À la mémoire de Jacques Demers: Patrick Roy se livre à coeur ouvert

À la mémoire de Jacques Demers: Patrick Roy se livre à coeur ouvert

Par David Garel le 2025-10-01

À New York, au cœur d’une franchise qui cherche encore à se redéfinir, Patrick Roy ne cesse de surprendre.

Sa voix porte, ses gestes enflamment, et ses yeux brillent encore de cette intensité unique qui a marqué son passage devant le filet du Canadien et de l’Avalanche.

Mais ce qui émeut le plus, c’est la façon dont il ramène constamment un nom dans ses conversations, un nom qui résonne comme une promesse, un cri de ralliement, une source d’inspiration : Jacques Demers, dont la santé a chuté ces derniers temps, comme le témoigne l'ancien vice-présient du CH, Donald Beauchamp:

On savait depuis longtemps que Demers vouait un respect immense à son gardien étoile, Patrick Roy. Mais aujourd’hui, à l'aube de la saison 2025, alors que Roy s’installe derrière le banc des Islanders, on comprend que ce respect est réciproque.

Mieux encore, il est devenu un héritage vivant. Dans chaque discours à ses joueurs, dans chaque référence à la foi nécessaire pour défier les probabilités, Roy parle de Demers.

Il rappelle sans cesse ce premier message lancé par son entraîneur au début de la saison 1992-1993 :

« On va surprendre le monde du hockey en gagnant la Coupe Stanley. »

À l’époque, les joueurs avaient éclaté de rire. La formation du Canadien ne ressemblait en rien à une machine de guerre. Mais Jacques Demers y croyait.

Et en croyant, il a forcé ses joueurs à y croire. Le reste appartient à l’histoire : seize victoires en séries, une parade sur Sainte-Catherine, et la dernière Coupe Stanley soulevée par Montréal.

Aujourd’hui, Patrick Roy veut faire revivre cet esprit à Long Island.

Les Islanders abordent la saison 2025-2026 avec un statut ambigu. Trop faibles, selon les experts, pour rivaliser avec les grandes puissances de l’Est. Trop vieux, disent certains, pour tenir sur 82 matchs.

Pas assez de punch offensif, pas assez de vitesse, pas assez de profondeur. Les mêmes arguments que l’on servait aux Canadiens en 1993.

Mais Roy, fidèle à sa nature, refuse de se plier aux jugements extérieurs.

« Les gars, tout est possible », répète-t-il dans le vestiaire. Et chaque fois qu’il le dit, il ajoute un rappel :

« Je l’ai vécu avec Jacques Demers. Je l’ai vu de mes propres yeux. »

Roy n’essaie pas de réinventer le hockey. Il fait autre chose : il construit une foi collective. Et dans ce processus, il place Jacques Demers au centre du récit.

Prisonnier de son corps depuis deux AVC, Jacques Demers n’a plus la voix pour répéter ses messages d’antan. Mais Patrick Roy est devenu cette voix.

« Jacques croyait quand personne ne croyait. Il avait ce don de nous faire sentir qu’on pouvait défier la logique », confie Roy à ses joueurs.

Il raconte encore et encore l’histoire de cette série contre les Nordiques en 1993. Le CH était mené 0-2. Tout le monde voyait l’élimination venir. Mais Demers a trouvé une façon de rallumer la flamme : en envoyant le "goon" Mario Roberge troubler le gardien Ron Hextall dès l’échauffement, en créant un chaos calculé qui a changé le destin d’une série.

« C’était du pur Jacques », dit Roy. « Il trouvait toujours le moyen de nous faire croire qu’on avait le contrôle. »

À New York, Roy transpose ce récit. Quand les critiques affirment que son équipe est condamnée, il répond par l’histoire de Jacques Demers. Il veut que ses joueurs comprennent que le hockey n’est pas seulement une question de statistiques et d’alignements, mais aussi de foi, de courage, et d’intelligence psychologique.

Pendant que Roy fait vivre la mémoire de Demers à ses joueurs, la réalité est plus dure au Québec. Jacques vit désormais dans un centre de soins spécialisés.

Paralysé du côté droit, enfermé dans un corps qui ne lui obéit plus, incapable de parler en raison d’une aphasie sévère.

Son esprit, pourtant, est intact. Il comprend tout, reconnaît tout, réagit à chaque match du Canadien. Il sourit quand l’équipe gagne, il bougonne quand elle perd. Ses yeux, encore vifs, disent tout ce que sa bouche ne peut plus exprimer.

Son frère Michel raconte ces scènes déchirantes où Jacques essaie de prononcer un mot, mais rien ne sort. Alors il tape sur la table. Il pleure.

Son épouse Debbie, toujours à ses côtés, devine ce qu’il veut dire, interprète ses regards, lui lit les nouvelles du hockey.

Jacques reste connecté à ce sport, à son équipe, à son passé. Mais il vit aussi une injustice terrible : celle d’être oublié, ignoré par un Canadien qui n’a toujours pas levé le petit doigt pour réclamer son entrée au Temple de la renommée.

Et c’est là que Patrick Roy joue un rôle crucial. Parce qu’en parlant de Jacques, en faisant de lui un modèle pour ses Islanders, il refuse de laisser l’histoire s’effacer.

Les joueurs des Islanders, au début, ne connaissaient pas tous l’histoire de Jacques Demers. Pour plusieurs, il n’était qu’un nom dans les livres d’histoire du Canadien.

Mais à force d’entendre Roy en parler, à force de voir l’émotion dans ses yeux lorsqu’il évoque son ancien coach, ils ont compris. Aujourd’hui, dans ce vestiaire, Jacques Demers est présent. Invisible, mais essentiel.

« Quand coach Roy parle de Jacques, tu vois que ça vient du cœur », confie un joueur. « C’est comme s’il voulait qu’on joue non seulement pour nous, mais pour lui aussi. »

Et cela change tout. Les Islanders, une équipe souvent sous-estimée, sont prêts à se battre jusqu’au bout. Parce qu’ils ont un entraîneur qui leur transmet la foi. Parce qu’ils sentent qu’ils font partie d’une histoire plus grande qu’eux-mêmes.

Il y a une ironie dans tout cela. Au Québec, Jacques Demers est enfermé dans le silence. Le Canadien, l’organisation qu’il a menée à la gloire, reste muet.

Mais à New York, c’est Patrick Roy qui parle pour lui. C’est dans un autre vestiaire, à des joueurs américains, que son message résonne le plus fort. Comme si le Québec, honteusement indifférent, avait laissé filer le flambeau.

Et pourtant, ce fil invisible entre Demers et Roy, entre Montréal et New York, prouve que la mémoire ne s’éteint pas. Elle se déplace, elle renaît ailleurs, elle continue d’inspirer.

Roy, en s’inspirant de Demers, rappelle aussi l’ampleur de l’injustice qui entoure encore aujourd’hui son ancien coach.

Deux Jack-Adams, une Coupe Stanley, plus de 1000 matchs derrière le banc, et pourtant toujours ignoré par le Temple de la renommée. Pire encore : toujours ignoré par le Canadien lui-même, qui refuse de mener une campagne publique pour son intronisation.

Si même Patrick Roy, aujourd’hui entraîneur des Islanders, peut parler de Jacques avec autant de ferveur, comment expliquer le silence de Geoff Molson et de l’organisation ?

Comment accepter qu’un homme qui a tant donné au hockey québécois soit réduit à une ombre, à un fantôme de l’histoire officielle du CH ?

Nous sommes déjà en octobre 2025. La saison commence. Les Islanders s’apprêtent à se lancer dans une lutte improbable pour une place en séries. Patrick Roy croit. Ses joueurs croient. Et au cœur de ce récit, dans chaque mot prononcé dans le vestiaire, il y a Jacques Demers.

Un homme brisé par deux AVC. Un homme enfermé dans le silence. Mais un homme dont l’héritage traverse le temps, les frontières et les générations.

Roy ne l’oublie pas. Ses joueurs non plus. Et c’est peut-être la plus belle preuve d’amour : faire vivre le nom de Jacques Demers, non pas dans les archives ou les hommages posthumes alors qu'il sera trop tard, mais dans l’action, dans la foi, dans la bataille quotidienne d’une équipe qui refuse de se laisser abattre.

Tant que Patrick Roy parlera de Jacques Demers, tant qu’il transmettra son message à ses joueurs, alors Demers ne sera jamais oublié. Il sera toujours présent, toujours vivant, dans chaque vestiaire où on ose croire que tout est possible.