Malaise à Laval-sur-le-Lac: Mike Matheson la tristesse dans les yeux

Malaise à Laval-sur-le-Lac: Mike Matheson la tristesse dans les yeux

Par David Garel le 2025-09-15

On pouvait sentir le malaise à des kilomètres.

Il y a des images qui valent plus que mille mots. Et celle de Mike Matheson, figé sous le soleil de Laval-sur-le-Lac, le regard perdu malgré les sourires et les autographes, appartient à cette catégorie.

Ce n’était pas une posture de star blasée, ni l’attitude d’un vétéran détaché. C’était autre chose. Quelque chose de plus lourd. De plus humain. Le malaise était immense. Presque contagieux.

Autour de lui, la machine des Canadiens roulait à fond. L’arrivée de Noah Dobson électrisait les journalistes. Les sourires étaient francs, les réponses enthousiastes, les accolades sincères.

Dobson rayonnait. Lane Hutson aussi. Martin St-Louis distribuait des clins d’œil à droite et à gauche, lançait ses phrases diplomatiques à propos de l’avantage numérique et des duos défensifs comme s’il essayait de maintenir une illusion d’harmonie. Mais personne n’était naïf. Le numéro 8, lui, n’était pas bien.

Mike Matheson se présente à sa dernière année de contrat avec le Canadien. Et même si, officiellement, tout le monde garde un ton neutre, les regards en disent long.

Le défenseur québécois n’a plus le statut incontesté qu’il occupait encore il y a six mois. Il n'était déjà plus le quart-arrière principal du jeu de puissance.

Cette saison, il ne sera plus le défenseur qui joue 25 minutes par match. Il ne sera probablement même plus sur la première paire et il faudra voir... s'il sera sur la 2e...

« Je pense que c’est quelque chose qui est hors de mon contrôle. Ce n’est pas quelque chose que je vais prendre beaucoup de temps à penser. Ces affaires-là, ce n’est vraiment pas quelque chose qui devrait prendre de l’énergie mentale », a-t-il tenté d’expliquer devant les journalistes.

Mais son visage disait autre chose.

Il savait que les journalistes savaient. Que les partisans savaient. Que ses coéquipiers savaient.

Il n’est plus le défenseur numéro un. Il est devenu, presque du jour au lendemain, un point d’interrogation.

Matheson a toujours été professionnel. Un leader discret, engagé, aimé dans le vestiaire. Il a mis sa vie à Montréal. Sa famille, sa maison, son investissement personnel. Alors quand un journaliste lui a demandé comment il se sentait à l’aube de sa dernière année de contrat, sa voix s’est faite plus douce.

« C’est sûr que mon but, c’est d’être ici pour le plus long possible et d’aider cette équipe à se rendre où on veut être. Ça ne va pas changer. Même si ça devient la dernière année ou quelque chose comme ça, ça ne va jamais changer. C’est ici que je veux être. »

Mais cette déclaration, au lieu de rassurer, a surtout révélé l’angoisse dans son coeur. Il parle déjà comme un joueur qui se prépare à être écarté. À être échangé. À devoir partir contre son gré.

Le plus triste, c’est qu’il a bien compris ce que ça implique de rester: signer pour des peanuts.

En coulisses, Mike Matheson a déjà rencontré Kent Hughes et Jeff Gorton. Il sait ce qu’on attend de lui. Un contrat à rabais. Une prolongation courte. Pas de 6 ou 7 millions par saison. Pas de clause de non-échange. Rien de tout ça.

On parle de son salaire actuel qu'il devrait accepter pour son prochain contrat (4,875 M$).

Juste un pont de 2-3 ans. Un deal transitoire. Pour aider le CH à traverser vers l’avenir.

Et il est prêt à le faire. Mais à quel prix?

« Je vais laisser ce dossier à mon agent, » a-t-il dit. « J’aime me tenir loin de ces affaires-là. »

Mais encore là, il ne convainc personne. L’homme est inquiet. Il est fatigué. Il ne veut pas être celui qu’on sacrifie pour faire de la place. Et surtout, il ne veut pas être celui qu’on humilie publiquement.

Car les rumeurs, elles, ne dorment jamais.

« C’est très difficile quand tu ouvres ton cellulaire et qu’il y a une centaine de personnes qui te disent que tu es mauvais. »

Cette phrase, Matheson l’a prononcée il y a quelques mois. Mais elle planait encore, ce jour-là, au tournoi de golf. Il portait encore cette blessure-là dans les yeux.

Il n’a jamais été un chouchou des fans, malgré son rôle essentiel. Il a été accusé de ralentir le jeu de puissance, de bloquer l’ascension de Hutson, d’être un « passager clandestin ».

À force de tout encaisser, Matheson a fini par se retirer complètement des réseaux sociaux.

« C’est sûr que c’est difficile. Mais honnêtement, et je te le dirais si ce n’était pas le cas, je ne regarde rien. Vraiment rien. Ma famille et mes coéquipiers méritent le meilleur de moi et je ne veux pas me laisser distraire par tout ce qui peut se dire partout. Mes comptes de réseaux sociaux sont fermés. »

Une décision de survie. Une muraille entre lui et la haine.

Mais à Laval, la muraille avait des fissures.

Le plus dur dans toute cette histoire, c’est que Noah Dobson n’a rien fait de mal. Au contraire. Il est professionnel, humble, enthousiaste, et très respectueux envers Matheson. Il a parlé de lui avec admiration :

« Mike a été super avec moi. On se connaissait du Championnat mondial. Il m’a beaucoup aidé. »

Mais chaque sourire de Dobson, chaque regard complice avec les journalistes, chaque phrase pleine d’énergie, c’était un rappel brutal pour Matheson : la relève est là. Elle est meilleure. Et elle prend ta place.

« Tout le monde est excité que Noah soit ici, a reconnu Matheson. C’est un joueur très spécial. On est très chanceux de l’avoir. Je pense qu’il va beaucoup nous aider à avoir des duos de défenseurs très solides. »

Même ses compliments sonnaient comme des adieux.

Martin St-Louis, fidèle à lui-même, a tenté de désamorcer la situation. Il a répété qu’il allait peut-être utiliser deux défenseurs sur l’avantage numérique. Que Matheson faisait encore partie de ses plans. Qu’il fallait « gérer les minutes » et « les rôles » en fonction du quotidien.

Mais l’entraîneur savait que personne ne le croyait. Que tout le monde voyait ce qui se dessinait.

Dobson et Hutson sur le premier power play.

Guhle et Reinbacher sur la deuxième paire.

Et Matheson… quelque part dans le flou.

Pendant que Matheson répondait aux questions, il y avait du bruit autour de lui. Des caméras, des rires, des joueurs qui se taquinaient. Dobson qui enchaînait les entrevues avec aisance. Hutson qui blaguait avec les journalistes. Les sourires étaient partout. Sauf chez lui.

Le contraste était saisissant. Même dérangeant.

C’était comme voir un joueur participer à son propre effacement.

Et tout le monde l’a vu.

L’ultimatum silencieux.

Le Canadien a un choix clair à faire.

Soit il prolonge Mike Matheson à rabais, dans un rôle réduit, pour l’utiliser comme mentor. Soit il l’échange avant la date limite pour éviter un conflit interne.

Matheson, lui, est prêt à rester. Il aime Montréal. Il veut être ici.

Mais pas à n’importe quel prix. Pas pour être humilié. Pas pour être le punching bag d’un marché sans pitié.

« Parfois, c’est facile d’oublier qu’on est des êtres humains, » a-t-il dit.

Ce jour-là, personne ne l’a oublié. On ne voyait plus le joueur. On voyait l’homme. Brisé, mais digne.

Et c’est peut-être ça, le plus grand malaise de tous.