Même les génies se trompent. Même Jeff Gorton. Ce n’est pas un blasphème de le dire.
Ce n’est pas un crime de l’admettre. C’est simplement la réalité crue du métier de directeur général dans la LNH.
L’homme qui a bâti la base des Rangers de New York, celui que Geoff Molson a convaincu de relancer l’identité du Canadien de Montréal, celui qui semble toujours avoir trois coups d’avance… a déjà fait un choix catastrophique.
Un choix qui hante encore aujourd’hui son dossier comme une tache indélébile.
À l’été 2018, à Dallas, les Rangers détenaient le 9e choix au total.
Les projecteurs étaient braqués sur des défenseurs prometteurs comme Evan Bouchard et Noah Dobson, sur des attaquants complets comme Joel Farabee.
Mais Gorton a levé la main pour sélectionner un nom qui allait résonner dans le vide pendant des années : Vitali Kravtsov.
Un ailier russe au talent brut, mais au caractère instable, repêché avant une brochette de joueurs qui sont devenus des piliers dans la LNH.
Et aujourd’hui, ce même Kravtsov vient d’être largué par les Canucks de Vancouver, placé au ballottage inconditionnel pour rachat de contrat, sans même avoir réussi à s’imposer dans la Ligue américaine.
Il rentre en Russie, sans bruit, avec un contrat de trois ans à Traktor Chelyabinsk.
Et pendant que certains voudraient oublier cette page embarrassante, le fantôme de ce choix continue de flotter au-dessus de Jeff Gorton.
Le pire, c’est que Gorton ne pourra jamais vraiment se défendre.
Il ne pourra jamais dire qu’il n’avait pas le choix. Kravtsov n’était pas une sélection évidente.
Ce n’était pas une erreur partagée par tout le monde.
Au contraire : ce fut un pari solitaire. Un coup de poker raté, en pleine première ronde, dans une cuvée qui regorgeait de talents déjà mieux préparés à faire le saut.
Quand on regarde ce que sont devenus les joueurs repêchés juste après lui, le constat est accablant.
Evan Bouchard est devenu le quarterback de l’avantage numérique des Oilers.
Noah Dobson est un défenseur de calibre équipe Canada.
Joel Farabee joue un rôle de premier plan à Calgary.
K’Andre Miller est un pilier en Caroline.
Même des choix tardifs comme Rasmus Sandin, Ryan McLeod et Philipp Kurashev offrent aujourd’hui une valeur concrète à leur équipe.
Pendant ce temps, Kravtsov, lui, n’aura jamais disputé plus de 21 matchs dans une saison avec les Rangers.
Et il ne laisse derrière lui que de la frustration, des malentendus et des rumeurs d’attitude douteuse.
La vérité, c’est que cette erreur-là a coûté cher.
Ce n’est pas qu’un nom raté sur une feuille de repêchage.
C’est une occasion manquée de changer la trajectoire d’une franchise. À l’époque, les Rangers étaient en reconstruction.
Ils avaient besoin d’un morceau stable, fiable, capable de devenir une fondation pour la suite. Gorton a choisi une énigme.
Et si quelqu’un croit encore que Kravtsov est un accident de parcours isolé, il suffit de reculer à 2017 pour se souvenir d’un autre naufrage : Lias Andersson.
Septième choix au total. Un choix de prestige. Un joueur censé devenir le centre numéro deux de l’avenir.
Résultat? Une poignée de matchs, des allers-retours entre New York et Hartford, une demande de transaction, puis le vide.
Pendant ce temps, après lui, la cuvée débordait de joueurs qui, eux, sont devenus des piliers dans la LNH : Martin Nečas, Nick Suzuki, Josh Norris, Robert Thomas, Owen Tippett, Casey Mittelstadt, Gabriel Vilardi, Eeli Tolvanen, Jake Oettinger, Morgan Frost.
Tous des noms qui jouent, produisent et gagnent leur place chaque soir.
Lias Andersson, lui, n’aura laissé à New York qu’un goût amer et une médaille jetée dans les gradins du Championnat mondial junior.
Deux fois en première ronde ... Andersson en 2017, Kravtsov en 2018 ... Gorton a parié sur des joueurs qu’il croyait plus « intelligents que les chiffres ».
Deux fois, ça a explosé en plein visage. Et si aujourd’hui Montréal le voit comme un visionnaire, il ne faut pas oublier que même les visionnaires traînent leurs fantômes.
Jeff Gorton reste un bâtisseur respecté, un dirigeant au regard aiguisé, capable de flairer les talents qui changeront le visage d’une franchise.
Mais comme tout architecte, il laisse derrière lui quelques fissures dans les fondations.
Kravtsov. Andersson.
Ces noms ne disparaîtront jamais complètement. Ils rappellent que même les meilleurs peuvent se tromper, que la ligne est mince entre le génie et l’erreur de jugement.
Aujourd’hui à Montréal, Gorton a une chance de réécrire l’histoire.
Mais les souvenirs du passé rôdent toujours dans les couloirs.
Et c’est peut-être ça, au fond, le plus beau dans le sport : la possibilité de se racheter, un repêchage à la fois.
Ouch...
