Quelle bourde...
Il y a des erreurs de repêchage qu’on pardonne, parce qu’elles surviennent dans l’ombre, loin des projecteurs. Et puis il y a celles qui explosent au visage d’une organisation et d’une ville entière.
L’histoire de David Reinbacher, repêché cinquième au total en 2023 par Kent Hughes, fait désormais partie de cette deuxième catégorie. Ce n’est plus une polémique de forums. C’est un scandale hockey qui s’inscrit dans le marbre, match après match, blessure après blessure, comparaison après comparaison.
Dans un repêchage pourtant présenté comme l’un des plus riches en talents depuis une décennie dans le top 7, le Canadien de Montréal a choisi, avec son cinquième choix, un défenseur droitier discret, sans éclat offensif particulier, alors qu’il avait sous les yeux des vedettes déjà prêtes à exploser.
On savait tous que Connor Bédard serait intouchable au premier rang. Mais derrière lui? Leo Carlson, Adam Fantilli, Will Smith : tous déjà en train de devenir des joueurs dominants dans la LNH.
Puis à la sixième place, l’Arizona ose : Dimitri Simashev. Et à la septième, Philadelphie hérite de Matvei Michkov, ce prodige russe qui électrise déjà chaque aréna.
Aujourd’hui, la conclusion est brutale : non seulement le CH est passé à côté de Michkov, mais il n’a même pas pris le meilleur défenseur disponible.
Simashev, à 6’4 et 200 livres, avec ses deux saisons pleines en KHL, est en train de s’imposer dans la ligue. Il a percé la formation du Mammoth de l’Utah avec autorité, montrant qu’il est déjà un professionnel complet.
Il ressemble à ce qu’on espérait voir de Reinbacher dans trois ans. Sauf que lui, c’est maintenant.
Et pendant ce temps, David Reinbacher enchaîne les malchances. Genou, main, rythme cassé, confiance brisée. Cette fois-ci, c’est une fracture à l’os métacarpien. Quatre semaines d’absence. Il ratera encore le début de saison du Rocket.
Ce n’est plus seulement un retard de développement. C’est une spirale. Chaque camp d’entraînement ressemble à une marche supplémentaire vers le doute.
Chaque match devient un test de patience pour un joueur qui n’a plus le droit à l’erreur, parce que son rang de sélection le condamne à être comparé à des phénomènes.
À l’entraînement, les signes étaient tellement visibles avant sa blessure. Perte de repères en zone défensive, lenteur dans les duels à un contre un, relances hésitantes.
Surtout, il se faisait manger par des gars de la ECHL derrière le filet.
Et cette explosion de frustration captée par des observateurs, où il frappe la baie vitrée en criant, pendant que Francis Bouillon tente de le calmer. C’est l’image d’un jeune homme à bout de nerfs, qui porte sur ses épaules une pression qui ne devrait pas être la sienne.
Face à cette situation, Kent Hughes tente de reprendre le contrôle du narratif. Interrogé sur la nouvelle blessure, il a choisi de minimiser l’inquiétude :
« Je serais plus inquiet si c’était comme Kirby, deux fois à la même place », a-t-il nuancé, comparant Reinbacher à Kirby Dach, victime de blessures répétées.
« David, on ne l’a pas repêché pour qu’il soit le meilleur joueur de 20 ans. On veut qu’il soit le meilleur joueur à 23 ans, 24, 25, 30 ans. »
Puis il a sorti de la poésie... d’aviateur :
« C’est comme des pilotes d’avion débutants. Celui qui se pose sur une plus longue piste aura plus de chances de réussite parce qu’il a plus de temps et moins de pression. »
En d’autres mots, Hughes reconnaît indirectement que Reinbacher est en train d’atterrir sur une piste trop courte. Qu’il est submergé par la pression de Montréal. Que son développement est en train d’être compromis.
C’est une confession. Mais c’est aussi un aveu qu’il a mal calculé.
Le pire dans ce dossier, c’est que les alternatives étaient évidentes. Il n’y a pas que Michkov qui hante Montréal. Derrière lui, Ryan Leonard, repêché 8e, explose déjà à Washington. Un ailier robuste, intense, capable de marquer. Exactement le type de profil qui manque au CH.
Et au sixième rang, Dimitri Simashev, qu’une majorité de recruteurs considéraient comme le « vrai deal » défensif de ce repêchage.
Simashev n’avait pas les projecteurs médiatiques. Mais les rapports de dépisteurs étaient clairs : patin d’élite, physique imposant, expérience pro en KHL, intelligence défensive.
Aujourd’hui, en Utah, il valide tout ce qui était écrit sur lui. Pendant que Reinbacher stagne, Simashev domine déjà.
Montréal n’a pas seulement choisi le mauvais joueur. Il a choisi le mauvais joueur parmi ceux qui jouaient à la même position.
C’est la double humiliation. Pas de Michkov. Pas de Simashev. Pas de Leonard. Mais Reinbacher. Blessé. Fragile. Dépassé.
Le cas Reinbacher n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série de décisions douteuses de Kent Hughes, où la prudence a remplacé la vision.
On se souvient du refus d’inclure Reinbacher dans un échange pour Mason McTavish avec Anaheim cet été. On se souvient de l’échange de Logan Mailloux contre Zachary Bolduc, qui aujourd’hui fait mal à chaque séquence où Mailloux brille à Saint-Louis et Bolduc ne s'est pas encore adapté à Montréal.
On se souvient des choix 16 et 17 sacrifiés pour aller chercher Noah Dobson, aujourd’hui critiqué par Pierre McGuire et Tony Marinaro pour son manque d’engagement physique et ses erreurs défensives.
Sans oublier qu'Emil Heineman, qui va commencer l'année avec Bo Horvat et Jonathan Drouin à Long Island, est en feu sous les ordres de Patrick Roy.
C’est une accumulation d’occasions ratées. Et Reinbacher est devenu le symbole de cette culture du doute, où l’on garde ceux qui peinent et l’on se sépare de ceux qui dérangent.
Il faut le dire clairement : David Reinbacher est une victime. Il n’a jamais demandé ce rang. Il n’a jamais promis d’être Roman Josi à 20 ans. Il voulait se développer tranquillement, comme tout jeune défenseur.
Mais le Canadien l’a mis dans une situation intenable : choix top 5, ombre de Michkov, blessure, absence de repères, marché médiatique carnivore. C’est la recette parfaite pour briser un joueur.
À chaque fois qu’il revient sur la glace, il porte ce poids. À chaque séquence, il entend les comparaisons. Il lit les commentaires. Il sait ce que les partisans pensent. Et il craque.
Ses gestes à l’entraînement, son langage corporel, ses regards fuyants en entrevue : tout trahit un joueur qui ne croit plus en lui.
Kent Hughes continue de dire qu’il est « patient ». Qu’il voit Reinbacher comme un projet à long terme. Qu’il ne l’a pas repêché pour qu’il soit le meilleur à 20 ans, mais à 25.
Mais la ligne entre patience et obstination est mince. Et aujourd’hui, c’est toute l’organisation qui semble patiner sur place, incapable d’admettre que le pari de 2023 est en train de virer au cauchemar.
Ce n’est pas seulement une question de talent. C’est une question de gestion, de vision et de courage. Et pour l’instant, Kent Hughes donne l’impression de patiner sur place, de réagir aux événements au lieu de les provoquer.
La métaphore du pilote débutant est éloquente : Reinbacher est en train d’atterrir sur une piste trop courte. Il manque de temps. Il manque d’espace. Et il va s’écraser si on ne change pas radicalement de stratégie.
Le drame Reinbacher n’est pas une anecdote. C’est le symbole d’une direction qui a mal lu son époque. Et tant que les fantômes de Michkov, Simashev et Leonard hanteront la LNH, cette cicatrice restera ouverte à Montréal.