C’est une décision qui ne passe pas.
Un choix de troisième ronde au repêchage de la LNH 2025, qui aurait dû être un moment de réconciliation entre le Canadien de Montréal et sa base québécoise.
Un instant symbolique, porteur de sens, porteur d’histoire. Mais à la place, c’est une fracture. Une claque. Un rejet.
Avec le 82e choix au total, une sélection acquise dans la transaction envoyant Jake Allen au New Jersey, le Canadien a repêché le gardien biélorusse Arseni Radkov.
Un nom pratiquement inconnu du grand public, même chez les mordus. Un gardien au profil intrigant, certes, mais au CV encore très embryonnaire.
Pendant ce temps, à peine deux rangs plus tard, les Penguins de Pittsburgh ont sauté sur l’occasion pour repêcher un enfant du Québec, un fan du CH de toujours, un jeune homme formé ici, adulé ici : Gabriel D’Aigle.
Et tout le Québec a vu rouge.
Arseny Radkov est un géant de 6 pieds 4 pouces, né au Bélarus, qui évolue dans la MHL avec Tyumenski Legion.
Loin des projecteurs, loin des circuits nord-américains, mais pas sans potentiel. Avec un pourcentage d’arrêts de ,918 cette saison, il a démontré une certaine constance. L’an dernier, dans la ligue U18 russe, il avait même flirté avec la perfection à ,921.
Radkov est décrit comme un gardien « fluide dans ses mouvements latéraux », au bon sens du positionnement et à la capacité de suivre les passes.
Mais il reste un pari. Un pur projet. Un gardien qui ne viendra pas en Amérique du Nord avant 2026, où il est censé rejoindre le programme de l’Université du Massachusetts. Ce n’est pas un joueur qui viendra bousculer la hiérarchie des gardiens chez le CH à court terme.
Mais ce n’est pas ce profil qui dérange.
Ce qui fait grincer des dents, ce n’est pas tant Radkov lui-même, que ce que son nom efface : celui de Gabriel D’Aigle.
Formé à Victoriaville, choisi 2e au total dans la LHJMQ en 2022, Gabriel D’Aigle n’est pas juste un produit du Québec. Il en est un porte-étendard.
Depuis ses 10 ans, alors qu’il faisait sensation sur YouTube avec ses drills dans le sous-sol familial, il incarne l’espoir d’un retour des grands gardiens québécois.
Et à 6 pieds 4 pouces lui aussi, il possède le gabarit moderne recherché.
Ce n’est pas un joueur parfait (aucun gardien ne l’est à 18 ans), mais il possède un profil de premier plan. Cette saison avec les Tigres de Victoriaville, il a affiché une moyenne de buts alloués de 4,52 et un taux d’efficacité de 883 dans une ligue notoirement difficile pour les jeunes gardiens.
Des chiffres horribles qui ont dégoûté le CH. Mais D'Aigle jouait pour la pire équipe de toute la ligue.
Peu importe ses statistiques, son jeu latéral est déjà de haut niveau et sa lecture du jeu impressionne. Dans la LHJMQ, il ne faut pas se fier aux chiffres pour évaluer un gardien.
Il était disponible. Il voulait venir à Montréal. Il rêvait de porter ce chandail. Et c’est ce rêve que le Canadien a piétiné.
Le directeur exécutif du CH, Jeff Gorton, savait que la question allait venir. Et il avait déjà préparé ses munitions.
« On ne repêche pas un joueur en fonction de son lieu de naissance. On veut de bons joueurs, peu importe d’où ils viennent », a-t-il déclaré.
Puis il a sorti la carte de la diversité organisationnelle :
« À Montréal, à Laval, à Trois-Rivières, on a des Québécois. Même dans notre personnel. »
Une réponse aussi videqu’insultante. Parce que non, il ne s’agissait pas ici de « choisir un Québécois pour faire plaisir ».
Il s’agissait de choisir un bon gardien, qui avait le profil, le talent et la symbolique parfaite. Le problème n’est pas qu’on ait choisi un Biélorusse. Le problème, c’est qu’on a délibérément ignoré un espoir de calibre égal, voire supérieur, qui portait en lui une connexion directe avec les partisans.
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Sur les réseaux sociaux, les mots « Gabriel D’Aigle », « Radkov », « CH » et « honte » étaient en tendance dès les minutes suivant la sélection.
Les partisans ont crié à la trahison après cet autre espoir québécois rejeté par l’organisation.
Le sentiment d’exclusion est réel. Il est profond. Et il se répète. Depuis des années, le CH accumule les faux pas auprès de sa base francophone.
On a pardonné les erreurs de Marc Bergevin. On a toléré les années de reconstruction. Mais à force de tourner le dos à ses racines, l’organisation s’éloigne d’une vérité fondamentale : elle n’existe que parce qu’un peuple la soutient. Et ce peuple est en colère.
Il aurait été si simple. Si évident. Le 82e choix, ce n’est pas un pari de premier tour. Ce n’est pas une obligation de frapper un coup de circuit, surtout avec tous les gardiens qu'on possède dans notre bassin d'espoirs.
C’est souvent un geste de stratégie, de culture d’équipe. Et à talent égal, le choix logique, c’était D’Aigle.
Répétons-le : D’Aigle n’était pas un choix « sentimentalo-nationaliste ». Il était un espoir crédible, solide, et qui aurait enflammé une province entière.
Une province en manque de repères, en manque d’étoiles locales. Le choix de Radkov est un pari obscur, un joueur qu’on ne verra peut-être jamais, une promesse lointaine. D’Aigle, lui, est déjà ici. Déjà prêt. Déjà aimé.
Moins de deux minutes après le choix de Radkov, les Penguins de Pittsburgh ont repêché Gabriel D’Aigle au 84e rang.
Le peuple québécois est passionné, mais il n’est pas idiot. Il sait reconnaître quand on le flatte et quand on le méprise.
Le choix d’Arseni Radkov n’est pas un crime. Mais le rejet de Gabriel D’Aigle, lui, laisse une trace. Une de plus. Une cicatrice de plus sur une relation de plus en plus difficile entre le CH et son cœur francophone.
Si la déception était aussi grande, c’est parce que Gabriel D’Aigle, ce n’est pas n’importe qui. Ce n’est pas juste « un autre espoir québécois » ignoré par l’état-major du Canadien.
C’est le plus grand espoir québécois à la position de gardien depuis peut-être Marc-André Fleury lui-même. Un jeune phénomène qui porte fièrement le numéro 20 de Vladislav Tretiak, comme un clin d’œil à l’histoire, et dont la trajectoire évoque inévitablement celle du mythique Flower.
Natif de Sorel-Tracy, comme Fleury, Gabriel D’Aigle est un colosse de 6 pieds 4 pouces et 209 livres.
Il était LE nom à surveiller. L’espoir sur lequel la province avait misé. Et le Canadien l’a snobé.
Ce qui frappe chez D’Aigle, ce n’est pas seulement le physique, c’est l’attitude. Son entraîneur avec les Tigres de Victoriaville, Carl Mallette, un homme qui en a vu d’autres, ne tarit pas d’éloges :
« Tout ce qu’on nous avait vendu, on le voit. Il est très jeune, mais son physique l’avantage beaucoup. Et c’est tout un compétiteur. »
Mallette admet même devoir le freiner à l’entraînement, tant il est intense et exigeant envers lui-même. Quand il accorde un but, il s’en veut. Quand il performe, il veut performer encore plus. Une mentalité rare chez un adolescent.
Dès son arrivée dans la LHJMQ, la pression était immense. Les comparaisons ont fusé. Fleury, Luongo, Roy. Mais rien ne semble l’ébranler.
« Il a l’air d’un jeune que ça ne dérange pas du tout », confie son coach. D’Aigle sourit, travaille, progresse. Il est même en contact avec Marc-André Fleury, dont il possède le numéro personnel. Il n’ose pas encore lui écrire, mais le simple fait de l’avoir dans son téléphone le remplit de fierté.
« Il a toujours eu du plaisir à jouer », dit-il en parlant de Fleury.
« D’après moi, c’est pour ça qu’il joue encore. Il a du plaisir et ça se voit. »
Et c’est peut-être ce qui rend le rejet encore plus cruel : ce n’est pas juste un espoir talentueux, c’est un jeune homme attachant, discipliné, adoré par ses coéquipiers, respecté dans le vestiaire. Il travaille dans l’ombre, épaulé par un mentor expérimenté, Nathan Darveau, qui agit comme grand frère.
Sa sœur Élizabeth est aussi une joueuse de hockey accomplie, défenseure chez les Lynx du Collège Édouard-Montpetit.
C’est elle qui a filmé les fameuses vidéos d’entraînement de Gabriel, celles qui lui ont valu des milliers de vues sur YouTube.
Une famille de hockey, soudée, passionnée, qui respire la glace depuis toujours.
« Chez nous, c’était tout le temps hockey, hockey, hockey, raconte Gabriel. Le soir, c’était de jouer au hockey. Le matin, c’était de regarder les résumés à RDS. »
Il y a dans cette histoire tout ce que le Québec aime. Un kid de chez nous, formé dans nos arénas, poussé par une famille qui n’a jamais compté ses heures, inspiré par les grands noms d’ici. Et surtout : un jeune homme qui rêve en bleu-blanc-rouge depuis l’enfance.
Alors non, ce n’est pas seulement une question de « lieu de naissance », comme l’a froidement évoqué Jeff Gorton. C’est une question de cœur. D’identité. De transmission.
Quand un espoir comme Gabriel D’Aigle est ignoré pour un gardien obscur de Russie dont personne n’a entendu parler, le peuple se sent trahi. Pas parce que Radkov est biélorusse. Mais parce que D’Aigle est le nôtre.
Et quand on rejette l’un des nôtres, c’est tout un peuple qu’on humilie.