L'immunité de Martin St-Louis est terminée.
Il fut un temps où le coach du CH pouvait lever les yeux au ciel devant une question, improviser une réponse sur la « game collective » et sortir de la salle de presse sous les applaudissements d’une ville encore hypnotisée par son aura, son passé glorieux, son charisme naturel et la promesse d’un projet patient basé sur le développement.
Ce temps est terminé. La défaite humiliante contre Washington n’est pas seulement un résultat comptable, c’est une fissure nette dans le contrat moral entre l’entraîneur et une organisation qui lui a offert un statut quasi sacré, au point d’accélérer une reconstruction qui n’en était qu’à ses fondations simplement parce qu’il l’a exigé, convaincu que son approche pédagogique pouvait transformer un groupe de prospects en équipe gagnante avant l’heure.
Aujourd’hui, l’échec est partout : l’accélération a coûté Émile Heineman, sacrifié dans l’empressement de boucher un trou à court terme, alors que la structure générale du club n’est toujours pas assez solide pour absorber une telle perte de marqueur et que les conséquences se mesurent chaque soir sur la glace.
On peut bien débattre éternellement de la transaction qui a mené à Noah Dobson, mais le constat central saute aux yeux : si Montréal n’avait pas plié à la volonté d’aller plus vite, l’organisation aurait aujourd’hui Emil Heineman, un scoreur au potentiel de 30 buts et deux espoirs de premier plan.
Même si personne ne peut prétendre avec certitude que le Canadien aurait sélectionné Victor Eklund au 16e rang et Kashawn Aitcheson au 17e, le simple exercice de projection révèle un décalage troublant entre ce que Montréal pourrait avoir entre les mains aujourd’hui et ce qu’elle a réellement obtenu en ramenant Noah Dobson.
Parce que si ces sélections avaient été conservées plutôt que sacrifiées dans une accélération de reconstruction dictée par le banc, l’organisation détiendrait peut-être un défenseur robuste, mobile, capable de marquer des buts tout en distribuant des mises en échec (Aitcheson), un ailier performant qui progresse déjà en Suède (Eklund), et un véritable marqueur en devenir qui s’intègre parfaitement dans un top-six moderne (Heineman).
Au lieu de cela, Montréal se retrouve à défendre un projet fragile, où Dobson peine à s’imposer dans les moments importants, où la robustesse est un manque criant, et où Arber Xhekaj, censé être l’élément intimidant du groupe, enchaîne les défaites aux poings, les moments d’hésitation et les séquences où il ne défend même plus ses coéquipiers.
Dans un monde alternatif, le Canadien aurait aujourd’hui exactement le profil qui lui manque : un défenseur physique qui fait le ménage et qui marque des buts à la pelletée (15 buts et 26 points en 19 matchs dans la OHL), un marqueur qui soutient la première ligne, et une profondeur offensive jeune, rapide et cohérente.
Mais dans la réalité, le club mise sur Dobson comme pilier, alors que ce dernier vient peut-être de livrer le pire match de son passage à Montréal, pendant que les prospects échangés s’imposent ailleurs et que Xhekaj n’apporte plus ni énergie, ni intimidation, ni impact réel sur le jeu.
St-Louis affirme vouloir protéger les jeunes, leur laisser le temps, ne pas les brûler, mais il est précisément l’architecte qui les met en péril.
On a perdu Heineman... à cause de lui...
À cela s’ajoute un autre problème, plus subtil mais tout aussi inquiétant : la relation entre St-Louis et les médias se dégrade. On l’a vu froid, agacé, impatient, incapable de supporter la contradiction, particulièrement lorsqu’on remet en cause son système ou ses choix d’utilisation.
Il corrige les journalistes avec son regard méprisant plutôt que de répondre au fond des questions, comme si sa vision du hockey était au-dessus de la critique, ce qui aurait pu fonctionner lorsqu’il incarnait une figure charismatique et invulnérable, mais devient intenable dès l’instant où les résultats s’effondrent et où ses leçons de vie à deux cennes ne concordent plus avec la réalité sur la glace.
Le seuil de tolérance du public a basculé : on n’attend plus des analogies inspirantes, on exige des résultats concrets.
Or, le système man-to-man, présenté comme le pilier tactique du projet, est devenu la preuve la plus visible de la perte de contrôle.
Il ne génère plus d’avantages, il crée des brèches, il expose les défenseurs à des situations impossibles et il empêche l’équipe de stabiliser son jeu en zone défensive.
Il y avait un temps où la nouveauté tactique de St-Louis inspirait curiosité et espoir, mais cette nouveauté ne fonctionne plus, et l’entraîneur s’y attache malgré l’évidence, comme si admettre une erreur menaçait son identité plutôt que de servir l’équipe.
L'ego de St-Louis est en train de détruire cette équipe.
Le plus troublant, c’est qu’il existe désormais un prix concret à cette rigidité. Demidov n’apprend pas à jouer à ses forces. Bolduc est constamment déplacé comme un pion interchangeable.
La conséquence est lourde : si la saison se poursuit sur cette trajectoire, St-Louis pourrait non seulement perdre la salle, mais aussi la protection politique qui lui a permis d’agir sans rendre de comptes.
Son contrat, trois ans à cinq millions par saison jusqu’en 2026-2027, n’est plus perçu comme un gage de stabilité, mais comme un obstacle financier dont le club pourrait finir par se débarrasser par nécessité.
Il est encore temps de corriger la trajectoire, mais cela exige un renversement complet du discours : accepter que le projet doit changer, cesser de parler de croissance et recommencer à parler de résultats; reconnaître ses erreurs; et surtout, admettre que l’entraîneur n’est pas intouchable.
Si l’équipe continue de s’effondrer, la question ne sera plus « comment St-Louis peut redresser le club? », mais « combien de temps encore Montréal acceptera de se brûler pour protéger sa vision? ».
L’immunité est morte. Maintenant, tout se joue sur la glace. Et sur le banc.
Le mot "congédiement" sera bientôt sur toutes les lèvres.
