Il y a des images qui choquent. Des phrases qui sonnent faux. Mardi, en direct à LCN, Charles Lafortune s’est joint au chœur des millionnaires qui réclament, la larme à l’œil, que l’État vienne « sauver » la télévision privée québécoise.
Un discours larmoyant, appuyé en coulisses par nul autre que Pierre Karl Péladeau, milliardaire et grand patron de Québecor.
Pendant ce temps, des milliers de familles au Québec se demandent comment payer leur hypothèque, leur panier d’épicerie ou simplement mettre du pain sur la table.
Voilà le paradoxe : ceux qui nagent dans les millions sont les premiers à venir pleurer devant les caméras, exigeant que les contribuables financent leur Titanic.
Charles Lafortune n’est pas un homme à plaindre. Producteur, animateur, visage récurrent de TVA, il a fait fortune dans le monde télévisuel québécois.
Ses projets fonctionnent, ses productions engrangent des revenus solides, et son nom est associé à des succès d’auditoire enviés par tous ses concurrents. Pourtant, le voilà qui joue la carte de la victimisation.
« La télé privée souffre de la chute des revenus publicitaires », a-t-il expliqué à LCN. Comme si on découvrait la pluie.
Comme si c’était une révélation que YouTube, TikTok ou Netflix grugent des parts de marché. Et surtout, comme si son propre portefeuille n’était pas protégé par des contrats dorés et une machine qui, chaque semaine, génère des profits grâce à ses émissions phares.
La vérité, c’est que Lafortune n’est pas en danger. Ses projets continueront d’exister. Ses productions continueront de trouver preneurs.
Ce sont les employés de TVA, les caméramans, les techniciens, les recherchistes, les monteurs… qui, eux, vivent dans la précarité. Ce sont eux qui subissent les mises à pied massives. Pas lui.
Et derrière Lafortune, il y a Péladeau. Plus riche que jamais, plus combatif que jamais, qui lance un « wake-up call » au CRTC et au gouvernement fédéral.
« Ils doivent saisir l’urgence », tonne-t-il, comme s’il parlait au nom du peuple. Pourtant, c’est le même homme qui, en 2023, s’est versé une rémunération de 4,9 millions $, une augmentation de 57 %.
En 2024 seulement, il s’est octroyé une rémunération totale de 20,44 millions de dollars. Un chiffre indécent quand on le compare aux pertes infinies de TVA Sports et aux centaines d’employés mis à la rue.
Alors que le réseau se vide de ses artisans, que des familles entières se retrouvent dans l’incertitude, le grand patron de Québecor, lui, profite d’un pactole hors norme.
C’est le même homme dont la famille détient 76 % des droits de vote de Québecor, contrôlant chaque décision comme un empire privé.
Et c’est aussi le même homme qui s’entête à maintenir en vie TVA Sports, une chaîne qui a englouti entre 230 et 300 millions de dollars depuis sa création en 2011.
Même en 2024, malgré toutes les coupures, les licenciements et les mises à pied, la chaîne a continué d’accumuler les déficits : 15,4 millions de dollars envolés en une seule année.
Le vrai gouffre est là. Pas dans Les chanteurs masqués, pas dans Indéfendable, pas dans MasterChef Québec. Toutes ces émissions sont rentables. Le problème, c’est le hockey. Le problème, c’est TVA Sports.
Le paradoxe est évident : d’un côté, Québecor multiplie les productions qui fonctionnent, qui rassemblent des centaines de milliers de téléspectateurs, qui génèrent des revenus publicitaires réels.
De l’autre, on maintient artificiellement en vie une chaîne sportive qui n’a jamais trouvé son modèle d’affaires. Et plutôt que d’assumer cet échec, on demande aux citoyens de mettre la main à la poche.
D’un côté, un empire médiatique qui pleure famine et réclame l’aide des gouvernements pour « sauver la télé québécoise »; de l’autre, un PDG qui empoche plus de 20 millions de dollars en une seule année, comme si de rien n’était.
Comment croire au discours d’urgence culturelle quand ceux qui le portent nagent dans les millions? Comment justifier que les contribuables mettent encore la main à la poche pour maintenir TVA Sports artificiellement en vie, alors même que son propriétaire s’enrichit à vue d’œil?
On appelle ça de la mauvaise foi.
Pendant que Lafortune dénonce TikTok et Netflix, les familles du Québec calculent leurs factures. Pendant que Péladeau compare l’industrie télévisuelle à l’aérospatiale pour exiger des subventions, des milliers de Québécois sautent des repas pour équilibrer leur budget.
Qui est en crise? Les millionnaires de TVA ou les familles qui doivent couper dans le lait, les légumes, l’essence?
Soyons clairs : la télé privée est en mutation. Les habitudes de consommation changent. La génération Z ne regarde plus des matchs entiers, elle consomme des extraits, des vidéos courtes.
L’Institut statistique du Québec l’a confirmé : seulement 9,9 % des 15-29 ans regardent du sport tous les jours ou presque.
C’est une statistique catastrophique pour les diffuseurs traditionnels. Mais la réponse n’est pas de tendre la sébile. La réponse est de s’adapter.
RDS, par exemple, s’ajuste en misant sur Crave, sa plateforme numérique. Bell a compris que le futur du hockey passera par le streaming. TVA, au contraire, reste figée dans un modèle déficitaire, incapable de rentabiliser son produit phare.
Alors posons la vraie question : pourquoi les citoyens devraient-ils payer pour que TVA Sports survive? Pourquoi financer, avec l’argent public, une chaîne qui n’a jamais trouvé son équilibre?
Pourquoi sauver le rêve brisé de Péladeau au lieu d’investir dans la production indépendante, dans des contenus locaux qui, eux, créent de l’emploi durable?
Et surtout : pourquoi écouter des millionnaires qui pleurent, quand eux-mêmes vivent dans le confort? Lafortune n’est pas le visage de la détresse télévisuelle. C’est celui d’un privilégié qui craint pour ses profits.
Au fond, tout ramène à TVA Sports. C’est la plaie ouverte de Québecor. Le trou noir qui aspire toutes les ressources. Les pertes qui, année après année, forcent des licenciements massifs. Et la seule raison pour laquelle Péladeau monte au front, c’est pour tenter de sauver cette chaîne.
Ses arguments sur la culture, sur la protection de notre télé, sur l’importance de notre identité… ce sont des paravents.
Ce qu’il veut, c’est obtenir assez de financement public pour continuer de se battre contre Bell. Une guerre de titans où, paradoxalement, le seul perdant sera toujours le citoyen.
L’industrie vit un moment charnière, c’est vrai. Mais ce n’est pas en finançant l’échec qu’on va la sauver. Ce n’est pas en protégeant des animateurs millionnaires et des PDG milliardaires qu’on va redonner espoir aux travailleurs licenciés. La vérité est dure, mais simple : soit tu t’adaptes, soit tu disparais.
Et TVA Sports, malgré tout l’argent englouti, malgré tous les cris du cœur de Péladeau et Lafortune, est déjà condamnée.
Dans une société où des milliers de Québécois comptent leurs sous pour s’acheter une miche de pain, voir des millionnaires pleurer pour sauver leur business est une gifle. Charles Lafortune et Pierre Karl Péladeau n’incarnent pas la survie culturelle du Québec.
Ils incarnent l’indécence d’un système où les profits sont privatisés et les pertes, socialisées.
Assez. Qu’ils assument leurs échecs. Qu’ils ferment TVA Sports s’il le faut. Qu’ils laissent la concurrence respirer. Qu’ils investissent dans ce qui marche. Mais surtout, qu’ils arrêtent de venir nous dire, le portefeuille plein, que c’est à nous de payer leur guerre.