C’est une histoire cruelle. Une de celles où même quand tu fais des efforts, que tu travailles plus fort, que tu montres des signes de progrès, tu restes à l’ombre d’un fantôme qui ne te lâche pas.
Pour Justin Barron, ce fantôme s’appelle Alexandre Carrier, et il a laissé à Nashville bien plus qu’un casier vide.
Il a laissé un vestiaire en deuil. Une équipe orpheline. Une ville qui, aujourd’hui encore, peine à comprendre pourquoi Barry Trotz a cédé ce pilier du top-4 à Montréal.
Et au centre de ce malaise collectif, un jeune homme de 23 ans, encore en quête d’identité dans la LNH, qui porte maintenant, sans jamais l’avoir demandé, le fardeau d’une transaction à sens unique.
Dans un geste purement logistique, Justin Barron a emménagé dans l’ancienne maison d’Alexandre Carrier à Nashville. Une maison qu’il partage avec Nick Blankenburg et Adam Wilsby. Un toit, des murs, des souvenirs… qui ne lui appartiennent pas.
C’est une véritable histoire d'horreur. Chaque matin, quand il se réveille, il est littéralement dans l’ombre de celui qu’il doit faire oublier.
C’est comme si on lui avait dit : « Tu vas remplacer Carrier… et dormir dans son lit, tant qu’à faire. » À ce niveau-là, ce n’est plus un transfert de responsabilités, c’est une possession hantée.
C’est là que l’histoire bascule presque dans la détresse psychologique. Imaginez vivre dans l’ancienne maison du gars qui t'a tassé.
Oui, la maison de celui qu’il doit remplacer, de celui que tous ses nouveaux coéquipiers pleurent encore. Une sorte de quotidien hanté, où chaque mur semble lui rappeler qu’il n’est pas l’homme que tout le monde regrette.
Et le malaise est évident, même dans ses propres mots. Quand on lui a demandé comment il avait atterri là, Barron a esquissé un petit rire nerveux avant d’avouer :
« J’ai pas vraiment parlé à Alexandre, c’est plus Nick qui a arrangé ça… La maison est bien. Mais là, je dois le payer ! »
On sent qu’il n’est pas à l’aise. Le gars vit dans l’ombre d’un coéquipier adulé, dans ses meubles, dans ses souvenirs, et en plus… il ne l’a même pas encore payé. C’est presque cruel.
Et le fantôme de Carrier, lui, est bien vivant. À Montréal, il transforme la défensive du Canadien. Depuis son arrivée, le CH possède la 5e meilleure fiche de toute la LNH.
Son calme, sa fiabilité, son intelligence de jeu — tout ce que Barron n’a jamais réussi à offrir au Centre Bell — font de lui un favori instantané. Le genre de joueur qui ne fait pas de bruit, mais qui change tout.
Les coéquipiers de Nashville… le regrettent encore.
Juuse Saros, gardien vedette des Predators, a été cinglant quand on lui a parlé de Carrier. Pas besoin de lire entre les lignes :
« C’était un coéquipier exceptionnel, un gars droit, fiable, respecté de tous. Il ne reculait jamais devant personne. J’aurais vraiment aimé qu’il soit encore ici. »
« C’était une perte énorme. Je savais que je pouvais toujours compter sur lui devant moi, il se donnait à 100 % chaque soir. »
« Dans le vestiaire, il était irremplaçable. C’est probablement un des meilleurs coéquipiers que j’ai eu dans ma carrière. »
« Je suis content qu’il connaisse du succès à Montréal, mais honnêtement, j’aurais préféré qu’il soit encore ici. »
« Il est respectueux, généreux, attentionné. Tu ne peux pas ne pas l’aimer. C’est pratiquement un être parfait. »
Ça, c’est le genre de phrase que tu peux difficilement entendre quand c’est toi qui as été échangé pour lui.
Ryan O’Reilly, vétéran respecté de la ligue, a aussi salué le travail de Carrier. Il a rappelé à quel point il formait un duo « solide et efficace » avec Jeremy Lauzon, et comment il neutralisait les meilleurs attaquants adverses soir après soir.
« Il n’a pas un gros gabarit, mais il joue avec l’intensité d’un défenseur de 6 pieds 6 pouces. »
« C’est un joueur intelligent, un bon gars. Je suis sincèrement heureux de le voir réussir. »
Même Todd Richards, entraîneur des défenseurs, y est allé d’un hommage personnel, affirmant qu’il continue de suivre Carrier de loin et qu’il sera « toujours dans son coin ».
« Des joueurs passent et d’autres arrivent, mais certaines connexions restent. Carrier, c’est un de ceux que je continue à suivre de loin. »
« Je suis un vrai partisan de lui. Il n’a jamais eu rien de facile, mais il a toujours su gagner le respect. »
« Ce n’est pas le gars le plus connu, ni celui qu’on choisit en premier, mais il livre la marchandise à chaque soir. »
« On peut tous se reconnaître en lui. C’est peut-être pour ça que tout le monde l’apprécie autant. »
À ce niveau-là, ce n’est pas juste un joueur qu’ils ont perdu : c’est un frère de vestiaire. Et ça, Barron le sait. Il le sent. Il le vit.
Pendant ce temps, Justin Barron tente de survivre.
Il ne faut pas croire que le jeune défenseur ne fait aucun effort. Au contraire. Son temps de jeu a explosé depuis quelques semaines.
Il joue en moyenne 18 à 21 minutes par match. Il a franchi la barre des 20 minutes à cinq reprises à ses huit dernières rencontres. Il a même connu un petit regain offensif à son arrivée.
Mais depuis, c’est de nouveau la descente.
Un maigre point à ses 14 derniers matchs,
Un différentiel de -11 depuis l’échange.
Des erreurs qui s’accumulent.
Un positionnement qui s'effondre comme à Montréal.
Une confiance qui s’effrite à chaque présence.
On aurait pu croire à une renaissance, à une vraie prise en main. Mais le naturel semble revenir au galop. Comme à Montréal, dès qu’il semble sortir la tête de l’eau, il replonge. C’est viscéral. Et cette inconstance chronique est en train de briser ce qu’il lui reste d’élan.
Les coéquipiers sont gentils, polis, mesurés dans leurs mots. On ne veut pas démolir Barron. On dit qu’il apprend, qu’il a du potentiel.
Reste que Filip Forsberg n'a pas caché sa frustration envers la transaction.
« L’échange nous a pris de court. Carrier faisait partie de notre top-4, il jouait beaucoup. »
Il a même osé un « peut-être qu’un jour on verra la transaction autrement ». Peut-être, oui. Peut-être que dans trois ou quatre ans, Barron trouvera enfin sa constance.
Mais la réalité du présent, c’est que cette transaction fait encore mal aux Predators. Et qu’elle fait encore plus mal à Barron.
Car imaginez : vous arrivez dans une nouvelle équipe, dans un nouveau vestiaire, et chaque joueur avec qui vous parlez vous dit, avec les yeux pleins de nostalgie, à quel point celui que vous remplacez était un homme exceptionnel.
Et vous ? Vous êtes le gars qui a été obtenu « à la place ». Le gars qui n’a rien demandé, mais qui incarne malgré lui la perte d’un joueur adoré.
Pendant que Barron cherche son identité dans un environnement qui ne lui pardonne plus rien, Montréal se frotte les mains. Alexandre Carrier, avec son contrat de 3,75 M$, joue 21 minutes par soir contre les meilleurs joueurs adverses. Il ne fait pas de vagues, mais il est solide, régulier, mature. Tout ce que Barron n’a jamais réussi à devenir.
Et pendant que les partisans du Tricolore vantent l’excellence de Kent Hughes, le jeune Barron, lui, continue de jouer dans l’ombre. Celle d’un homme qu’il n’a jamais été.
Il faut être honnête. Justin Barron est encore jeune. Il a des qualités indéniables : bon patineur, bon tir, gabarit intéressant. Il joue plus. Il prend du gallon. Et peut-être qu’il finira par s’imposer. Peut-être.
Mais dans une ligue où chaque erreur peut t’envoyer à Milwaukee dans la ligue américaine ou t’exclure d’un alignement pour de bon, la marge de manœuvre est mince. Et le fait qu’il soit entouré de coéquipiers qui vénèrent son prédécesseur rend la tâche presque insupportable.
Oui, Justin Barron vit dans l’ancienne maison d’Alexandre Carrier. C’est une anecdote… mais c’est aussi un symbole.
Chaque pièce, chaque coin, chaque recoin est un rappel de ce qui était. De ce qu’il doit incarner. De ce qu’il n’est pas encore.
Et tant que cette comparaison sera présente, il jouera contre plus que ses adversaires sur la glace. Il jouera contre un fantôme. Contre un mythe.
La transaction Barron–Carrier était censée offrir un nouveau départ à deux joueurs. Mais elle n’a offert qu’un seul élan, du côté de Montréal.
Et du côté de Nashville, elle a laissé un vide, un malaise, et un jeune défenseur qui porte un poids trop lourd pour ses épaules encore fragiles.
Le cauchemar de Justin Barron n’est pas terminé. Il s’est seulement déplacé. D’un vestiaire qui doutait de lui… à un autre qui regrette celui qu’il remplace.
Et pour l’instant, ce n’est pas une renaissance. C’est une survie.