1,26 milliard de dollars: Pierre-Karl Péladeau refuse « le cash »

1,26 milliard de dollars: Pierre-Karl Péladeau refuse « le cash »

Par David Garel le 2025-08-07

Pierre Karl Péladeau n’a pas pour habitude d'avoir d'être un soumis, et encore moins quand il est convaincu de tenir la bonne stratégie.

Ce jeudi matin, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats trimestriels de Québecor, le patron de l’empire a envoyé un message limpide au marché : ses tours cellulaires ne sont pas à vendre.

Pas aujourd’hui, pas demain. Et surtout pas pour imiter son concurrent Telus, qui vient tout juste de céder 49,9 % de ses propres infrastructures à la Caisse de dépôt et placement du Québec, pour la rondelette somme de 1,26 milliard $.

Pour Péladeau, cette manœuvre n’a rien de visionnaire. Elle est, selon ses propres mots, une « solution facile », une forme d’« ingénierie financière inutile » qui, à ses yeux, brise la santé financière à long terme des entreprises qui s’y adonnent.

La formule, cinglante, n’est pas anodine : en qualifiant cette approche de « ridicule», PKP laisse entendre qu’elle est inutilement compliquée, presque artificielle, et qu’elle ne sert qu’à embellir temporairement les résultats financiers.

La posture de PKP est claire : Québecor, propriétaire de Vidéotron et Fizz, génère suffisamment de liquidités pour financer ses propres investissements en infrastructure.

Pourquoi céder des actifs stratégiques, pour ensuite devoir payer un loyer salé afin de continuer à les utiliser ? Dans l’esprit de l’homme d’affaires, c’est une double perte : une perte de contrôle, et une ponction annuelle sur les flux de trésorerie futurs.

Telus a justifié sa transaction en la présentant comme un mouvement moderne, déjà courant aux États-Unis et en Europe.

Les analystes comme Maher Yaghi, de Banque Scotia, y voient même un modèle à suivre, estimant qu’il est plus rentable de louer que d’être propriétaire. Mais Péladeau n’achète pas cet argument : pour lui, Québecor n’est pas en détresse financière.

Son raisonnement est d’autant plus intéressant que le contexte concurrentiel est féroce. La guerre dans le secteur des télécoms au Canada, particulièrement au Québec, ne laisse aucun répit.

En refusant de céder ses tours, Québecor garde un levier stratégique majeur. Les infrastructures ne sont pas seulement un actif physique : ce sont des armes de négociation, un bouclier contre les fluctuations de prix et un gage de stabilité technologique.

Les résultats trimestriels illustrent bien cette dynamique à deux vitesses. Côté sans-fil, Québecor a ajouté 72 000 abonnés au deuxième trimestre.

Une performance solide, qui montre que l’expansion de Vidéotron hors Québec et l’attrait des forfaits Fizz continuent de séduire. Mieux encore : l’entreprise a réussi à limiter la baisse du revenu moyen par abonné, signe que la guerre de prix n’est pas totale.

Mais côté câble, l’histoire est tout autre. Entre avril et juin, Québecor a perdu 3 200 abonnés Internet. Bell, le rival historique, mène une offensive tarifaire agressive, offrant rabais sur rabais pour grignoter des parts de marché.

Et là encore, PKP refuse de se lancer dans une guerre de tranchées qui "maganerait" ses marges. «

Nous maintenons notre stratégie de ne pas répondre », a confirmé Hugues Simard, directeur financier.

Bref, Québecor préfère encaisser quelques pertes de clients plutôt que de briser ses revenus en s’alignant sur les prix cassés de Bell.

C’est un pari risqué, mais cohérent avec le refus de vendre les tours. Péladeau pense long terme. Il veut préserver les revenus par abonné, stabiliser ses infrastructures et éviter de se retrouver prisonnier de décisions financières court-termistes.

Derrière les chiffres des télécoms se cache toutefois un problème qui refuse de disparaître : le secteur des médias, et plus particulièrement TVA.

Le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) du Groupe TVA est passé de 11,4 millions à… 1,8 million en un an. Une chute vertigineuse qui illustre la crise profonde de la télévision traditionnelle et des chaînes spécialisées.

PKP ne ferme pas complètement la porte à des fermetures, mais refuse de parler de vente ou de liquidation. Pour lui, TVA reste un « actif important pour le Québec ».

Reste à savoir jusqu’à quel point il est prêt à continuer de subventionner ce secteur déficitaire. Car sur le plan stratégique, les médias ne représentent plus que 15 % des revenus de Québecor, contre 85 % pour les télécoms.

Et dans le contexte actuel, chaque dollar injecté dans TVA est un dollar qui ne sert pas à consolider le cœur rentable de l’empire.

Les analystes le savent. Les investisseurs aussi. Et c’est précisément pour cette raison que le refus de vendre les tours intrigue : si Péladeau voulait dégager rapidement des liquidités pour soutenir TVA, il pourrait facilement le faire. Mais il choisit de tenir bon.

La lecture globale des résultats laisse un goût partagé. L’analyste Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, parle d’un bilan « mi-figue, mi-raisin ».

D’un côté, le sans-fil performe. De l’autre, le câble recule. Et au milieu, TVA continue de tirer vers le bas la rentabilité globale.

Le choix de PKP, c’est de protéger la poule aux œufs d’or, le sans-fil, et de laisser les autres segments se réajuster par eux-mêmes. Cette stratégie repose sur deux piliers :

Maintenir la qualité et la propriété des infrastructures clés (les tours cellulaires, notamment).

Refuser les guerres de prix destructrices, même au prix de pertes ponctuelles de clients.

C’est une posture qui demande du sang-froid. Et aussi une bonne dose de confiance dans sa capacité à résister à la pression des investisseurs, qui pourraient réclamer des gestes plus spectaculaires.

En rejetant la « solution facile » adoptée par Telus, PKP envoie un message autant à ses concurrents qu’aux marchés financiers : Québecor n’est pas à vendre, et ses actifs stratégiques encore moins.

Cela renforce son image d’entrepreneur intransigeant, parfois têtu, mais toujours soucieux de garder la main sur les leviers de son entreprise.

Ce refus, c’est aussi une déclaration de guerre à Bell. Dans le câble comme dans le mobile, les deux géants s’observent, se testent, se provoquent. Et la décision de Péladeau d’assumer la perte de clients pour ne pas vendre ses services à rabais montre qu’il n’est pas prêt à reculer.

Reste la question qui fâche : que faire de TVA ? Tant que le groupe traînera cette division déficitaire, les analystes continueront de pointer du doigt la fragilité globale de l’empire. Péladeau pourra bien répéter que les médias sont un « actif important », la réalité comptable est implacable.

Et dans ce contexte, chaque décision financière, y compris le refus de vendre les tours cellulaires, doit aussi être lue à travers le prisme de cette équation : comment financer à long terme un secteur qui rapporte de moins en moins, tout en défendant bec et ongles les parts de marché rentables ?

Pierre Karl Péladeau aime se présenter comme un bâtisseur qui voit plus loin que les autres. En refusant de monétiser ses tours cellulaires, il choisit de nager à contre-courant d’une tendance qui séduit les investisseurs institutionnels et les analystes.

Ce choix est audacieux. Il est aussi risqué. Car si la pression sur les revenus s’accentue, si Bell augmente encore son agressivité, si TVA continue de plomber les résultats, PKP pourrait se retrouver acculé à des choix encore plus difficiles.

Et dans cette crise médiatique, il y a un éléphant dans la pièce que personne ne peut ignorer : TVA Sports. La chaîne, qui s’était positionnée comme l’alter ego combatif de RDS pour le hockey de la LNH, est aujourd’hui sur la corde raide.

Non seulement ses pertes financières sont sans fin depuis le fameux contrat de sous-licence avec Rogers (12 ans pour 720 millions de dollars), mais l’avenir même de ses droits de diffusion après 2026 est en suspens.

Dans les bureaux de TVA Sports, l’ambiance oscille entre résignation et attente fébrile. Les rumeurs d’un partage des matchs du Canadien avec RDS et même avec des plateformes comme Crave ou Amazon Prime font craindre un effondrement encore plus grand de la grille de diffusion. Sans le Canadien, la chaîne perdrait son moteur d’auditoire et, avec lui, la justification même de son existence.

Pour PKP, ce n’est pas seulement un dossier financier : c’est un dossier d’ego et d’influence. TVA Sports avait été conçue comme un outil de prestige, une façon de s’imposer dans le cœur des amateurs de hockey québécois.

Mais à force de guerres de droits coûteuses et de pertes annuelles colossales, la chaîne est devenue un poids lourd… au mauvais sens du terme.

Et dans les couloirs de l’Empire, on sait qu’un mauvais coup de calendrier ou une nouvelle entente défavorable pourrait être le coup de grâce.

Pour l’instant, Péladeau tient bon, assuré que vendre ses actifs stratégiques, c’est hypothéquer l’avenir. Mais dans un marché où la rapidité d’exécution et la flexibilité financière font souvent la différence, cette posture pourrait un jour se retourner contre lui.

En attendant, il reste fidèle à son style : frontal, combatif, et déterminé à faire les choses à sa façon, même si cela signifie défier les tendances, les analystes, et parfois, le bon sens comptable.