La victoire d’Alex Boissonneault dans Arthabaska n’a pas seulement pris de court la Coalition avenir Québec et anéanti les espoirs d’Éric Duhaime de faire son entrée à l’Assemblée nationale.
Elle a aussi déclenché une vague de commentaires enflammés dans le paysage médiatique québécois. Et parmi les plus incendiaires, ceux de Jeff Fillion, figure incontournable de Québec, n’ont laissé personne indifférent.
Pour Fillion, il n’y a pas de hasard. Derrière le succès de Paul St-Pierre Plamondon et du Parti québécois, il voit une machine médiatique nationaliste parfaitement huilée, orchestrée par Québecor et son patron Pierre-Karl Péladeau.
Sa thèse est claire : la couverture politique, orientée à outrance, aurait offert au PQ une tribune disproportionnée tout en minimisant Éric Duhaime et en alimentant une campagne de peur.
Jeff Fillion n’a jamais caché ses sympathies pour Éric Duhaime et le Parti conservateur du Québec. Ancien collègue médiatique du chef conservateur, il connaît bien l’homme et défend sa vision politique depuis longtemps.
Cette proximité colore évidemment sa lecture des résultats d’Arthabaska. Mais difficile de le contredire dans ce dossier.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En dépouillant les boîtes de scrutin, plusieurs analystes ont mis en lumière un phénomène troublant : dans les résidences pour aînés, qu’il s’agisse des CHSLD, des maisons de retraite ou des complexes pour personnes âgées autonomes, près de 90 % des votes sont allés au Parti québécois.
Une disproportion qui saute aux yeux et qui, selon eux, a fait pencher la balance dans Arthabaska. Pourquoi un tel raz-de-marée pro-PQ dans ces milieux?
La réponse est simple: parce que ces électeurs passent la majeure partie de leur temps devant LCN, chaîne phare de TVA.
Autrement dit, leur bulletin de vote est l’écho direct des narratifs et des priorités médiatiques de Québecor. Ce constat, pour Fillion, n’est pas un simple détail : il prouve noir sur blanc ce qu’il avance depuis le début, à savoir que l’empire médiatique de Pierre Karl Péladeau a joué un rôle déterminant dans la victoire péquiste, en façonnant l’opinion de blocs électoraux entiers.
Pour lui, il ne s’agit pas seulement d’une défaite électorale : c’est la conséquence directe d’un jeu d’influence médiatique.
Fillion déclare Pierre-Karl Péladeau et Québecor coupables d’avoir « privilégié Paul St-Pierre Plamondon, Alex Boissonneault et le Parti québécois » dans sa couverture, au détriment d’Éric Duhaime.
Il dénonce « un traitement médiatique inéquitable, centré sur le nationalisme, qui éclipse complètement l’alternative conservatrice ».
Et il va plus loin : il parle d’« une campagne de peur subtile, mais constante, contre Duhaime », entretenue par la mise en avant exclusive des messages péquistes et par la marginalisation des positions du PCQ.
Pour Fillion, ce biais ne relève pas seulement de choix journalistiques individuels, mais d’une orientation stratégique de l’entreprise.
Dans son analyse, Pierre Karl Péladeau lui-même, en tant que chef de file de Québecor, aurait donné le ton. « Quand ton patron est un militant nationaliste, ça finit par se refléter partout dans les contenus », lâche-t-il, selon tes notes.
Ce que Fillion décrit ressemble à une campagne médiatique coordonnée : multiplication des segments favorables au PQ, invitations répétées de Paul St-Pierre Plamondon et de ses candidats, couverture généreuse des rassemblements péquistes, et minimisation systématique des sorties de Duhaime.
Dans son discours, il insiste sur un élément clé : l’effet d’accumulation. À force de voir le PQ présenté comme l’alternative sérieuse, et le PCQ réduit à quelques miettes d’antenne, l’électeur moyen, moins politisé, finit par adopter le narratif dominant.
Selon lui, ce mécanisme est encore plus puissant dans une élection partielle, où chaque intervention médiatique a un poids disproportionné.
Pierre Karl Péladeau n’est pas un acteur neutre dans la vie politique québécoise. Ancien chef du Parti québécois, entrepreneur nationaliste assumé, il n’a jamais caché ses convictions. Ce qui, pour Fillion, transforme toute couverture politique signée Québecor en un acte politique en soi.
Fillion affirme que « Québecor est plus qu’un groupe de presse : c’est un outil de mobilisation idéologique ». Dans sa perspective, la victoire d’Arthabaska n’est pas qu’un revers pour la CAQ et Duhaime, mais une démonstration de la puissance d’un empire médiatique capable d’influencer directement le rapport de force politique au Québec.
Lorsqu’il parle de « campagne de peur », Fillion ne parle pas d’affiches électorales ou de publicités négatives frontales. Il évoque plutôt une narration médiatique continue : insister sur les « dangers » d’un gouvernement conservateur, sur l’« instabilité » que pourrait créer Duhaime à l’Assemblée nationale, et sur la supposée absence de programme concret du PCQ.
Il relève que ces éléments étaient souvent introduits subtilement dans des analyses politiques, des éditoriaux ou des reportages, mais rarement contre le PQ.
Pour lui, c’est une stratégie éprouvée : ne pas attaquer directement, mais modeler l’opinion en répétant, semaine après semaine, des impressions négatives.
De la même manière que Québecor utilise ses plateformes pour soutenir un projet politique, il aurait utilisé TVA Sports comme instrument dans sa guerre médiatique contre RDS, quitte à accumuler des pertes colossales.
Péladeau a perdu entre 230 et 300 millions de dollars pour tenir tête à Bell. Pourquoi ne mettrait-il pas son réseau d’information au service d’une cause nationaliste qui lui tient à cœur ?
Les signaux sont clairs : Péladeau lui-même a laissé entendre, à demi-mot, lors d’assemblées d’actionnaires, que TVA Sports vit ses dernières années. Les pertes financières, l’échec à obtenir un nouveau contrat de diffusion majeur, et la domination persistante de RDS rendent la survie de la chaîne difficile à justifier.
Et pourtant, comme pour la politique, la logique de Péladeau semble parfois défier les chiffres. TVA Sports a longtemps été maintenue en vie, même à perte, pour contrer l’influence sportive de Bell et défendre un certain nationalisme sportif québécois.
Que ce soit en politique ou en sport, le constat est le même : le consommateur finit par payer la facture. Dans le cas de la politique, il subit une information biaisée, où certains courants sont surreprésentés et d’autres marginalisés.
Dans le cas des sports, il devra jongler avec une multiplication d’abonnements pour suivre son équipe : RDS, Crave, Amazon Prime, Apple TV…
Et bientôt, si TVA Sports ferme, ceux qui voulaient éviter les produits Bell devront quand même s’y abonner pour voir le Canadien. Résultat : peu importe la stratégie de Québecor, le partisan et le citoyen se retrouvent toujours à sortir la carte de crédit plus souvent.
Avec Éric Duhaime, les Québécois économiseraient beaucoup d'argent. Mais on veut "payer" le PQ... par fierté d'être Québécois...
Les propos de Jeff Fillion mettent le doigt sur une réalité que plusieurs préfèrent ignorer : Québecor n’est pas un simple conglomérat médiatique.
C’est un acteur politique, un joueur idéologique, et parfois un gladiateur qui entre dans l’arène pour influencer directement le cours des choses, quitte à tordre les règles du jeu médiatique.
Qu’on partage ou non la vision de Fillion, on ne peut nier que le traitement médiatique des derniers mois a contribué à créer une dynamique favorable au Parti québécois.
Et qu’en parallèle, la stratégie globale de Québecor, qu’il s’agisse de politique ou de sport, semble guidée par un même principe : utiliser la puissance médiatique pour servir des objectifs qui dépassent la simple rentabilité.
Au final, que ce soit par la victoire d’Alex Boissonneault ou par la chute annoncée de TVA Sports, une chose est sûre : l’empreinte de Pierre Karl Péladeau sur le Québec se mesure autant dans les urnes que dans les écrans.
Et pour ses adversaires, politiques ou économiques, la bataille est toujours inégale, car elle se joue sur un terrain qu’il contrôle presque entièrement.
Parfois il gagne, comme dans cette élection partielle qu'il a truquée. Parfois il perd... avec la fermeture prochaine de TVA Sports.
On ne peut pas toutes les gagner...