C’est un retournement historique dans le paysage radiophonique québécois.
Une victoire douce, presque gênée, mais d’une portée symbolique monumentale. Pour la première fois depuis plus de 20 ans, la matinale du 98,5 FM n’est plus au sommet.
Et ce n’est ni une star de la radio d’opinion, ni un ancien politicien reconverti en polémiste qui a réussi cet exploit. C’est Patrick Masbourian, un homme discret, méthodique, authentique, qui a renversé la montagne sacrée qu’était le 98,5 et ce, dès la première saison de Patrick Lagacé dans le trône du matin.
Masbourian n’est pas de ceux qui dansent sur les ruines de leurs adversaires. Mais aujourd’hui, il sort de son silence. Et son message est clair : il a gagné sans tricher, sans crier, sans trahir sa mission.
Le 98,5 FM, c’était l’empire. Paul Arcand y régnait depuis deux décennies comme l’incontestable roi des ondes. Quand il a annoncé sa retraite, la transition s’annonçait périlleuse, mais Cogeco misait gros sur Patrick Lagacé, son nouveau morning man.
Journaliste sans pitié, franc-tireur assumé, Lagacé avait toutes les qualités pour reprendre le flambeau : notoriété, mordant, influence médiatique.
Mais la réalité fut brutale. Dès sa première année, malgré la campagne publicitaire tapageuse, malgré sa présence omniprésente à La Presse et à la radio, Patrick Lagacé s’est fait battre. Et pas par un nouveau venu. Par Patrick Masbourian, un artisan de la radio publique, un homme de contenu, de rigueur et d’humilité.
Avec son émission Tout un matin, Masbourian a tranquillement grignoté les parts de marché. Et au printemps dernier, la bombe est tombée : ICI Première avait pris la tête de la radio matinale montréalaise avec 29,2 % des parts d’écoute. Le 98,5, jadis intouchable, était détrôné.
Interrogé par La Presse, Patrick Masbourian ne se vante pas. Il parle de culpabilité envers sa femme et ses enfants, de sacrifice familial, de travail d’équipe, et non de gloire personnelle.
Il parle de ses enfants, de sa conjointe qui a dû déménager en Estrie avec eux, pendant que lui vit seul en semaine dans un petit appartement à Longueuil, à deux pas des studios de Radio-Canada.
« J’ai pleuré lundi quand j’ai quitté la maison », confie-t-il.
« Quand on habitait tous ensemble, j’étais là physiquement, mais en réalité, je n’étais pas vraiment là. »
Et c’est peut-être là le secret. Là où Lagacé brandit sa rigueur, ses opinions, son mordant, Masbourian offre de la chaleur humaine, de la sincérité, du calme. Il ne cherche pas à provoquer. Il cherche à comprendre. Il n’incarne pas le pouvoir, mais l’écoute.
Une recette simple, mais révolutionnaire.
Pas de grand plan machiavélique, pas de personnage médiatique surjoué. Patrick Masbourian a vaincu par l’humilité.
Il n’a jamais prétendu vouloir battre Paul Arcand. Il n’a jamais promis de révolutionner les matins. Il a pris le temps, il a construit patiemment, il a fait confiance à son équipe, et surtout, il n’a jamais trahi son ADN.
« Paul Arcand était indétrônable », a-t-il répété.
« Moi, je n’ai pas cette voix-là. Je ne cherche pas à lui ressembler. »
Et pourtant, il a gagné. Pas parce qu’il était plus fort que Lagacé dans les affrontements verbaux. Mais parce qu’il était plus stable, plus rassembleur, plus humain. Dans une époque saturée de bruit, de clashs et de postures, Masbourian a misé sur le silence, la constance, l’authenticité. Et c’est ce que le public a choisi.
Il faut aussi souligner l’arrivée déterminante de Pierre-Yves McSween à Radio-Canada. Ancien chroniqueur au 98,5, son transfert vers ICI Première en décembre dernier a été un électrochoc. Sa rigueur, sa popularité, son accessibilité financière ont séduit un large auditoire.
De son côté, Patrick Lagacé refuse de baisser les bras. Dans une autre entrevue donnée à La Presse, il affirme vouloir rester à son poste encore dix ans. Il avoue avoir souffert à l’annonce des chiffres. Il reconnaît avoir été trop incisif, trop nerveux en début de parcours. Mais il ne quitte pas le navire.
« La radio est un média d’habitude. Les gens vont revenir », espère-t-il.
Mais ce que Lagacé refuse d’admettre, c’est que le public ne veut plus d’habitude, il veut de la cohérence. Il ne veut plus de chroniqueurs arrogants, il veut des voix qui rassurent, qui informent sans diviser.
Et malgré tous les efforts, le départ controversé de Pierre-Yves McSween a fragilisé le modèle Lagacé.
Masbourian ne doit rien à personne. Il n’a pas hérité d’un empire. Il ne s’est pas imposé comme star de télé. Il a travaillé fort, en silence, depuis des années.
Il a construit un lien de confiance avec ses auditeurs. Il a accepté les critiques, y compris celles de l’ombudsman de Radio-Canada lorsqu’il a été blâmé partiellement pour son entrevue avec Haroun Bouazzi.
Même au sommet, Patrick Masbourian n’a pas été à l’abri de la controverse. À l’automne 2023, une entrevue qu’il a menée avec le député de Québec solidaire a semé un malaise évident sur les ondes d’ICI Première.
Convoqué à son micro alors qu’il faisait l’objet d’une polémique pour avoir évoqué le « racisme systémique à l’Assemblée nationale », Bouazzi n’a pas eu le temps de respirer.
Dès les premières secondes, Masbourian lui a lancé une phrase-choc :
« J’espère que vous arrivez ici avec l’intention de vous excuser ce matin. »
Un accueil abrupt, qui a immédiatement teinté le ton de l’entrevue. Pour plusieurs auditeurs, cet échange a été salué comme une démonstration de fermeté, d’alignement moral et de rigueur journalistique.
Mais pour d’autres, notamment plusieurs défenseurs de la neutralité journalistique, Masbourian avait franchi une ligne.
Une plainte formelle a été déposée auprès de l’ombudsman de Radio-Canada, qui a mené une enquête interne. Après analyse, l’ombudsman a conclu que Patrick Masbourian avait enfreint le principe d’équité en ouvrant l’entrevue avec une formule accusatrice plutôt qu’avec une question factuelle.
Le blâme était partiel : l’entrevue dans son ensemble respectait les standards de Radio-Canada, mais l’introduction avait manqué d’objectivité, surtout de la part d’un animateur du service public. Plutôt que de s’en défendre, Masbourian a immédiatement reconnu sa faute.
« J’accepte le blâme. Plutôt que de lui poser une question tendancieuse, j’aurais dû l’accueillir avec une formule plus factuelle », a-t-il déclaré.
« Si cette entrevue-là était à refaire, je la referais différemment. Mais elle ne s’est pas non plus déroulée comme je l’avais prévu. J’ai été trop spontané. »
Cette autocritique publique, rare chez les animateurs d’envergure, a marqué les esprits. Pas d’excuse déguisée, pas d’attaque contre l’ombudsman, pas de repli défensif.
Juste un homme qui reconnaît s’être laissé emporter par l’émotion et qui en tire une leçon. Cette capacité d’introspection a paradoxalement renforcé sa crédibilité, confirmant que Masbourian n’était pas un simple lecteur de bulletins, mais un animateur conscient de sa responsabilité éthique, capable de se remettre en question.
« J’accepte le blâme. J’aurais dû formuler autrement. »
Là où d’autres se défendent, se victimisent ou se défilent, Masbourian assume. Et c’est peut-être ce courage tranquille qui l’a mené là où il est aujourd’hui : au sommet.
Le duel Lagacé-Masbourian ressemble de plus en plus à une rivalité générationnelle et stylistique. D’un côté, le chroniqueur, bavard, omniprésent, obsédé par le contrôle du récit. De l’autre, l’animateur modeste, constant, résilient, et profondément humain.
La saison 2025-2026 sera décisive. Patrick Lagacé tentera de reconquérir son trône avec plus de nuances, en corrigeant ses erreurs de jeunesse radiophonique.
Mais Patrick Masbourian, lui, ne veut rien changer. Il veut rester lui-même, rester dans la légèreté, dans la convivialité, dans le plaisir de faire de la radio.
« Ce serait mentir de dire qu’il n’y a pas plus de pression maintenant. Mais est-ce qu’on va changer pour rester numéro un? La réponse, c’est non. »
Masbourian est revenu de loin. Il a construit brique par brique, contre toutes attentes. Il pourrait dominer pendant des années s’il continue avec la même cohésion, la même lucidité.
Patrick Lagacé, lui, devra faire comme les Panthers : s’adapter, changer de plan, rester alerte. Sinon, il risque de devenir la victime récurrente de ce nouveau règne.
Le triomphe de Masbourian doit aussi servir de leçon au 98,5 FM. Le poste de morning man ne se gagne pas avec des affiches publicitaires, mais avec de l’écoute, de la constance et du respect de l’intelligence du public.
L’ère Paul Arcand est terminée. Celle de Patrick Lagacé peine à s’imposer. Et pendant ce temps, Patrick Masbourian incarne peut-être ce que veut réellement le Québec en 2025 : moins d’ego, plus de contenu. Moins de bruit, plus de sens.
2025-2026 sera l’année de vérité. Est-ce que Masbourian sera un champion passager ou un nouveau pilier du matin québécois?
Pour l’instant, il est celui qui a vaincu Patrick Lagacé. Pas avec un uppercut. Avec une main tendue. Pas avec arrogance. Avec tendresse. Pas avec fureur. Avec constance.
Et c’est peut-être ce style tranquille, assumé, humain, qui fera de lui non seulement le champion d’un printemps… mais celui d’une décennie.