec dignité.
Ce que Montréal offre aujourd’hui à un jeune comme Demidov est bien différent de l’environnement dans lequel Galchenyuk a atterri il y a plus de dix ans.
Le Canadien de l’époque était instable, mal encadré, parfois déconnecté de la réalité de ses jeunes joueurs. Les erreurs ont été nombreuses. Le suivi hors-glace, quasi absent.
Aujourd’hui, Martin St-Louis dirige une équipe où la personnalité du joueur importe autant que son talent. Kent Hughes et Jeff Gorton misent sur la construction d’une culture — et Demidov y entre au moment parfait.
Le psychologue sportif Sylvain Guimond, qui connaît bien les deux contextes, l’a bien expliqué : tout commence par l’environnement.
À Pittsburgh, Sidney Crosby a été encadré dès le premier jour. À Montréal, Galchenyuk ne l’a jamais été. Demidov, lui, arrive dans une organisation beaucoup plus consciente de ses responsabilités.
Il est donc profondément injuste et déplacé de projeter sur Ivan Demidov les erreurs du passé. Ce n’est pas le même joueur, ni le même contexte, ni la même époque.
Galchenyuk, malgré son talent, a souffert de dérives personnelles, de mauvaises influences, de décisions questionnables hors-glace. Mais il est aussi un rappel des leçons qu’un club doit tirer — non un étalon pour juger chaque nouveau venu.
Si Demidov performe à la hauteur de son potentiel, ce sera en partie grâce à lui, mais aussi grâce à un Canadien qui a évolué, qui a grandi. Le CH d’aujourd’hui protège mieux ses espoirs, les accompagne mieux, et surtout, les respecte mieux.
Demidov est prêt. Pas parfait, pas intouchable, mais prêt à apprendre, à s’intégrer, à travailler. Il a une personnalité calme, mature, ancrée. Il n’a jamais cherché à brûler les étapes, ni à attirer les projecteurs. Il a juste continué à produire, encore et encore, même dans des conditions adverses.
S’il y a une chose qu’on peut souhaiter à Ivan Demidov, c’est qu’on lui donne le droit d’écrire sa propre histoire. Pas celle de Galchenyuk. Pas celle d’un autre. La sienne.
Et si tout se passe bien, ce sera une belle, très belle histoire.
Ce qui change tout, dans le cas Demidov, c’est la structure. Ce ne sont pas seulement les statistiques et les vidéos de ses feintes qui impressionnent.
C’est l’organisation qui l’entoure. Le Canadien de Montréal version 2025 n’est plus l’organisation froide, rigide et silencieuse qu’elle a déjà été. C’est un club qui parle aux jeunes. Qui leur tend la main. Qui sait ce qu’est l’empathie.
Et tout ça, ça commence avec Martin St-Louis.
L’entraîneur-chef ne dirige pas comme un simple gestionnaire de lignes. Il s’occupe de l’individu. Il regarde comment un joueur s’adapte dans une nouvelle ville.
Il pense à la famille, à l’acclimatation, à l’équilibre mental. Il a été ce joueur sous-estimé qu’on attendait peu, et c’est exactement pourquoi il comprend si bien un prodige comme Demidov : parce qu’il sait que le talent brut ne suffit pas s’il n’est pas bien entouré.
C’est aussi pourquoi il ne précipitera rien. Il prendra le temps de voir comment Ivan se sent. Comment il s’adapte à la glace nord-américaine, à la vitesse du jeu, aux médias, à la pression invisible que seuls les joueurs du Canadien ressentent à chaque jour.
Ce n’est pas un hasard si Martin St-Louis parle souvent de patience, de constance, de confiance. Il n’est pas là pour brûler ses jeunes. Il est là pour les préparer. Et Demidov n’arrive pas dans une tornade, il arrive dans une structure construite avec soin.
Autour de lui, des coéquipiers qui ont traversé des chemins similaires. Lane Hutson, qui veut déjà le prendre sous son aile. Kapanen, jeune et discret, qui a compris l’importance de l’intégration.
Suzuki, capitaine stable et attentionné. Guhle, Slafkovsky, Xhekaj, Dobes… tous des jeunes qui se sont fait une place à travers l’adversité. Tous des alliés.
Et surtout : personne dans ce vestiaire n’a la mentalité d’un “je suis arrivé”. Ce sont tous des gars qui travaillent, qui ont su qu’à Montréal, rien n’est jamais acquis.
C’est peut-être le plus beau cadeau que le Canadien puisse faire à Demidov : l’intégrer à un groupe de jeunes qui veulent bien faire, sans égo mal placé, sans vedettariat toxique.
Et si l’on regarde vers les vétérans, ce sont des gars comme Gallagher ou Savard, dont la première qualité est d’être humains. Des mentors.
La suite? Laisser le prodige grandir
Ivan Demidov n’a pas besoin qu’on l’idolâtre, ni qu’on le protège à outrance. Il a besoin qu’on le respecte, qu’on l’accompagne, qu’on l’encadre. Et c’est exactement ce que Montréal semble prêt à faire.
Alors, non. Ce n’est pas un autre Galchenyuk. Ce n’est pas un pari risqué. Ce n’est pas un drapeau rouge.
C’est une promesse. Et cette fois, tout est en place pour qu’elle soit tenue.