La vite change parfois du tout au tout.
Il fut un temps, pas si lointain, où Arber Xhekaj représentait l’espoir du peuple québécois.
Le défenseur non-repêché, travaillant au Costco, devenu phénomène, symbole d’orgueil ouvrier, justicier venu d’une histoire improbable, représentait tout le symbole Canadien : courage, revanche sociale, intimidation effrayante.
Il était applaudi à chacune de ses mises en échec, célébré comme une star de combat, et chaque altercation qu’il remportait nourrissait un discours collectif qui le voyait comme une force morale autant que physique.
Pourtant, ce qui se déroule en ce moment autour de lui n’a rien d’un simple passage à vide sportif ; c’est un effondrement relationnel, presque culturel, entre un joueur et une ville qui l’avait adopté.
La vague de commentaires haineux, la suppression massive de messages sur ses réseaux sociaux, les insultes personnelles et les attaques sur son infidélité témoignent non pas d’un désaccord sur la glace, mais d’un rejet émotionnel qui dépasse le sport.
Depuis la défaite humiliante contre Washington, où Jake Evans a quitté la glace après un coup de Tom Wilson sans que Xhekaj n’intervienne physiquement ni symboliquement, la réaction du public a pris une dimension démesurée.
Ce ne sont pas des critiques sur un revirement, un mauvais jeu défensif ou un mauvais angle en zone neutre ; ce sont des accusations de lâcheté, de trahison, de reniement de l’identité même qui lui avait valu son statut.
Et lorsque ce jugement s’exprime sur Instagram, X ou Facebook de manière frontale, avec des commentaires qualifiant Xhekaj de perdant, d’imposteur, de lâche,, on comprend que la rupture n’est pas seulement sportive, mais personnelle.
Le joueur, jadis adulé, doit maintenant gérer un backlash virulent qui attaque autant l’athlète que la personne, et la modération répétée de ses publications montre que le choc n’est pas isolé : c’est une gestion de crise.
Ce phénomène devient encore plus préoccupant lorsque l’attaque quitte le terrain sportif pour s’en prendre à l’entourage.
Certains commentaires insinuent qu'il a été aussi infidèle sur la glace envers ses coéquipiers qu'envers sa blonde, Stéphanie Kielb.
« Infidèle », « honteux », « embarrassant », mélangeant morale personnelle, couple et performance sportive dans une dérive toxique où l’identité du joueur devient prétexte à un déchaînement social.
Ce glissement vers la sphère privée révèle une dimension malsaine du rapport entre certains partisans et leurs idoles : tant qu’il incarne la force, il est célébré comme un dieu ; dès qu’il faillit aux attentes symboliques, il est puni comme un traître.
Ce n’est pas seulement que Xhekaj a mal joué ou manqué un combat ; c’est que, dans l’imaginaire collectif, il a transgressé le rôle pour lequel on l’avait sacré.
Montréal ne lui demande pas d’être un défenseur élite, un quart-arrière talentueux ou un contributeur offensif constant.
On lui demande d’être un mur, un bouclier, un avertissement permanent à l’adversaire. Or depuis plusieurs semaines, que ce soit contre Nicolas Deslauriers, Tanner Jeannot, Illya Lyubushkin ou Sam Carrick, Xhekaj se fait corriger, est hésitant, vulnérable, et cette hésitation, dans un rôle basé sur la dominance, est perçue comme une trahison envers une province entière.
Ce changement d’attitude est compréhensible d’un point de vue humain : chaque combat perdu affecte la confiance, chaque séquence filmée circule sur les réseaux sociaux, chaque échec est disséqué et analysé.
Un joueur qui ne veut plus se blesser, qui sent son rôle menacé, peut instinctivement se refermer, jouer pour survivre, limiter les risques.
Mais l’aura d’Arber Xhekaj ne repose pas sur la prudence ; elle repose sur l’instinct primaire de confrontation. Et dans une ligue où la robustesse est rare, un joueur physique qui cesse de l’être devient invisible.
Le cas devient d’autant plus cruel que Xhekaj ne traverse pas seulement une période de faiblesse sportive ; il traverse un effondrement d’image.
La lune de miel, qui reposait sur une identification émotionnelle et un storytelling quasi légendaire, s’est renversée dans l’autre direction au même rythme.
La même foule qui scandait son nom réclame aujourd’hui sa mise à l’écart, et ce renversement abrupt est un rappel brutal de l’instabilité affective du marché montréalais.
Ce qui se passe est un avertissement sur la manière dont une ville peut brûler un joueur qu’elle a elle-même construit.
On ne peut pas demander à un humain d’être simultanément martyr, policier, punisseur, figure morale et coupable chaque fois qu’il "choke".
On peut critiquer son jeu, exiger qu’il se batte, remettre en question sa place dans l’alignement. On ne peut pas exiger de détruire son intimité, sa dignité et sa valeur personnelle pour nourrir un fantasme collectif.
Ce qui se passe autour d’Arber Xhekaj n’est pas seulement une crise sportive ; c’est un cas d’étude sur la possession émotionnelle des partisans et sur la facilité avec laquelle le soutien peut basculer en haine lorsque l’idole cesse de renvoyer l’image idéale qu’on projette sur elle.
Et si Xhekaj a sa part de responsabilité, parce qu’un homme fort doit défendre ses coéquipiers, parce qu’un rôle doit être assumé, parce qu’il a semblé absent quand Evans a eu besoin de lui, la population doit aussi mesurer sa propre responsabilité. On ne construit pas des héros pour les lapider dès qu’ils s'effondrent.
Surtout pas en s'en prenant à sa vie privée et sa (ses) relation(s) intime(s).
Pour l’instant, on peut simplement observer que quelque chose s’est brisé. L’ascension fulgurante du shérif de l’aréna a laissé place à un isolement médiatique, une surveillance constante de ses réseaux sociaux, une pression qui dépasse ce qu’un 7e défenseur devrait porter.
Ce n’est plus une critique sportive. C’est une attaque intime.
La lune de miel est terminée. Maintenant, il reste à voir si Arber Xhekaj a encore la force de redevenir l’homme que Montréal avait choisi d’aimer, ou si la ville vient de transformer son propre héros en symbole de rejet.
Dans tout ça, n'oublions pas une chose: Arber Xhekaj est un être humain... tout comme sa copine...
