Propos inquiétants: Jeff Gorton a peur de regretter Logan Mailloux

Propos inquiétants: Jeff Gorton a peur de regretter Logan Mailloux

Par Marc-André Dubois le 2025-07-10

Il a beau être à Cape Code, en famille, dans un rare moment de repos, Jeff Gorton ne décroche jamais complètement.

Et quand il se penche sur la transaction qui a envoyé Logan Mailloux à Saint-Louis contre Zachary Bolduc, une chose saute aux yeux : le vice-président des opérations hockey du Canadien de Montréal espère de tout cœur ne pas avoir fait une erreur.

Il l’a dit avec subtilité. Mais à travers ses longues réponses dans l’entrevue accordée au balado Basu & Godin Notebook, les mots trahissent un léger vertige. Comme un DG qui sait qu’il vient peut-être de céder une bombe… et que cette bombe pourrait exploser ailleurs, sans filet.

« Il n’y a pas des tonnes de Logan Mailloux dans un bassin d’espoirs »

Jeff Gorton n’a pas besoin de dramatiser. Il suffit de l’écouter parler de gestion d’actifs. Et surtout, répéter deux fois cette phrase :

« Il n’y a pas des tonnes de Logan Mailloux dans un bassin d’espoirs. Il n’y a pas des tonnes de choix de première ronde non plus. Il faut faire attention. »

Le ton est posé. Mais la phrase pèse lourd. Gorton sait qu’il a cédé un espoir au gabarit rare, au tir lourd, à la personnalité… explosive. Il ne parle pas ici d’un simple échange de profondeur. Il parle d’un sacrifice — le genre de décision qu’on prend avec une boule dans la gorge.

Pourquoi l’avoir fait alors? Parce qu’il fallait obtenir Zachary Bolduc. Parce qu’il fallait s’attaquer à la faiblesse chronique à l’aile gauche. Parce que, pour une fois, on pouvait miser sur un jeune Québécois déjà aguerri dans la LNH, avec un potentiel de 25 à 30 buts.

Mais Gorton le sait : Bolduc est une projection. Mailloux, lui, est un phénomène.

Et c’est peut-être là que le malaise commence. Parce que dès le moment où il est arrivé à Saint-Louis, Logan Mailloux a imposé un ton.

Il a refusé les comparaisons faciles. Surtout celle avec Evan Bouchard, pourtant reconnu comme l’un des défenseurs offensifs les plus productifs du circuit.

« Pour être franc, je ne vois pas vraiment de similarités entre moi et Bouchard. »

« J’aime son tir, son travail à la ligne bleue. Mais moi, ce n’est pas ça. Je suis un joueur plus physique, plus complet. Je me compare plus à Pietrangelo, à John Carlson. J’aime jouer avec du mordant. »

C’est dit. Froidement. Sans détour. Mailloux ne veut pas être un défenseur moderne au flair offensif. Il veut être un monstre.

Il se présente comme un défenseur méchant, intimidant, dominateur. Il veut qu’on le respecte pour sa robustesse, sa hargne, sa capacité à faire mal. Et dans ce ton-là, dans cette absence totale de modestie, Gorton a senti le risque.

C’est pour ça que le vice-président hockey du CH a évoqué, dans la même entrevue, la prudence nécessaire pour la suite de l’été. Il ne veut pas sacrifier un autre choix de première ronde. Il ne veut pas perdre un autre profil unique comme Mailloux.

« Il faut être très, très raisonnable. On n’a pas assez de profondeur pour faire ça trois ou quatre fois. Il faut garder de quoi si une occasion se présente. »

Et on sent qu’il vise le centre numéro deux. Il regarde le marché. Il parle de scénarios de défenseur contre attaquant. Il cherche la perle. Mais il ne veut plus hypothéquer l’avenir pour remplir un vide immédiat.

Mailloux, dans cet esprit, a été le prix à payer une seule fois.

Et maintenant, tout dépend de ce que Bolduc deviendra. Gorton le connaît bien. Il le suit depuis ses 16 ans. Il a été frappé par sa progression à Rimouski et à Québec.

Il croyait déjà, en 2021 à la télé américaine, que les Blues venaient de repêcher un futur « top 6 attaquant pour quelqu’un. » Ce quelqu’un, ce sera Montréal.

« Ce qui nous excite chez Bolduc, c’est son développement comme ailier de puissance. Il va dans les zones payantes, il gagne ses batailles, il est physique. Il a marqué 19 buts sans avoir de stabilité de trio. »

Mais même en lançant ses fleurs à Bolduc, on sent le pincement. Ce n’est pas une déclaration triomphante. C’est une espérance. Une prière.

Car si Mailloux perce rapidement à Saint-Louis, si son profil agressif devient la pierre angulaire de la brigade des Blues, la pression va remonter en flèche.

On le voit déjà dans les commentaires de partisans à Saint-Louis. Les comparaisons fusent : Charlie McAvoy, Brent Burns, Alex Pietrangelo, même Aaron Ekblad.

Et Mailloux, fidèle à lui-même, les accueille comme des évidences. Il veut frapper. Il veut faire mal. Il veut s’imposer dans le top 4 dès cet automne. Et si la place lui est donnée, il ne reculera pas.

À Montréal, on veut croire qu’il allait bloquer Reinbacher, que Dobson rendait sa présence inutile, que la logique à droite de la ligne bleue forçait la décision. Mais personne n’ose dire qu’il n’était pas bon. Tout le monde sait que Logan Mailloux est un futur défenseur vedette dans la LNH.

On a échangé un profil qu’on n’a pas en double. Et Gorton le sait.

Et pendant que Gorton tente de se convaincre, à Saint-Louis, on digère encore mal l’échange. Notamment dans le vestiaire. Mathieu Joseph a mis les mots sur ce que plusieurs pensaient tout bas.

« C’est un bon kid, honnêtement. Il travaille fort, il aime vraiment le hockey. C’est un pur marqueur. Il a tellement un bon tir. »

« On l’a pris sous notre aile, mon frère et moi. On a ri ensemble, on a soupé, on a passé du temps. Ça m’a fait un petit coup qu’il parte, évidemment. »

Et surtout, cette phrase :

« J’ai ben de la misère à croire qu’on s’est débarrassé d’un potentiel comme ça… mais bon, regarde, c’est le business. »

Ce n’est pas une attaque verbale envers son DG. Mais c’est un aveu d’incompréhension. Le vestiaire des Blues a perdu un joueur apprécié, respecté. Et il a reçu en retour un coéquipier… bruyant.

Jeff Gorton a fait son pari. Il a lâché un défenseur polarisant pour obtenir un ailier québécois prêt à contribuer maintenant. Mais il sait que si Bolduc plafonne… et que Mailloux explose, le prix politique sera énorme.

Il a déjà donné Logan Mailloux. Il ne donnera pas Michael Hage. Ni David Reinbacher. Ni son choix de première ronde 2026. Il veut éviter d’être celui qui aura sacrifié les fondations pour des ajustements tactiques.

Et si la transaction Bolduc-Mailloux devient l’équivalent moderne de Sergachev-Drouin? Il faudra en assumer le poids. Il le sait.

Il a le sourire calme des hommes qui contrôlent le feu… mais qui sentent la chaleur monter.

Jeff Gorton ne regrette pas encore la transaction.

Mais il espère qu’un jour, ce ne soit pas Logan Mailloux qui lui fasse regretter d’y avoir cru.