Il y a des nouvelles qui vous percent l’âme. Des nouvelles qu’on redoute, qu’on pressent, mais qui, une fois confirmées, laissent un vide profond.
Ce matin, c’est Réjean Tremblay, dans un texte d’une rare humanité publié sur Punching Grace, qui nous a arraché les larmes des yeux.
Un texte tout simple, mais d’une puissance foudroyante : Tom Lapointe est en soins palliatifs. Son combat tire à sa fin.
Le nom de Tom Lapointe résonne dans la mémoire collective comme celui d’un géant du journalisme sportif québécois.
Mais réduire Tom à son métier, ce serait insulter l’homme qu’il était. Car au-delà du chroniqueur flamboyant, du scoop légendaire de l’échange de Wayne Gretzky, de l’animateur, du rêveur, du joueur de balle-molle et du pionnier, il y avait un être humain sincère, entier, intense, flamboyant, parfois imprudent… mais toujours habité d’une passion dévorante : raconter. Essayer. Vivre.
C’est dans une chambre de la Maison des soins palliatifs de la Rivière-du-Nord, à Saint-Jérôme, que Tom Lapointe attend aujourd’hui la fin.
Le corps épuisé par un cancer de la prostate qui s’est propagé aux os, la voix fragile, mais l’esprit toujours vif. Quand Réjean Tremblay lui a parlé, les deux vieux amis ont parlé à cœur ouvert. Ils ont parlé de souvenirs, de ratés, de sommets, de rêves avortés. Et surtout, ils ont parlé de ce qui reste quand tout s’efface : la dignité d’avoir essayé.
Tom n’a jamais eu peur d’échouer, parce qu’il n’a jamais cessé d’essayer. Il le dit lui-même à Réjean, dans ce moment suspendu où la vérité se dévoile sans fard :
« J’aurai essayé. J’ai essayé. J’ai essayé sans abandonner. J’ai essayé en journalisme et je pense avoir réussi. J’ai essayé en radio et télé, et j’ai réussi. J’ai essayé aussi fort en production mais je n’ai pas réussi. »
Cette phrase résonne comme une une vérité cruelle, mais vraie. Pas de faux semblants. Pas de grands discours. Seulement un homme debout au seuil de sa vie, qui regarde en arrière et peut dire, sans honte ni amertume : j’ai donné tout ce que j’avais.
Tom Lapointe restera à jamais l’homme qui, en 1988, a annoncé en primeur le plus grand échange de l’histoire de la LNH : Wayne Gretzky, le plus grand joueur de tous les temps, quittait les Oilers d’Edmonton pour les Kings de Los Angeles. C’était un 6 août. Et c’est un journaliste du Québec, Tom Lapointe, qui a brisé la nouvelle avant TSN, ESPN, The Hockey News ou n’importe qui d’autre.
Son secret? Il connaissait les bonnes personnes. Il écoutait. Il observait. Il faisait confiance à son instinct et à ses contacts.
Pat Brisson, qui deviendra plus tard le super-agent de la LNH, s’était un peu « échappé » lors d’une conversation. Luc Robitaille, un ami proche depuis la fin de son junior avec les Olympiques de Hull, avait laissé entendre que quelque chose de gros se préparait. Tom a connecté les points. Il a fait confiance à son flair. Et il a eu raison.
À l’époque, tout le monde démentait. Même à Edmonton, on hurlait à la rumeur farfelue. Mais Tom tenait son bout. Et trois jours plus tard, la bombe éclatait officiellement : Gretzky devenait un King. Et Tom entrait dans la légende.
Mais Tom, ce n’est pas seulement un scoop. C’est aussi un homme qui a su se faire aimer par les plus grands. Comme le décrit si bien Tremblay.
"Et quel journaliste a été invité aux noces de Gretzky et de Janet Jones? Quel journaliste allait manger avec Mario Lemieux, qui donnait une ride à Luc Robitaille et sirotait une flute de champagne avec Guy Lafleur?"
Tom Lapointe n’était pas un simple chroniqueur. Il était de la famille. Il était un frère de vestiaire. Un confident. Un gars qui parlait le langage du hockey, mais aussi celui du cœur.
Le livre qu’il a publié, Mes mille et une vies, porte bien son nom. Car Tom Lapointe, c’était une existence faite de hauts vertigineux et de bas douloureux.
Après la gloire des années 80 et 90, il a connu des traversées du désert. Il s’est retrouvé itinérant à Paris, rêvant encore de produire des jeux télévisés. Il a convaincu des investisseurs, tenté de vendre des concepts, parfois avec succès, souvent dans l’échec. Mais il n’a jamais cessé d’y croire.
À Paris, Gilbert Rozon lui a même offert un poste de dépisteur de talents dans les petites salles. En Floride, il a lancé son propre talk-show, le Showtom, avec des invités prestigieux. Il s’est réinventé, encore et encore. Toujours convaincu que le prochain projet serait le bon.
Et même ces derniers mois, malgré la maladie, il préparait encore ses chroniques pour Radio X avec soin. Comme si le micro allait encore sonner. Comme si le rêve ne mourait jamais.
Réjean Tremblay n’a pas écrit un article. Il a tendu la main à un frère. Son texte sur Punching Grace est un cri du cœur. Une dernière accolade. Un aveu d’admiration, d’amitié, et de respect.
« Vous pouvez maintenant écrire ce que vous voulez à son sujet », écrit Réjean.
« Vous pouvez juger. Mais je sais que Tom Lapointe a gravi sa montagne, en a déboulé et a toujours essayé de regrimper au sommet par une autre voie. »
Ce n’est pas rien, dans un monde de faux-semblants, que d’être salué par le plus grands chroniqueurs sportif de l'histoire du Québec. Et Réjean a raison : Tom Lapointe, c’est un héros tragique. Mais un héros quand même.
Aujourd’hui, Tom Lapointe repose dans un lit d’hôpital, entouré des siens. Son frère, sa sœur, ses proches l’accompagnent. Et nous, du fond du cœur, nous l’accompagnons aussi.
Parce qu’on se souvient du feu dans ses yeux quand il racontait une histoire. De sa voix poignante dans un micro. De sa prose vive, tranchante, unique. De son sourire charmeur. De sa naïveté parfois déconcertante. De sa grandeur humaine, surtout.
Tom, tu as été un modèle pour toute une génération de journalistes. Tu nous as montré qu’il fallait croire en ses rêves, quitte à s’y brûler les ailes. Tu as tout donné. Et aujourd’hui, alors que le rideau tombe doucement, on te rend les honneurs que tu mérites.
Merci. Merci pour tout.
Et surtout, n’arrête jamais d’essayer.
Car comme l’écrit Réjean Tremblay avec une tendresse bouleversante :
« Tu écriras Mes mille et trois vies. Pourquoi s’arrêter à deux? »