Il y a des morts qui sonnent comme des silences. Et dans ce silence, un seul homme a su mettre les mots justes.
Pas les mots formatés de circonstances, ni les adjectifs vides qu’on recycle à chaque hommage. Non. Des mots vivants, pesés, incarnés.
Ceux de Réjean Tremblay. Ce monument du journalisme a livré, sur les ondes de Radio-Canada, le témoignage le plus bouleversant, le plus vrai et peut-être le plus digne qu’on ait entendu sur Pierre Foglia,
Pas un éloge convenu. Un hommage de pair à pair. D’un géant à un autre. D’un homme vrai à l’homme le plus vrai qu’il ait jamais connu.
« Foglia, ça fait partie de ma vie depuis 1972 », a commencé Réjean Tremblay, d’une voix remplie par l’émotion mais ferme.
C’est une histoire d’admiration, mais aussi de respect, de métier, d’observation et d’amitié évidente.
Leur première rencontre remonte aux Jeux du Québec à Chicoutimi, où Tremblay était alors journaliste bénévole. Foglia, lui, signait une page par jour pour Montréal-Matin. Mais ce n’était pas n’importe quelle page. Ce n’était pas le compte rendu classique qu’on voit dans les quotidiens de l’époque
« J’ai compris quelque chose bien vite à le voir travailler, parce que quand on lisait le lendemain, c’était complètement différent de tout ce que les autres avaient pu écrire », se souvient Tremblay. Foglia arrivait à 9 h le matin et repartait à 11 h le soir. Quatorze heures de travail pour une page.
C’est là, dans ce détail, que réside toute la grandeur de Pierre Foglia. Avant d’être un libre penseur, un styliste, un provocateur ou un penseur, il était un ouvrier du mot. Un artisan acharné, obsessionnel du mot juste.
Réjean Tremblay le dit avec force :
« Foglia travaillait comme un animal pour ramasser les faits, pour trouver le mot juste. »
Et s’il fallait rappeler un fait méconnu du grand public, c’est que Foglia n’était pas d’abord un chroniqueur : il était un reporter. Un bûcheur. Un gars de terrain.
« Avant de commencer à écrire des chroniques, quand il allait sur une job, c’était l’accumulation de faits, de détails, de ce qui se passait dans les coulisses. »
Il allait voir, il sentait, il respirait les lieux. Il parlait aux gens, il fouillait dans leurs regards. Il cherchait l’humanité avant l’angle. Et c’est pourquoi, affirme Réjean Tremblay, « c’est le meilleur que j’ai jamais lu. »
Tremblay a lu tellement de journalistes et d'écrivains dans sa vie. En français, en anglais, en espagnol, en italien… et même un peu en roumain, dans ses nombreux voyages en Formule 1 et aux Jeux olympiques.
Mais personne, absolument personne, n’égalait Foglia.
« J’ai jamais lu quelqu’un qui était meilleur que Foglia. Dans les langues que j’étais capable de lire… peut-être qu’il y a un Asiatique, un Japonais ou un Russe, mais je ne l’ai pas lu. De ce que j’ai lu, c’est le meilleur que j’ai jamais lu. »
Ce qui distinguait Pierre Foglia de tous les autres, c’était sa capacité à parler de l’âme humaine, même dans les pages sportives.
Quand il couvrait le Tour de France, il ne nous racontait pas seulement qui avait gagné l’étape ou combien de watts avaient été développés dans l’ascension de l’Alpe d’Huez.
Non. Il nous ramenait au pied de la montagne, chez un cultivateur qui avait vu les coureurs passer. Tremblay nous explique parfaitement à quel point la force de son ami était l'humanité de sa plume.
« Foglia, il faisait le Tour de France, puis souvent, l’histoire qu’il racontait la journée, c’était un cultivateur qui avait regardé passer des coureurs. Je sais pas pourquoi, mais Foglia pensait à le décrire, à le faire vivre, à le faire respirer. Puis des fois, c’est ce cultivateur-là qui nous racontait la tension, la fatigue, comment ça avait été dur en haut de la montagne. »
Parfois, c’était un motard de la caravane publicitaire, attiré par les caméras. Foglia choisissait ce détail, cet angle mort, pour mieux nous faire comprendre l’ensemble.
Chaque chronique de Foglia était une plongée dans les passions humaines :
« Ça pouvait être un peu heureux, un brave, un courageux. C’était l’amour, c’était la haine, c’était la lâcheté. »
Et dans tout ça, Foglia ne se donnait pas le beau rôle. Quand il se savait lâche, il le disait. Il se flagellait même parfois. Il écrivait :
"J’ai été trou de c...." Et il expliquait pourquoi.
« Et ça lui permettait d’aller beaucoup plus loin et de nous toucher dans ce qui s’était vraiment passé, comment les gens s’étaient comportés. »
Ce n’était pas du journalisme. C’était de la vie à l’état brut.
Foglia, c’était l’anti-vedette.
« Il adorait me voir, me piquosser, » raconte Tremblay. Eux deux, c’était le jour et la nuit. Tremblay, flamboyant, télévisuel, le gars de Lance et compte, de Casino, de Scoop, un homme d’action et de tribune.
Foglia, lui, en retrait, fuyant les projecteurs, fuyant les mondanités. Il écrivait dans sa tanière, avec ses chats, sa machine à écrire, son vélo hors de prix et son auto cabossée.
« Dans la vie, son vélo valait 12 fois le prix de son auto… il avait payé 600 piastres, puis il avait un vélo de 5-6 000» dit Tremblay en riant. Une anecdote qui en dit long.
Un jour, Pierre Péladeau, le fondateur de Québecor, a tenté le grand coup : amener Foglia et Tremblay au Journal de Montréal. Il voulait les deux. Mais Foglia, fidèle à ses valeurs, a refusé.
« Bleuet, as-tu eu une invitation toi aussi pour aller manger avec M. Péladeau ? J’ai dit oui. Bien, il m’a dit, vas-y donc, parce que moi, j’ai pas de complet. Ça me gêne. »
C’est Tremblay qui s’est présenté au Club Saint-Denis pour entendre l’offre. Finalement, cela a eu pour effet indirect de créer un poste de chroniqueur à La Presse.
Parce que Foglia, il était marié à ce journal. « Gros Bleuet, si jamais tu passes au Journal de Montréal, je vais te tuer, » lui a-t-il lancé.
Mais au-delà de l’amitié, Tremblay a livré une vérité essentielle que peu de gens comprennent encore aujourd’hui, dans l’ère des réseaux sociaux, des opinions à deux lignes et des textes de bas-étage : le style, ce n’est pas l’improvisation.
Le style, chez Foglia, c’était du travail.
« Foglia était l’idole de plein de jeunes journalistes, mais il n’y en a pas un qui l’idolâtrait, qui était capable de travailler 10 heures pour un texte de 700 mots. »
Ce qui se lisait comme une soupe chaude, facile, fluide, avait été arraché mot par mot. Écrit, réécrit, jeté, recommencé.
« Le bonheur d’écrire, disait Foglia, c’est quand t’as enfin fini. »
Cet homme, que la télévision, Instagram, Facebook, les selfies et les photos de latte au soya laissaient totalement indifférent, a été notre plus grand. Il ne voulait pas être vu. Il voulait que ses textes nous voient. Qu’ils nous regardent en face. Et qu’ils nous révèlent.
Foglia, c’est celui qui a prouvé que le journalisme n’était pas une affaire de scoop ou de buzz, mais de regard, d’éthique, de rigueur, d’humanité. Un journaliste pour qui écrire, c’était saigner. Et ça, Réjean Tremblay l’a compris mieux que personne.
Il fallait un grand pour dire adieu à un autre grand. Et quand Réjean Tremblay a parlé de Foglia sur les ondes de Radio-Canada, ce n’est pas un hommage qu’on a entendu. C’était un cœur qui battait pour un autre. Et dans ce battement, on a compris que le grand Foglia était peut-être parti… mais jamais oublié.
Pierre Foglia, c’était « le meilleur que j’ai lu », disait Tremblay.
C’est aussi, pour des milliers de lecteurs, le plus grand à jamais. Le Gretzky du mot. Le maître du détail. L’âme d’un peuple couché sur papier.
Et seul Réjean Tremblay pouvait livrer un témoignage à la grandeur de l'homme.