Pensées pour Michel Bergeron: un dernier cri du coeur

Pensées pour Michel Bergeron: un dernier cri du coeur

Par David Garel le 2025-09-21

Michel Bergeron fêtera ses 80 ans à la fin de la prochaine saison. Dans l’entrevue accordée à Jean-Nicolas Blanchet, journaliste du Journal de Montréal, « Le Tigre » a laissé planer une lourde possibilité : celle que ce soit sa dernière saison comme analyste à TVA Sports.

Pour lui, cette fin ne serait pas une surprise. Ce qui surprend, c’est de voir à quel point l’homme, pourtant rugissant pendant des décennies, semble aujourd’hui épuisé par le poids des critiques, des regrets, et d’une carrière qui s’éteint dans la douleur plus que dans la gloire.

Dans ses propres mots, Michel Bergeron a reconnu :

« Je veux prendre la décision, mais en même temps, j’aimerais ça aussi qu’il (mon patron L-P Neveu) la prenne. Je ne veux pas encombrer. »

Ce simple aveu dit tout. Bergeron, le coach autoritaire, celui qui exigeait toujours le contrôle total de ses équipes et de ses débats en plateau, demande maintenant à ce qu’on prenne la décision pour lui.

Comme s’il reconnaissait ne plus avoir l’énergie nécessaire pour s’imposer, ni même pour assumer le choix ultime de quitter la scène. Il avoue aussi entendre les critiques :

« Je le sais, qu’il y en a plein qui disent que je devrais me retirer et que je n’arrête pas de radoter sur les Nordiques et les Stastny. »

Cet humour amer masque mal la blessure profonde. Car s’il en parle, c’est que ça l’atteint. Et cela contredit l’image du « Tigre » qui n’écoutait jamais personne.

Avant même cette entrevue, Michel Bergeron avait déjà ouvertement parlé de ses regrets. Sa vie familiale abîmée par une carrière envahissante, ses excès de santé, son rythme destructeur. Il l’a avoué lui-même :

« Je fumais, je ne dormais pas, je mangeais n’importe quand. Une vie tout croche. »

Ces sacrifices, il les a faits au nom du hockey, au nom de sa passion. Mais le prix à payer fut lourd : un pacemaker, une santé fragile, et surtout, des blessures familiales qu’il n’a jamais totalement pansées.

On le sent aujourd’hui dans ses propos, dans cette nostalgie constante des Nordiques, dans ce refus d’accepter que le monde ait avancé sans lui.

Bergeron le sait : le public lui reproche de toujours parler des Nordiques, de Stastny, de cette époque révolue. Mais lui ne peut s’en détacher.

« Ce sont mes souvenirs à moi. Est-ce que je devrais ne pas les partager? Peut-être. Mais quand on parle des Nordiques, ç’a été des années extraordinaires. Je ne peux pas me sortir ça de la tête! »

Ces souvenirs sont sa bouée, son refuge, mais aussi sa prison. Car chaque fois qu’il les ramène, il alimente le reproche de « radotage ». Lui, l’homme qui détestait répéter, est devenu prisonnier de ses propres histoires.

Ce qui le rend encore plus vulnérable, c’est son refus obstiné de revenir sur ses attaques les plus dures. Pendant deux ans, il s’est acharné sur Martin St-Louis.

« C’est un coach pee-wee! », avait-il lancé.

« Le CH n’a aucune identité avec St-Louis! »

« C’est fini. Ce gars-là n’a pas d’affaire dans la LNH! »

Il a réclamé son congédiement, il a méprisé sa méthode, il a moqué sa patience. Or, aujourd’hui, Martin St-Louis est vénéré, Martin St-Louis est aimé, Martin St-Louis est en train de devenir une légende moderne. Et Bergeron, lui, refuse de s’excuser.

Pire : il se terre. On l’a moins vu sur TVA Sports, comme si la chaîne elle-même voulait le protéger de ses excès et de son entêtement.

L’entrevue avec Blanchet a montré un Bergeron lucide. Il sait que les gens en ont assez. Il l’a dit clairement :

« Mes enfants me disent : “Arrête donc!” »

Ce n’est plus seulement un débat de hockey. Ce sont ses proches qui l’implorent de lâcher prise. Son épouse, ses enfants, tous voient les effets néfastes des critiques sur lui.

Et malgré son rire, malgré sa carapace de Tigre, Michel Bergeron encaisse. Lui qui riait autrefois de ses détracteurs n’arrive plus à s’en détacher.

Ce qu’on oublie trop souvent, c’est à quel point Michel Bergeron a tout donné au hockey. Entraîneur à Québec, figure mythique des Nordiques, puis analyste pendant 35 ans, il a mis de côté ses amis, sa famille, ses amours. Dans un rare moment de sincérité, il avait confié :

« J’ai fait plein d’erreurs dans ma vie personnelle, à force d’être toujours sur la route, à vivre au rythme du hockey. »

Ce n’est pas rien pour un homme de son trempe d’admettre avoir tout sacrifié pour une carrière. Mais ces sacrifices sont revenus le hanter.

Aujourd’hui, ils expliquent son acharnement à rester en ondes. Parce que sans hockey, sans caméra, sans micro, que reste-t-il de Michel Bergeron?

L’image de Bergeron est aujourd’hui paradoxale. D’un côté, il reste capable de fulgurances spectaculaires, comme lorsqu’il a récemment prédit le but gagnant d’Auston Matthews contre les Panthers lors du 6e match Floride-Toronto en prolongation, à la surprise générale.

Ce soir-là, Dave Morissette et Éric Fichaud l’ont applaudi, et le Québec a vu que le Tigre pouvait encore mordre. Mais d’un autre côté, il y a ses silences sur St-Louis, son refus d’avouer qu’il s’est trompé, ses éclats de colère incontrôlables à LCN, ses absences répétées à TVA Sports.

Michel Bergeron veut qu’on décide pour lui. Il le dit. Il le répète. Et c’est là le signe le plus fort que la fin approche. Ce n’est plus lui le maître du jeu. Ce n’est plus lui qui dicte la partie.

À 80 ans, il est encore capable de sortir une prédiction géniale, d’arracher un éclat de rire, de tenir une phrase qui marque. Mais il est aussi prisonnier de ses obsessions, de ses critiques passées, de ses regrets personnels.

La vérité, c’est que Michel Bergeron est à la croisée des chemins. Doit-il tirer sa révérence, partir avant que l’image ne s’abîme davantage, ou s’accrocher encore un peu, au risque de ternir un héritage immense?

Une chose est sûre : Michel Bergeron n’est plus seulement un commentateur. Il est devenu une leçon vivante sur le prix de la gloire, sur les sacrifices du sport, et sur la difficulté de vieillir dans un monde où l’on n’oublie rien...