Le nom circule à voix basse dans les couloirs du Centre Bell. Il s’échange à la table des recruteurs comme une rumeur interdite.
Et pourtant, Danil Prokhorov pourrait bien devenir la pièce maîtresse du nouveau puzzle russe du Canadien de Montréal. Ce géant de 6 pieds 6 pouces, qui pèse déjà 218 livres à seulement 18 ans, intrigue, fascine, et divise, surtout depuis l'excellent papier du journaliste de TVA Sports, Nicolas Cloutier, sur ce monstre inconnu.
Mais pour Nick Bobrov, codirecteur du recrutement amateur du CH et véritable maître espion dans les terres glaciales de la Russie, ce n’est peut-être pas un hasard si le nom de Prokhorov refait surface quelques jours avant le repêchage.
Et ce n’est certainement pas étranger à l’avenir d’Ivan Demidov, le joyau du CH, qui aura besoin d’un environnement stable, familier et russe pour éclore à sa pleine mesure.
Car tout le monde le sait : les Russes s’épanouissent rarement seuls en Amérique du Nord. Ils ont besoin de repères, de frères d’armes, de visages qui parlent la même langue.
Et à l’heure actuelle, dans l’organisation du Canadien, le vide russe est énorme. Oui, il y a le défenseur Bogdan Konyushkov, qui viendra enfin à Montréal pour le camp de développement cet été après avoir prouvé qu'il pouvait être dominant défensivement dans la KHL (196 matchs joués à ses trois derniers matchs). Oui, il y a le jeune gardien Yegor Volokhin, qui clame qu'il est une future vedette dans la LNH Mais c’est mince. Trop mince.
C’est là que Prokhorov entre en scène.
Nichushkin 2.0, ou mirage russe?
Prokhorov, c’est une énigme. Mais grâce aux recherches de Cloutier, on en apprend davantage: certains recruteurs voient le Russe comme le prochain Valeri Nichushkin : un "power forward" dominateur, indomptable, capable de terroriser les défensives adverses avec sa taille et son coup de patin fluide. (voir la vidéo)
D’autres le perçoivent comme un projet risqué, trop individualiste, pas assez collectif, un joueur qui marque mais qui oublie les autres.
Vingt buts, sept passes, en 43 matchs dans la MHL. Voilà la ligne statistique qui résume à elle seule le paradoxe Prokhorov.
C’est un marqueur pur, mais un distributeur absent. Son entraîneur Igor Efimov l’admet lui-même :
« Il doit améliorer son jeu de passes. En ce moment, tout repose sur des actions individuelles. »
Mais Efimov ne doute pas du potentiel :
« Avec le temps, il deviendra un joueur du niveau de Nichushkin ou Voronkov. »
Et Nick Bobrov, lui, adore ce genre de paris. Il a toujours été attiré par les profils rares, inclassables, puissants.
Prokhorov n’est pas juste un monstre physique. C’est un travaillant. Né dans le sud de la Russie, loin des grandes villes de hockey, il a déménagé seul à 12 ans à Saint-Pétersbourg pour poursuivre son rêve.
Sa relationniste au Dynamo de Moscou, Anna Ovchinnikova, le décrit comme un moulin à paroles :
« Il ne peut pas arrêter de parler. En Amérique du Nord, il va apprendre l’anglais très vite. »
Mais avant ça, il devra respecter son contrat de deux ans avec le Dynamo. Ce qui en fait un choix à long terme. Un projet. Exactement ce que le CH peut se permettre grâce à ses multiples choix au repêchage et à la patience du plan Hughes-Gorton.
Et le plus important : Prokhorov sera à Los Angeles pour le repêchage. Il était aussi au Combine à Buffalo. C’est rare pour un Russe basé en Russie. Cela veut dire qu’il veut venir. Qu’il est motivé. Qu’il n’a pas peur.
Demidov a besoin de lui. Et Bobrov le sait.
Ivan Demidov est une éponge. Il absorbe tout ce qu’on lui offre.
Si on l’entoure d’alliés, il explose. Ce n’est pas un hasard si, à Saint-Pétersbourg, il a toujours mieux performé lorsqu’il avait des repères.
Danil Prokhorov, c’est plus qu’un espoir : c’est un compatriore. Une présence physique, rassurante. Un allié dans un vestiaire nord-américain froid et parfois hostile aux jeunes Russes.
Nick Bobrov, lui, l’a compris. C'est pourquoi il fait tout en son pouvoir pour amener Bogdan Konyushkov et Yegor Volokhinle plus rapidement en Amérique du Nord.
Deux autres noms, moins flamboyants mais tout aussi essentiels dans la grande stratégie russe de Nick Bobrov. Ces deux espoirs du CH participeront au camp de développement estival de l’équipe, dans ce qui ressemble de plus en plus à une opération de stabilisation culturelle autour d’Ivan Demidov.
Konyushkov, défenseur droitier de 22 ans repêché en 2023, vient tout juste de remporter les séries éliminatoires de la VHL, la ligue américaine de la KHL, avec le Torpedo de Gorki, après l'élimination de son équipe dans la KHL.
Malgré ce triomphe, il a avoué ne pas avoir reçu de félicitations du CH pour sa coupe Petrov.
« Personne ne m’a rien dit. Je pense qu’ils savent quel genre de joueur je suis », a-t-il lancé à RG.org, un brin amer.
Cela dit, sa venue à Montréal cet été orchestrée par Bobrov pourrait tout changer. Il a reçu son visa, son passeport est en règle, et il a confirmé qu’il allait enfin pouvoir montrer son savoir-faire devant l’état-major du Tricolore.
Quant à Yegor Volokhin, gardien prometteur, son développement est encore embryonnaire, mais sa présence à Laval dans un futur proche n’est pas à exclure.
Le message est clair : Montréal veut bâtir une muraille russe. La prochaine étape est Daniil Prokhorov.
Et même si l’entraîneur Efimov affirme qu’il n’a pas été contacté directement par le CH, personne ne doute que Bobrov a fait ses devoirs.
Le directeur du recrutement montréalais est rusé. Il est discret. Il joue aux échecs pendant que les autres jouent aux cartes.
On se demande encore pourquoi il a snobé Matvei Michkov...