Le match contre les Flyers au Centre Bell n’a pas seulement été ennuyant sur le plan du jeu, il a été profondément inconfortable à vivre, comme une pièce de théâtre où tout le monde comprend ce qui devrait se passer, mais où l’acteur principal refuse d’entrer en scène, laissant planer un malaise lourd dans l’amphithéâtre.
Chaque fois qu’Arber Xhekaj et Nicolas Deslauriers se retrouvaient simultanément sur la glace, parce que tout le monde voyait la même chose, tout le monde la sentait venir, et tout le monde attendait le moment qui ne venait jamais.
Martin St-Louis, avec le dernier changement, envoyait Xhekaj dès que Deslauriers sautait par-dessus la bande, le message était clair comme de l'eau de roche: va faire ce pour quoi tu es là, impose-toi, réponds, jette les gants pour nous redonner le momentum, reprends ton identité.
Sauf que ce moment-là n’est jamais arrivé. À la place, on a vu un défenseur effrayé, hésitant, qui tournait autour de l’action sans jamais y entrer pleinement, comme s’il jouait avec la peur au ventre, comme s’il évaluait chaque seconde les conséquences plutôt que d’agir par instinct.
La scène était troublante : Xhekaj évitait systématiquement les zones de proximité, gardait ses distances, longeait les bandes, temporisait, comme s’il refusait consciemment d’entrer dans le rayon d’action de Deslauriers.
Et dans les gradins, le Centre Bell l’a senti. Les cris ont commencé à monter « Fight! Fight! Fight! », pas seulement des rouges, pas seulement une section, mais l'édifice au complet.
Sauf que rien n’est venu. Xhekaj est resté figé, presque immobile dans son langage corporel, comme un joueur pris entre l’instinct et la peur, entre ce qu’il sait qu’on attend de lui et ce qu’il n’ose plus faire.
En cet instant précis, le lien émotionnel entre le joueur et la foule s’est brisé. Parce qu’à Montréal, on peut pardonner une erreur, on peut pardonner un mauvais match, mais quand l’aréna entier te demande de te battre et que tu choisis de rester à distance, le verdict tombe sans même être prononcé : le shérif n’est plus armé.
Pour un joueur dont la valeur repose presque entièrement sur l’impact émotionnel et physique, cela devient immédiatement une alarme rouge.
Quand Rasmus Ristolainen a commencé à faire la loi, à frapper Slafkovsky sans réponse, à transformer la patinoire en territoire hostile, ce n’est pas le “shérif” qui est intervenu, c’est Ivan Demidov, un jeune attaquant, qui a réagi maladroitement et inutilement (prendre une pénalité stupide en ne faisant pas mal au joueur), pendant que Xhekaj regardait la scène se dérouler.
À cet instant précis, le Centre Bell a compris. Les murmures se sont installés. Pas des huées, pas encore, mais ce silence lourd, cette incompréhension collective, ce regard qui se pose sur un joueur et qui se demande : qu’est-ce qu’il fait encore sur la glace s’il ne fait pas ça?
Comment peut-on justifier sa présence s'il ne protège pas ses coéquipiers?
Parce que le problème dépasse largement un combat refusé. Ce qui s’est joué hier, c’est la perte d’une identité.
Un défenseur qui ne se bat plus, qui ne frappe plus, qui joue avec retenue dans un match plate à mourir, où justement il fallait créer une étincelle, devient soudainement indésirable.
Et surtout échangeable.
Dans une organisation où Adam Engström prouve de plus en plus qu'il est de loin supérieur à Arber Xhekaj, où Jayden Struble est préféré par l’entraîneur, où Kaiden Guhle revient bientôt, et où Owen Protz attend déjà son tour chez le bassin des espoirs en tant que futur nouveau shérif, la question n’est donc plus seulement sportive, elle devient presque existentielle : à quoi sert Arber Xhekaj s’il ne fait plus peur?
Quand Guhle reviendra, Xhekaj sera le 8e défenseur de cette organisation.
Et c’est là que le malaise prend une dimension presque personnelle, parce que ce refus d’entrer de jeter les gants ressemble moins à de la prudence qu’à une forme de résistance passive-agressive face à sob coach.
Pour de vrai, on parle d'un doigt d’honneur silencieux à un entraîneur qui l’a publiquement exposé, sorti de l’alignement, critiqué pour ses “erreurs niaiseuses”, puis réinséré par obligation à cause d’une blessure.
Comme si Xhekaj disait sans le dire : tu m’as dénaturé, tu m’as enlevé ce que j’étais, alors ne me demande pas maintenant de redevenir ce gars-là quand ça t’arrange.
Le problème, c’est que la LNH ne fonctionne pas comme ça. Tu peux être blessé dans ton ego, tu peux être en désaccord avec ton coach, mais tu ne peux pas te retirer de ton rôle sans en payer le prix.
Et hier, ce prix-là, Arber Xhekaj l’a payé devant tout le monde : devant les partisans, devant les recruteurs, devant son entraîneur, et surtout devant une foule qui, pour la première fois depuis longtemps, n’a pas vu un shérif incompris, mais un joueur qui joue avec crainte.
À Montréal, ça ne pardonne pas longtemps. Et quand un match plate devient le théâtre d’une fracture entre un joueur et son identité, c’est souvent le début de la fin.
La fin du shérif. La fin de la relation entre lui et Martin St-Louis. Et bientôt le début d'une nouvelle aventure.
Ça sent la transaction à plein nez.
