87 employés congédiés: un jour triste pour TVA Sports

87 employés congédiés: un jour triste pour TVA Sports

Par David Garel le 2025-11-12

C’est un jour sombre pour TVA. Et c’est peut-être le dernier clou dans le cercueil de TVA Sports.

En annonçant, mercredi, l’abolition de 87 postes dans son secteur de télédiffusion, Pierre Karl Péladeau a confirmé ce que tout le monde savait déjà : le groupe qu’il a fondé est en train de s’effondrer, victime d’un modèle médiatique dépassé, d’un gouvernement indifférent et d’un pari ruineux sur le sport professionnel.

Depuis janvier 2022, Québecor a perdu plus de 93 millions de dollars dans ses opérations télévisuelles. Et la situation empire.

Ces licenciements s’ajoutent aux 800 emplois abolis depuis 2023. Ce ne sont pas des chiffres comptables. Ce sont des visages, des familles, des techniciens, des réalisateurs, des monteurs, des journalistes.

Des pères et des mères de famille qui voient leur carrière s’effondrer pendant que le patron de Québecor s’entête à injecter de l’argent dans un canal qui n’a plus d’avenir : TVA Sports.

Comment justifier de telles contradictions ? Comment expliquer que dans la même semaine où on renvoie des employés avec trente ans d’ancienneté, on continue de négocier avec la LNH et Rogers-Sportsnet pour un contrat hors de prix ?

En 2014, Québecor avait voulu « sauver le hockey francophone ». Péladeau avait alors signé un contrat de 720 millions de dollars sur douze ans pour les droits nationaux francophones de la LNH, sous-licence du contrat monstre de Rogers à 5,2 milliards.

Dix ans plus tard, ce geste héroïque est devenu une hémorragie financière. Les pertes cumulées de TVA Sports dépassent les 300 millions.

Le réseau, qui comptait 1,8 million d’abonnés à son lancement, en compte moins d’un million aujourd’hui. RDS, son rival, a aussi souffert, mais survit grâce à l’écosystème solide de Bell Média et TSN. TVA Sports, elle, est seule. Isolée. Et à bout de souffle.

Chaque trimestre, Québecor doit combler le gouffre. En 2024, le groupe a même dû emprunter 91 millions à sa propre maison mère pour équilibrer ses comptes.

Une opération de survie temporaire. Le message est clair : sans transfusion interne, TVA serait déjà morte. Or, voilà que la direction s’apprête à éliminer encore des dizaines d’emplois dans les régions: Trois-Rivières, Sherbrooke, Saguenay, Rimouski, tout en continuant à financer une chaîne qui brûle des millions.

Comment Péladeau peut-il justifier cela ? Comment regarder en face les employés de Québec qui perdent leur gagne-pain, alors qu’on continue de payer des droits de diffusion à une ligue américaine déjà milliardaire ?

Les chiffres de l’Institut de la statistique du Québec viennent de livrer le verdict : seulement 9,9 % des jeunes Québécois de 15 à 29 ans regardent du sport quotidiennement.

C’est un effondrement générationnel. Moins d’un sur dix. Ce n’est pas un glissement : c’est une rupture culturelle. Les jeunes ne regardent plus de matchs, ils regardent des extraits. Ils n’écoutent plus le hockey à la télé, ils consomment des clips sur Instagram ou TikTok.

Le modèle de TVA Sports, basé sur trois heures de diffusion linéaire et des revenus publicitaires, ne colle plus à cette réalité.

Quand une entreprise sait que sa clientèle disparaît, elle change de cap. TVA, elle, continue d’espérer que les temps reviendront.

Mais la télé n’est plus ce qu’elle était. Même RDS, avec ses 45 matchs régionaux du Canadien sur le câble et 15 autres sur Crave, s’est adaptée. Bell a compris que l’avenir passait par le numérique. TVA, non.

Les géants comme Rogers ont déjà basculé vers le streaming. Rogers a signé un nouveau contrat record de 11 milliards de dollars sur 12 ans avec la LNH.

C’est plus du double du précédent. Et cette fois, c’est Rogers, pas Québecor, qui détient toutes les cartes. L’entreprise torontoise est le diffuseur national exclusif jusqu’en 2038.

Si TVA Sports veut survivre, il faut qu’elle cesse d’être TVA Sports. Car à ce stade, elle ne vaut plus rien. Dans les faits, sa seule valeur réside dans son infrastructure : ses studios, ses commentateurs, ses techniciens, son identité francophone.

Tout le reste, que ce soit les contrats, les dettes, les pertes, est toxique. La logique veut que Rogers rachète TVA Sports à rabais, pour en faire Sportsnet Français, une antenne miroir de son réseau anglophone.

Ce serait la première fois que Rogers s’implanterait durablement dans le marché québécois. Une opération à la fois économique et politique : unifier la diffusion du hockey canadien sous une seule bannière bilingue.

Pour Québecor, ce serait humiliant, mais salutaire. Le groupe se débarrasserait d’un fardeau qui menace l’ensemble de ses divisions. Pour les employés, ce serait la seule chance d’éviter la fermeture pure et simple.

Mais pendant que cette réflexion stratégique se trame dans les tours de verre, des vies s’écroulent. Les 87 nouvelles abolitions, c’est autant de foyers déstabilisés.

Des gens qui ont cru au rêve télévisuel, à la force d’un média local. Et on leur répond par un communiqué froid, où l’on parle d’« optimisation des opérations ». La différence avec les montants astronomiques dépensés dans les droits de diffusion du Canadien et de la LNH donne mal au coeur.

Comment justifier qu’on coupe le salaire d’un technicien à 60 000 $ pendant qu’on continue de payer des millions à la LNH ?

Comment défendre un modèle où l’on congédie des employés de production tout en gardant à flot une chaîne déficitaire par orgueil corporatif ?

Le discours de Pierre Karl Péladeau sur la défense de la culture québécoise sonne faux quand, chaque année, ce sont ses propres salles de nouvelles qui ferment.

Dans le dernier budget Carney, pas un mot sur l’aide à la télédiffusion privée. Rien. Zéro. Pas de crédit d’impôt, pas de programme de soutien.

En revanche, un investissement de 150 millions de dollars dans CBC/Radio-Canada a été annoncé. Une gifle pour TVA et Cogeco.

Péladeau avait raison sur un point : les gouvernements laissent mourir le secteur privé pendant qu’ils subventionnent les géants publics. Mais peut-on encore blâmer Ottawa ou Québec quand, à l’interne, TVA choisit de maintenir un gouffre comme TVA Sports en vie ?

La responsabilité est partagée. L’État refuse d’aider, et Québecor refuse de couper là où il le faudrait. Au final, ce sont les employés qui payent le prix.

Péladeau a longtemps voulu se battre contre Bell. Il a perdu. Pas parce qu’il a manqué de courage, mais parce qu’il a manqué de temps. Le monde a changé plus vite que TVA. Et quand une entreprise refuse de s’adapter, elle disparaît.

TVA Sports ne peut plus continuer à perdre 20 millions par an. Québecor ne peut plus combler éternellement le déficit. Le rachat par Rogers, ou une fusion avec un acteur numérique, est la seule planche de salut.

Sinon, le respirateur artificiel sera débranché.