Le malaise était énorme dans le vestiaire du Canadien lorsque Marc De Foy a abordé Nick Suzuki avec une question délicate : serait-il prêt à donner ses entrevues en français?
Suzuki, surpris par la proposition, a répondu calmement qu’il n’était pas au courant des propos de Brendan Kelly, ce journaliste anglophone de The Montreal Gazette qui avait ouvertement critiqué son manque d’effort pour apprendre la langue de Molière après cinq ans à Montréal.
Dans un moment où Suzuki avait chaud, il a toutefois tenu à préciser que son français était « passablement bon », regardant De Foy droit dans les yeux, avant d’ajouter :
« Un jour peut-être, je ne sais pas si je serais capable de faire des phrases complètes en français. »
Ce bref échange a laissé place à un sentiment de malaise persistant. Chantal Machabée, présente dans le vestiaire, a corroboré la déclaration de Suzuki, mais cela n’a pas suffi à apaiser le sentiment de déconnexion qui semble persister entre le capitaine et une partie de la communauté francophone.
Pour De Foy, cette situation rappelle de nombreux cas qu’il a observés au cours de ses 43 ans de carrière : des joueurs du Canadien promettant d’apprendre le français, mais qui finissent par ne jamais donner d’entrevues dans cette langue.
La question de l’apprentissage du français par les joueurs étrangers du Canadien est une source constante de débat à Montréal.
Certains, comme De Foy, estiment que cette démarche devrait être une marque de respect envers les partisans et la culture québécoise.
Il rappelle d’ailleurs que de nombreux joueurs d’exception, comme Ken Dryden, Larry Robinson, et Bob Gainey, ont fait l’effort de parler français au cours des grandes années du club.
Même des personnalités comme Charles Bronfman, ancien propriétaire des Expos, se sont plongées dans l’apprentissage du français pour s’adapter à la réalité montréalaise.
Alors, pourquoi cela semble-t-il si difficile pour les joueurs de l’époque moderne?
Pour De Foy, il s’agit d’un problème d’orgueil mal placé. Plusieurs joueurs redoutent de faire des fautes de langage en français, mais cette crainte ne devrait pas les freiner.
La maîtrise parfaite n’est pas exigée; ce qui compte, c’est l’effort d’intégration et le geste symbolique de s’adresser aux partisans dans leur langue.
Il rappelle que de nombreux journalistes francophones, même s’ils ne parlent pas tous un anglais parfait, font l’effort de s’exprimer dans la langue de Shakespeare.
Pensez seulement à l'anglais bancal de Luc Gélinas.
Il n’y a donc pas de raison que les joueurs étrangers du Canadien ne puissent pas, à leur tour, essayer de parler un peu français.
Dans ce contexte, la réaction de Suzuki, même si elle est sincère, amplifie un sentiment d’insatisfaction chez certains observateurs.
Pour un capitaine qui incarne l’avenir du club, ne pas s’exprimer dans la langue de la majorité de ses partisans donne l’impression d’une déconnexion culturelle.
Brendan Kelly, tout comme Marc De Foy, estime que la langue fait partie intégrante de l’identité du Canadien.
Au-delà du hockey, le club représente un symbole de la culture québécoise, et cette dimension ne peut être ignorée.
La comparaison avec d’autres sports, notamment le football (soccer) en Europe, vient appuyer cette réflexion.
Là-bas, il n’est pas rare que les clubs imposent à leurs joueurs étrangers d’apprendre la langue du pays. À Montréal, cependant, la direction du Canadien se contente d’encourager l’apprentissage du français, sans véritablement l’exiger.
Cette approche laisse place à une situation où des joueurs comme Suzuki, même s'ils sont respectueux et engagés envers l’équipe, ne se sentent pas poussés à faire l’effort supplémentaire qui permettrait de resserrer les liens avec la communauté.
Pour certains partisans, voir Suzuki dans les publicités de McDonald's s’exprimer en quelques mots de français est un début, mais cela ne suffit pas.
Ils s’attendent à plus qu’un geste symbolique; ils veulent ressentir un véritable effort d’intégration de la part de leur capitaine.
Le fait que le dernier capitaine bilingue du Canadien remonte à Vincent Damphousse, il y a plus de 25 ans, en dit long sur l’évolution du club.
Aujourd’hui, la réalité est que l’équipe évolue dans un environnement globalisé, mais cela ne devrait pas pour autant effacer son identité culturelle unique.
Dans le cas de Suzuki, l’apprentissage du français pourrait être une occasion de renforcer son lien avec les partisans et de montrer qu’il comprend l’importance de son rôle au-delà de la glace.
Pour l’instant, le jeune capitaine préfère se concentrer sur son jeu, et cela peut se comprendre. Toutefois, le malaise persiste, et la question de la langue demeure une patate chaude pour tout le monde: joueurs, journalistes, fans...
Il est donc essentiel de comprendre que cette situation ne se résoudra pas du jour au lendemain. Laissons à Suzuki le temps de s’approprier pleinement son rôle de capitaine.
Son engagement envers l’équipe ne fait aucun doute, mais il pourrait y ajouter une touche supplémentaire en faisant un pas vers la culture québécoise, ne serait-ce qu’en tentant de donner ses premières entrevues en français, même imparfaitement.
Car comme le dit si bien Marc De Foy, voir Suzuki baragouiner deux mots en français pour McDo et les fefans, ça fait colonisé comme jamais.