Il y a des trajectoires qui ne se racontent qu’avec un pincement au cœur. Des histoires de prodiges devenus des zéros, de génies étouffés sous le poids des attentes.
Jonathan Drouin est de ceux-là. Mais à la différence d’autres, il a trouvé une main tendue. Celle de Patrick Roy. Et c’est ce qui change tout.
À 30 ans, Jonathan Drouin vient de signer un contrat de deux ans avec les Islanders de New York. Huit millions de dollars. Un pacte de confiance. Mais surtout un pacte de réparation. Car avant cette signature, avant ce nouveau départ sur Long Island, il y avait eu le gouffre. Il y avait eu Montréal.
Et Drouin, pour une fois, a trouvé les mots.
«Mon passage à Montréal n’a pas été très bon pour moi», a-t-il confié dans une rare entrevue avec NHL Network. Une phrase simple, mais qui dit tout. Car au-delà de la politesse diplomatique, c’est un aveu d’échec. Une mise à nu. Une blessure encore ouverte.
Parce que c’est ce qu’il avait perdu à Montréal. La passion. L’enthousiasme. La joie de jouer.
Et cela, les partisans du Canadien ne l’ont pas toujours compris.
Le cas Jonathan Drouin n’est pas unique. Il est l’exemple parfait de ce qui arrive lorsqu’on place tous les espoirs du peuple sur les épaules d’un jeune joueur québécois.
Repêché au 3e rang au total en 2013, présenté comme un futur joueur générationnel, Drouin est arrivé à Montréal avec l’étiquette de sauveur. Il en est reparti comme la déception de tout un peuple.
Ce que les gens oublient, c’est que Drouin n’était pas qu’un espoir talentueux. Il était un jeune homme. Un humain. Avec ses forces, ses failles, ses doutes. Et l’environnement médiatique de Montréal, combiné à la pression identitaire, l’a lentement détruit.
La dépression, les crises d’anxiété, les absences du jeu. Et surtout, cette solitude. Ce vide.
« La pression à Montréal, surtout pour un Québécois, c’est énorme. Vous ne pouvez pas vous préparer à ça. Tant que vous n’y êtes pas dedans, c’est impossible de s’y préparer», a-t-il reconnu.
Et quand il a pris une pause pour sa santé mentale, il a été critiqué. Moqué. Jugé.
« Je faisais de l’anxiété sévère. Il n’y avait plus de plaisir. Je ne dormais plus. »
Il évoque ces journées sombres où chaque geste était un combat.
« Je sortais promener mon chien six fois par jour. Juste pour avoir une excuse de respirer. Je n’étais plus moi-même. »
Le regard du public, à Montréal, était un poison lent.
« On disait : “Il est millionnaire, il n’a pas le droit d’être malheureux.” Mais l’argent ne guérit pas. L’argent ne t’empêche pas de souffrir en silence. »
Drouin se souvient de cette sensation d’être coincé dans une cage de verre.
« T’as 30 caméras dans le visage chaque jour. Tu veux juste aller à l’épicerie et tu te demandes si quelqu’un va te juger, te pointer, te filmer. Ça devient invivable. Tu t’enfermes chez toi, et plus tu t’enfermes, plus tu coules. »
Et surtout, il nomme enfin ce que trop de joueurs taisent.
« J’avais honte de ne pas aller bien. Honte de ne pas livrer la marchandise. Mais à un moment donné, j’ai choisi de vivre. J’ai mis le hockey de côté pour me sauver, moi. Et c’est ce qui m’a permis de revenir. »
Ce que Jonathan Drouin a vécu, Charlotte Robillard-Millette l’a ressenti. Elle aussi était un prodige. Une étoile du tennis canadien. L’Orange Bowl U16, les quarts de finale juniors, le rêve de percer. Et puis… l’effondrement.
«Chez les juniors, j’avais une confrérie, des amis. Je ne connaissais personne chez les pros. Tout le monde est plus âgé. C’est leur pain et leur beurre», disait-elle en entrevue au Journal de Montréal.
«C’est plus un zoo, c’est froid, c’est dur, c’est déstabilisant. Je n’étais plus la star.»
Comme Drouin, Charlotte s’est retrouvée seule. Comme lui, elle s’est repliée sur elle-même. Et comme lui, elle a frôlé le pire.
Cette chute l’a précipitée dans le noir.
« J’ai dû revenir à Montréal d’urgence parce que ça n’allait vraiment pas bien. On m’a recommandé d’être hospitalisée, mais je n’ai pas voulu. »
À bout de souffle, elle avoue :
« Si ça n’avait pas été de mon père (François Millette), qui m’a beaucoup accompagnée, je ne serais plus là aujourd’hui. »
Ce qui la hante encore, c’est l’absence de sens.
« C’est difficile parce que tu as été cette personne toute ta vie, tu as eu un statut, une reconnaissance, une confiance, des résultats, un entourage, un environnement, une routine, un train de vie dynamique… et du jour au lendemain, tu te retrouves à juste devoir aller mieux, sans vraiment avoir un but tangible. »
Et quand elle songe à revenir, la réalité financière s’impose.
« Il faut environ 150 000 $ par année pour jouer au tennis professionnel. Tu ne fais pas d’argent si tu n’es pas dans le top 100. »
Résignée, elle confesse :
« J’aimerais embarquer sur le court et jouer l’Omnium Banque Nationale. Mais aujourd’hui, je dois accepter que c’est terminé. »
Hospitalisation évitée de peu. Carrière interrompue. Et aucun Patrick Roy pour lui tendre la main.
Et c’est là que l’histoire de Drouin bascule. Là où elle devient différente. Parce que quelqu’un, quelque part, a décidé qu’il méritait une autre chance.
Patrick Roy.
Le légendaire gardien, devenu entraîneur des Islanders. L’homme qui sait ce que c’est que d’être un Québécois à part dans un marché de feu.
Roy, avec son regard franc et son cœur immense, a vu en Drouin plus qu’un joueur. Il a vu un être humain. Et avec Mathieu Darche, ils lui ont offert une chance.
Et les signes sont déjà là. Quelques jours après la signature, l’organisation lui a envoyé des cadeaux pour ses enfants : chandails, casquettes, souvenirs.
«On peut voir qu’ils se soucient de leurs joueurs», a affirmé Drouin.
À New York, il sera entouré d’un personnel québécois bienveillant. D’Anthony Duclair, son ami. De Ray Bennett, qu’il a côtoyé au Colorado. Et d’un top 6 offensif qui a besoin de lui.
Ce nouveau contrat, ce n’est pas un cadeau. C’est une reconnaissance. Un retour au respect. Une façon de dire :
«Tu n’as pas été parfait, mais tu es encore debout. Et ça mérite qu’on parie encore sur toi.»
Jonathan Drouin aurait pu abandonner. Comme tant d’autres. Comme Charlotte, qui a dû tourner la page et redéfinir son identité. Il a tenu bon. Il a accepté l’humilité. Il a accepté le silence.
Et aujourd’hui, il retrouve enfin une équipe. Une famille professionnelle. Une chance.
Il y a des histoires qui font mal. Et il y a celles qui finissent par guérir.
Celle de Jonathan Drouin fait enfin partie de la deuxième catégorie... grâce à Patrick...
Mais Charlotte Robillard-Millette n’a jamais eu de Patrick Roy. Personne ne lui a dit : « Je te vois. Je crois encore en toi. »
Personne ne lui a offert un contrat, un vestiaire, une structure pour renaître. Elle a dû faire son deuil seule. Elle a dû rebâtir sa dignité. Elle a survécu, mais le sport, lui, l’a perdue.
Jonathan Drouin, lui, a eu cette main tendue. Ce regard franc d’un coach pas comme les autres. Ce filet de sécurité tissé par deux Québécois qui savent ce que c’est que de porter les rêves d’un peuple sur les épaules.
Et c’est ce qui fait toute la différence.
Parce qu’au fond, ce texte n’est pas une comparaison. C’est un plaidoyer.
Pour qu’il y ait plus de Patrick Roy.
Pour qu’aucun autre prodige, dans le hockey ou ailleurs, ne soit laissé seul à s’écrouler dans le silence.