Martin St-Louis n’a pas seulement gagné un match contre Edmonton, il a gagné quelque chose de beaucoup plus important dans un marché comme Montréal : la guerre du sens ou plutôt... la guerre du narratif.
Pendant des semaines, le débat autour d’Arber Xhekaj s’est enflammé, souvent caricatural, souvent émotionnel, parfois franchement déconnecté du jeu lui-même.
Et puis, hier soir, sans jamais prononcer son nom, sans jamais pointer du doigt un joueur en particulier, St-Louis a méthodiquement détruit l’argumentaire de ses critiques, phrase par phrase, idée par idée, jusqu’à ce que le message devienne limpide pour tout le monde : ce qui est puni, ce n’est pas un style, ce n’est pas une personnalité, ce n’est pas un rôle, c’est un comportement de jeu qui nuit à l’équipe.
« Quand tu n’as pas ta game, trouve une manière de ne pas faire mal à l’équipe. Il ne faut pas être égoïste. Il faut penser à l’équipe tout le temps et en prendre soin. »
Dans la salle de presse, il n’y avait aucune confusion : tout le monde a compris que Martin St-Louis parlait d’Arber Xhekaj. Même sans le nommer. Même s’il n’était pas en uniforme. Même après une victoire convaincante.
Quand l’entraîneur insiste sur ces jeux faits « dans les zones de danger », sur ces rondelles mal gérées à la ligne bleue, sur ces décisions prises à une main alors que le match est sous contrôle, le message est ciblé.
Et le malaise devient encore plus lourd quand ce discours survient alors que Xhekaj n’a même pas joué : on comprend que le problème dépasse un match précis et que le conflit est devenu personnel.
Quand un entraîneur ressent le besoin d'envoyer ton défenseur sous l'autobus, victoire en poche, sans filtre et sans détour, c’est que le conflit est réel, profond, et qu’il a clairement franchi le stade d’une simple décision d’alignement.
Quand Martin St-Louis parle de cette performance « du début à la fin », quand il insiste sur le fait que l’équipe était « toujours là pour corriger les erreurs », qu’elle n’a pas paniqué, qu’elle a répondu collectivement aux situations adverses, il ne parle pas seulement du tableau indicateur. Il parle d’engagement, de buy-in, de responsabilité partagée.
« Our buy-in, notre engagment », dit-il, et ce choix de mots n’est jamais innocent chez lui. Pour St-Louis, l’engagement n’est pas abstrait : c’est la capacité de jouer la bonne game même quand tu n’as pas ta "fastball", même quand tu n’es pas à ton meilleur, même quand le match ne te donne pas ce que tu veux.
Quand il insiste sur le fait que « tu ne peux pas être égoïste », qu’il faut « prendre soin de l’équipe en tout temps », il accuse non seulement le shétif d'être centré sur son petit nombril, mais décrit exactement ce qui, à ses yeux, distingue un joueur qui reste dans l’alignement d’un joueur qui s’en sort.
Parce que St-Louis va plus loin. Il parle des fameuses « danger zones », de ces zones de non-négociation où tu ne peux pas jouer la rondelle mollement, à une main, sans lecture, sans conscience du score, sans conscience du contexte.
« C’est 3-0, tu as la rondelle, joue la game de la bonne façon », martèle-t-il presque mot pour mot. Et ce n’est plus une opinion. C’est un standard. Un standard que certains ont compris, et que d’autres, manifestement, n’ont toujours pas intégré.
C’est là que le vent médiatique tourne. Lentement, mais sûrement. Même dans les tribunes les plus critiques, le discours change.
Gilbert Delorme, pourtant loin d’être un partisan automatique de St-Louis, a été particulièrement dur envers les décisions individuelles en zone défensive, rappelant que ce niveau-là de hockey ne pardonne pas l’improvisation, encore moins l’entêtement.
Le message n’est plus « pourquoi Xhekaj est puni », mais bien « comment peux-tu rester dans l’alignement si tu continues de jouer contre ce que le coach exige ? ».
Delorme utilise les mêmes mots que le coach du CH... avec une colère moins bien dissimulée:
« Câline, joue la game de la bonne façon. Ça fait combien de fois qu'on en parle? C'est 3-0. Tu y vas d'une main mollement, la rondelle reste dans la zone. Je le savais, moi, samedi, je le savais, c'est sûr, sûr, sûr, c'est lui qui sort du line-up. Mais en même temps, les gars, qu'est-ce que tu veux faire? On lui a donné des chances, puis on dirait qu'il ne comprend pas, il s'est sorti du line-up. »
@bpmsportsradio «Il s’est retiré de l’alignement!» 😬
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Ouch. Martin St-Louis rêve éveillé en ce moment. Tout le monde au Québec (sauf Maxim Lapierre) comprend enfin qu'Arber Xhekaj n'est pas un défenseur de la LNH.
Et pendant que cette tempête gronde autour du shérif, le Canadien, lui, gagne. Il étouffe Connor McDavid à cinq contre cinq. Il traverse un cinq contre trois sans broncher. Il joue avec structure, avec patience, avec maturité.
Mike Matheson, que St-Louis souligne explicitement pour son travail contre les joueurs de vitesse élite, devient l’exemple parfait de ce qu’il attend : un défenseur capable de lire, d’anticiper, de fermer l’espace avant qu’il ne s’ouvre. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est terriblement efficace.
À la fin de la conférence de presse, quand St-Louis parle de développement non linéaire, de creux inévitables, de progression collective, il lâche peut-être la phrase la plus lourde de sens de toute la soirée :
« Quand tu as 20 gars qui prennent soin de l’équipe, les creux sont moins profonds et tu remontes plus vite. » Voilà. Tout est là. Et la question devient brutale pour Xhekaj et ses proches : que se passe-t-il quand un joueur ne prend pas soin de l’équipe ?
Martin St-Louis a longtemps refusé l’idée d’un conflit. Il l’a niée publiquement. Mais le monde n’est pas naïf. Hier soir, St-Louis a humilié Xhekaj devant tout le monde: il a expliqué exactement pourquoi certains joueurs sortent de l’alignement : parce qu’ils se sont sortis eux-mêmes du line-up. Et à partir de ce moment-là, le débat est terminé.
La guerre médiatique est finie. Le narratif appartient désormais au coach. Et dans une ville comme Montréal, quand l’entraîneur gagne sur la glace et gagne dans le discours, c'est bel et bien terminé pour le joueur fautif.
Arber Xhekaj est dans l'eau chaude jusqu'au cou.
