Une phrase. Une seule. Lâchée presque comme une banalité, entre deux sourires polis, dans un épisode du balado The Basu & Godin Notebook.
Une phrase anodine, mais lourde de sens. Jeff Gorton n’a pas nommé de noms, mais il a dit ce qu’il fallait entendre :
« Je pense qu’on pourrait voir des échanges de hockey cet été… peut-être un défenseur contre un attaquant. »
Une formulation qui aurait pu passer inaperçue, n’eût été le contexte. Mais à Montréal, on connaît les codes. On sait lire entre les lignes.
Et ce que Gorton a probablement voulu dire, sans l’avouer, c’est ceci : le prochain à quitter, c’est Mike Matheson, et son billet de sortie pourrait s’appeler Ryan Nugent-Hopkins.
Tout pointe vers Edmonton.
Ce n’est pas un hasard si, quelques heures à peine après la diffusion de cet épisode du balado, la rumeur d’une transaction entre les Canadiens et les Oilers a recommencé à circuler avec insistance.
Selon plusieurs sources, les discussions sont bel et bien en cours entre les deux formations.
L’idée? Envoyer Mike Matheson à Edmonton pour combler leur déficit criant à la ligne bleue… et rapatrier Ryan Nugent-Hopkins à Montréal pour stabiliser une position de centre toujours aussi fragile.
Le match est logique. Presque trop parfait.
Les Oilers ont désespérément besoin d’un défenseur mobile capable de relancer l’attaque. Matheson coche toutes les cases.
Avec Evan Bouchard, il formerait un duo électrisant, rapide, offensif. Il a l’expérience, la fluidité, la créativité. Il peut jouer plus de 24 minutes par soir.
À moins que les Oilers décident de séparer les deux défensuers offensifs pour stabiliser leur ligne bleue.
Il est exactement le genre de joueur qu’Edmonton recherche pour éviter une autre humiliation en finale de la Coupe Stanley.
D’autant plus que leur offensive vient de se renforcer avec l’arrivée d’Isaac Howard, un ailier gaucher offensif qui peut littéralement prendre la chaise de Nugent-Hopkins sur le top 9.
Surtout que Nugent-Hopkins ne joue que très rarement au centre avec les Oilers.
C’est là que ça devient intéressant. L’acquisition surprise d’Isaac Howard par les Oilers, en retour de Sam O’Reilly, a peut-être été le coup de pouce final à cette transaction.
Howard, joueur NCAA de l’année, patine comme le vent, joue à l’aile gauche, et est prêt pour la LNH. Frank Seravalli a confirmé que le jeune homme allait amorcer la saison dans la formation partante des Oilers.
Or, quel poste Howard occupera-t-il? L’aile gauche. Exactement celui que Nugent-Hopkins a majoritairement occupé en séries, relégué derrière McDavid et Draisaitl au centre.
Résultat? Les Oilers viennent de se donner la permission, et surtout les moyens, de se départir de RNH. Et ça, Kent Hughes le sait.
Matheson est de trop, Gorton le dit à demi-mot.
À Montréal, la congestion à la ligne bleue est devenue ingérable. Noah Dobson vient d’arriver. Lane Hutson est là pour rester. David Reinbacher pousse de plus en plus fort. Kaiden Guhle est intouchable. Arber Xhekaj et Jayden Struble se battent pour un poste.
Et pourtant, Mike Matheson est encore là. Encore sur la première paire. Encore à droite. Encore dans le chemin.
Jeff Gorton a été cinglant :
« On a encore du travail à faire. »
Et ce travail, il concerne visiblement la défense. Son allusion à un échange défenseur-attaquant n’était pas gratuite. C’était un signal. Une piqûre de rappel. Un avertissement.
Jeff Gorton ne s’en est jamais caché : il reste du travail à faire. Malgré les acquisitions de Noah Dobson et Zachary Bolduc, le vice-président hockey du Canadien a reconnu, dans son entrevue avec Basu et Godin, que « tout n’était peut-être pas encore accompli » et que l’équipe pourrait encore bouger d’ici le camp d’entraînement.
Il a même précisé qu’avec la hausse du plafond salarial cette année, plusieurs équipes ont conservé de la marge de manœuvre et sont en position d’ajuster leur effectif.
Pour lui, « ce n’est pas parce que le 1er juillet est passé qu’on arrête de construire. Ce n’est pas comme une déclaration d’impôts qu’on dépose à la dernière minute. On a encore du temps pour peaufiner notre équipe. »
Il a même insisté sur le fait que la fenêtre actuelle du marché pourrait favoriser ce qu’il appelle des « échanges de hockey », des transactions d’impact impliquant des joueurs établis, et non de simples échanges de contrats ou de choix.
Dans ses mots, on sentait une ouverture, mais aussi une conviction :
« Il y a des équipes qui ont évalué leurs besoins, qui ont encore de l’argent à dépenser, et je pense qu’on va voir beaucoup de transactions ("one on one") dans les prochaines semaines. »
Difficile de ne pas y voir un clin d’œil direct à la congestion du CH à la ligne bleue… et au besoin criant d’un centre de deuxième trio.
La valeur de Mike Matheson est à son sommet.
À 30 ans, avec un contrat abordable de 4,875 M$ pour encore un an, Matheson représente une aubaine dans une LNH où les défenseurs de calibre top-4 sont rares. Il a produit 62 points il y a deux ans, et a encore été le défenseur le plus utilisé de Martin St-Louis l’an dernier. Malgré les critiques des partisans, les directeurs généraux de la ligue l’adorent.
À Edmonton, on ne se cache plus. On veut améliorer la défensive. On veut des vétérans fiables. On veut prouver à Connor McDavid qu’on ne gaspillera pas une autre année.
Matheson incarne ce qu’ils cherchent : vitesse, expérience, impact immédiat. Et son profil s’accorde à merveille avec le système rapide et vertical de Kris Knoblauch.
En retour, Ryan Nugent-Hopkins apporterait au Canadien exactement ce qui manque depuis trois ans : un deuxième centre fiable, droitier, complet, capable de jouer en avantage et en désavantage numérique.
Oui, il a 32 ans. Oui, il lui reste quatre ans de contrat à 5,125 M$ par saison. Mais dans le contexte d’un plafond salarial en hausse, ce contrat devient soudainement très raisonnable.
L’an dernier, RNH a amassé 49 points en saison régulière… et 20 points en 22 matchs en séries. Il reste productif, utile, et extrêmement polyvalent.
À Montréal, il jouerait derrière Suzuki en attendant Hage. Il permettrait à Ivan Demidov et Patrik Laine d’avoir un vrai ventre pour les appuyer. Et il ferait grimper les standards dans le vestiaire.
Kirby Dach? Trop fragile. Owen Beck? Pas prêt. Le CH a besoin de RNH maintenant.
C’est ce que Jeff Gorton appelle un « échange de hockey ». Deux joueurs établis, deux profils complémentaires, deux besoins énormes comblés des deux côtés. Pas d’espoirs. Pas de choix. Pas de salades. Juste du concret.
C’est rare. C’est risqué. Mais c’est exactement ce qu’il faut à ce moment-ci du cycle des deux équipes.
Et surtout, c’est possible.
Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que tout ce qui se passe à Edmonton depuis deux ans est motivé par la peur de perdre Connor McDavid. L’embauche de Knoblauch, il y a deux ans, son ancien coach du junior. L'embauche de Jeff Jackson comme président des Oilers... l'ancien agent de Connor McDavid.
Et maintenant, l’arrivée de Howard.
McDavid veut une Coupe. Maintenant. Et il veut une défensive capable de suivre le rythme. Nurse, Ekholm, Kulak... il manque une pièce mobile à gauche. Cette pièce, c’est Matheson, surtout qu'il peut aussi jouer à droite.
Si les Oilers font ce "move", ce n’est pas pour le fun. C’est pour la survie de leur ère.
Et pour Montréal, cette transaction permettrait aussi de libérer la voie à David Reinbacher. Fini les compromis. Fini de forcer Matheson à droite. Reinbacher-Hutson deviendrait le duo de l’avenir. Guhle-Dobson, celui du présent. Carrier et Xhekaj, les compléments.
Enfin, le CH arrêterait de bloquer ses jeunes. Et pendant ce temps, il stabiliserait sa ligne de centre.
Quand un VP hockey expérimenté comme Jeff Gorton laisse glisser une phrase comme « on pourrait voir un échange entre un défenseur et un attaquant », il ne parle pas en l’air. Il connaît déjà les options. Il sait ce qui mijote.
Et à moins d’un revirement de situation, tout pointe dans la même direction : Mike Matheson va quitter Montréal. Ryan Nugent-Hopkins va quitter Edmonton.
Et les deux pourraient bien changer de chandail cet été.
Pas parce qu’il faut brasser la soupe.
Mais parce que c’est le bon échange. Au bon moment.
Et parce que Jeff Gorton vient de nous le dire, à sa manière.