C’est l’entrevue qui a mis le feu aux poudres. Une véritable bagarre verbale.
Un face-à-face tendu. Glaçant. Malaisant. Capté en direct dans un studio de Radio-Canada transformé, l’espace de quinze minutes, en champ de bataille médiatique.
Devant les caméras, deux hommes. D’un côté, Pierre Karl Péladeau, le magnat de Québecor, cerné par les pertes, les licenciements, les effondrements boursiers. De l’autre, Patrice Roy, journaliste aguerri, mais visiblement galvanisé par le climat explosif de l’heure.
Ce soir-là, ce n’est pas une entrevue. C’est un duel. Un procès. Un piège tendu. Et Pierre Karl Péladeau, d’habitude si impassible, y est tombé à pieds joints.
Dès la première minute, Patrice Roy ne laisse pas respirer son rival. Il lui saute directement à la gorge:
« Si rien ne change, combien de temps vous donnez-vous à TVA et à votre patience pour perdre de l’argent dans le groupe TVA ? »
Péladeau tente d’argumenter, parle de baisse des revenus publicitaires, de contexte international, de pertes généralisées. Mais Roy ne lâche pas.
« OK, mais est-ce que ça peut mourir ? Pour vrai, est-ce que vous envisagez le jour où vous dites : j’ai plus envie de perdre de l’argent avec le groupe TVA ? »
Le ton monte. Le regard de Péladeau durcit. Derrière lui, on aurait cru entendre craquer les murs du studio. Le patron de Québecor répète qu’il ne veut pas faire de futurologie. Mais Patrice Roy insiste :
« TVA ne peut pas mourir, M. Péladeau. Est-ce que vous y croyez encore ? »
Le moment pivot de l’entrevue survient quand Roy ose ce que personne d’autre n’avait osé lui balancer en plein visage :
« Vous avez mis, je pense que c’est 800 millions… pour 12 ans… pour les droits de hockey… Vous reconnaissez aujourd’hui que c’était une erreur stratégique ? »
Péladeau encaisse. Il sourit jaune. Il tente de défendre sa décision en parlant d’écosystème, d’auditoires, de publicités. Il tente de fuir verbalement:
« C’est facile d’être un Monday morning quarterback là-dessus. »
Mais Roy revient à la charge, implacable :
« Aujourd’hui, ça vous handicape. C’est un boulet. Et maintenant que Bell récupère tout… TVA Sports, ça se termine, non ? »
Et là, dans un soupir contenu, dans une réponse qui tremble à peine mais qui dit tout, Pierre Karl lâche enfin ce que tout le monde redoute :
« Oui, c’est critique comme situation. […] Nous sommes en train de négocier le renouvellement… ou l’absence de renouvellement. »
Les mots sont soigneusement choisis, mais le message est sans pitié. Pas de contrat, pas de sauvetage. TVA Sports n’aura pas les droits. Et sans les droits du Canadien, la chaîne n’a plus d’avenir.
Roy le pousse encore :
« Donc, si vous ne renouvelez pas, vous arrêtez l’hémorragie. Vous perdez moins d’argent. Vous fermez TVA Sports. »
Péladeau tente de temporiser :
« Ça va alléger… mais ça ne réglera pas le problème de fond. »
Ce soir-là, devant des centaines de milliers de téléspectateurs, Péladeau admet à demi-mot ce qu’il n’a jamais voulu dire explicitement : TVA Sports est à l’agonie. Et il le sait. Il le confirme. Légalement. Formellement. Publiquement.
C’est à ce moment que l’entrevue bascule du financier au politique. Car Roy, fidèle à son instinct de prédateur médiatique, n’a pas fini.
Il dégaine la carte Radio-Canada.
« Vous dénoncez encore Radio-Canada. Mais si demain matin, plus de pub à Télé, est-ce que vous allez vraiment récupérer quoi que ce soit ? Ou tout va aller vers le numérique ? »
Péladeau tente de répondre calmement, mais Roy l’interrompt. Il enchaîne les questions, coupe les explications, accuse sans le dire. Le mépris est palpable. Le ton est condescendant. Le regard est celui d’un homme qui veut voir son interlocuteur craquer.
À un moment, Péladeau, d’habitude si souverain, semble las. Il hausse les épaules. Il parle du Fonds canadien des médias, du CRTC, du ministre du Patrimoine. Il égrène les combats passés comme un vétéran fatigué.
Et Roy, dans un ultime assaut :
« Vous avez lu comme moi la presse la semaine dernière. Il y a de l’intégration média à Radio-Canada. Ça aussi, c’est de l’espace. Vous continuez de crier à la concurrence déloyale, mais vous avez vous-même acheté les droits à prix fou. Alors ? »
Il n’y avait pas de fumée dans le studio, mais on aurait juré que l’air était devenu irrespirable. La tension entre Roy et Péladeau n’était plus feinte.
Ce n’était pas un duel. C’était une exécution. Roy avait enfilé l’uniforme invisible de Radio-Canada pour tirer à bout portant sur un adversaire déjà à terre.
Et pourtant… Péladeau, étonnamment, a tenu le coup. Il a gardé le cap. Il a répondu, sans éclater. Il a tenté de défendre ses positions, même si le terrain était miné.
Mais une chose est claire : cette entrevue était un procès public, et Patrice Roy en était le procureur. Et dans le sous-texte de chaque phrase, il y avait une certitude mal contenue : “On t’a eu.” Bell va récupérer les droits. TVA Sports va mourir. Et bientôt, peut-être, TVA tout court.
À la fin de l’entrevue, le silence a pesé plus fort que les mots. Pierre Karl Péladeau a souri. Un sourire forcé. Le sourire d’un homme qui sait qu’il a perdu, mais qui refuse de flancher devant ses ennemis.
Il s’est levé, a salué, a quitté le plateau. Mais dans ses yeux, il n’y avait plus de guerre. Il y avait de la résignation. Il y avait la fin.
Patrice Roy, lui, a refermé son calepin. Un peu trop satisfait. Un peu trop fier. Comme si, ce soir-là, au cœur même du studio de Radio-Canada, c’était l’État qui venait d’éteindre officiellement la flamme de TVA.
Et si ce n’était pas déjà fait, maintenant c’est clair pour tout le monde :
TVA Sports est morte. Et TVA, elle, ne tiendra plus très longtemps.