Jeff Gorton vient de manipuler deux journalistes les yeux fermés.
On le savait rusé. On savait qu'il était un stratège dans le sang. Mais ce que Jeff Gorton vient d’accomplir tient du génie politique.
Avec une seule phrase, un clin d’œil bien placé et un sourire à peine contenu, le vice-président hockey du Canadien de Montréal a réussi à désamorcer une bombe médiatique, calmer les spéculations sur Artemi Panarin, et repositionner Noah Dobson comme le centre de son plan de reconstruction. Du grand art en gestion de perception.
Interrogé sur le balado The Basu and Godin Notebook à propos des similitudes entre son acquisition d’Artemi Panarin à New York en 2019 et celle de Noah Dobson à Montréal cet été, Gorton a offert une réponse aussi élégante que tranchante :
« Noah Dobson est mon Artemi Panarin. »
Une phrase. Huit mots. Et tout un message.
Car derrière cette déclaration polie se cache une manœuvre brillante. Une façon détournée de dire ce que plusieurs journalistes et agents attendaient : non, le Canadien de Montréal ne bougera pas pour Artemi Panarin. Pas maintenant. Probablement jamais.
Et pourtant, toutes les étoiles semblaient alignées. Depuis que les tensions entre Panarin et le directeur général des Rangers, Chris Drury, avaient explosé au grand jour, les rumeurs allaient bon train.
L’ailier russe était visiblement malheureux à New York. Il se méfiait de son DG. Il avait cessé de communiquer avec le personnel d’encadrement.
C’est dans ce contexte explosif que Jeff Gorton a dégainé l’une de ses répliques les plus intelligentes depuis son arrivée à Montréal, en affirmant qu'il avait déjà "son Panarin".
Une déclaration lourde de sens. Car en une phrase, le vice-président hockey du Canadien a réussi à désamorcer toutes les rumeurs entourant un éventuel échange pour Artemi Panarin, tout en valorisant l’acquisition de Dobson comme étant le coup de génie de son mandat.
En surface, ça semble banal. Mais pour les initiés, c’est un message clair et net. Il n’ira pas chercher Panarin. Il ne veut pas du contrat de 11,6 millions. Il ne veut pas du scandale. Il ne veut pas des complications. Il a déjà son joueur vedette. Et c’est Dobson.
Cette déclaration, c’est aussi une réponse indirecte à Chris Drury. Un moyen pour Gorton de se distancer de la débâcle new-yorkaise sans humilier son ancien joueur. Un chef-d’œuvre de communication. Une fuite parfaite.
Mais derrière les rumeurs de transaction, il y a une ombre bien plus lourde qui plane sur le dossier Artemi Panarin.
Le 17 avril 2025, The Athletic a révélé l’existence d’un règlement hors cour confidentiel conclu entre Panarin, le Madison Square Garden Sports (MSG Sports) et une ancienne employée de l’organisation des Rangers.
Selon le média américain, cette femme aurait allégué avoir été agressée par Panarin en décembre 2023, lors d’un voyage d’équipe.
Les détails sont troublants : après un match à l’étranger, Panarin aurait confisqué le téléphone de la victime, exigeant qu’elle vienne le récupérer dans sa chambre d’hôtel. Une fois à l’intérieur, il l’aurait plaquée sur le lit. Elle aurait réussi à se dégager, à reprendre son téléphone et à quitter les lieux.
Aucune plainte n’a été portée à la police. Mais l’incident a mené à deux ententes de règlement à l’amiable : l’une avec Panarin, l’autre avec MSG Sports.
La victime a quitté l’organisation peu après. Et bien que la LNH ait rapidement clos son enquête interne, sans reconnaître de faute, le mal est fait.
Depuis, cette affaire hante Panarin comme une tache à vie sur sa réputation. Même si tout a été étouffé sous le couvert du secret juridique, les dirigeants de la LNH, les agents, les partisans et les autres organisations savent ce qui s’est passé.
Et cette simple connaissance suffit à freiner tout enthousiasme lorsqu’il s’agit d’envisager une transaction impliquant la vedette russe.
Résultat : le divorce semblait inévitable. Et tous les regards s’étaient tournés vers Montréal.
Pourquoi Montréal? Parce que Jeff Gorton. Parce que c’est Gorton qui avait convaincu Panarin de signer à New York en 2019. Parce que c’est lui qui lui avait offert un contrat de sept ans à 11,643,642 $ par saison.
Parce que les deux hommes s’étaient liés d’une loyauté rare entre DG et joueur. Et surtout, parce que Panarin ne se cache pas : il n’a jamais digéré le congédiement de Gorton par James Dolan en 2021. Il ne lui a jamais pardonné de l’avoir laissé seul entre les mains de Chris Drury.
Voilà pourquoi plusieurs agents et insiders (dont Elliotte Friedman) ont commencé à avancer que Panarin pourrait lever sa clause de non-échange si et seulement si le Canadien de Montréal était en cause. Gorton étant en poste à Montréal, l’équation semblait simple.
Mais voilà : ce genre d’hypothèse, Jeff Gorton n’allait jamais la confirmer. Trop dangereux. Trop coûteux. Trop explosif pour la stabilité d’un groupe en pleine croissance.
Noah Dobson est son Panarin.
Il n’a pas besoin de l’original. Il a sa version. Plus jeune. Une position plus importante tellement les défenseurs droitiers sont une denrée rare dans la LNH. Moins cher. Et surtout, bien mieux adaptée aux besoins du Canadien.
Car au fond, soyons francs : Panarin n’a plus la même énergie. À 33 ans, il a peut-être déjà connu une saison de 120 points, mais il coûte 11,6 millions de dollars contre le plafond salarial, pour deux autres années, et il a développé une réputation de joueur individualiste, peu enclin à suivre une structure.
Son arrivée à Montréal aurait bousculé l’écosystème fragile que Gorton et Hughes essaient de construire autour de Nick Suzuki, Cole Caufield et maintenant Ivan Demidov.
Et justement : le cas de Demidov n’est pas un simple détail dans cette affaire.
Car oui, il est russe, comme Panarin. Mais les deux hommes sont d’univers différents. Demidov s’identifie bien plus à Evgeni Malkin, qu’il imite depuis qu’il a cinq ans.
Il est un travaillant hors-pair, discipliné, intense. Et ce qu’il lui faut, ce n’est pas un Panarin au tempérament imprévisible, mais un modèle stable, rassurant. Un Dobson. Un Malkin. Pas une star en exil.
En ce sens, acquérir Dobson et dire que “c’est son Panarin”, c’est bien plus qu’une réponse à une question de podcast.
C’est un message à toute la Ligue nationale. Une déclaration d’intention. Un signal envoyé à Kent Hughes, aux agents, aux partisans : on regarde vers l’avant. Pas vers le passé.
Et cela vient au bon moment.
Car la pression médiatique montait. Plusieurs avaient critiqué le CH pour ne pas avoir profité des tensions entre Panarin et les Rangers.
Certains y voyaient une occasion en or, notamment parce que le Tricolore est toujours à la recherche d’un deuxième centre ou d’un autre attaquant offensif pour compléter Demidov. Or, la réponse de Gorton change tout.
Il ferme la porte sans la claquer. Il protège ses joueurs. Et il détourne l’attention.
Une façon de dire : on n’est pas désespérés. On construit intelligemment. Et ce qu’on vient d’aller chercher avec Dobson vaut tout l’or du monde.
Ce que Gorton valorise par-dessus tout, ce n’est pas seulement le talent, c’est l’intention. Le désir de porter le chandail. La volonté de faire partie du projet.
Et Dobson incarne exactement cela.
Dans le fond, Jeff Gorton n’a pas besoin d’ajouter Panarin. Il a construit une nouvelle version de lui, en mieux ajustée, en plus jeune, en plus durable.
Et pendant ce temps, Chris Drury, lui, est coincé avec un Panarin qui veut partir, un Adam Fox surutilisé, un vestiaire divisé, un contrat impossible à bouger, et un silence inquiétant autour des raisons véritables de la rupture avec le joueur russe.
Gorton, lui, s’en lave les mains.
Il n’aura pas à gérer le scandale. Ni les explications. Ni la controverse.
Parce que son plan est ailleurs.
Noah Dobson est son Artemi Panarin.
Pas parce qu’ils se ressemblent. Mais parce qu’ils marquent, chacun à leur manière, un moment décisif dans la trajectoire d’une organisation.
Panarin a changé les Rangers.
Dobson va changer le Canadien.
Et Jeff Gorton, dans l’ombre, tire les ficelles avec le calme d’un "boss". Après tout, c'est lui le vrai DG du Canadien de Montréal.