Le Centre Bell a frémi. D’abord d’impatience, puis d’indignation, et enfin d’un étrange mélange de sarcasme et de tendresse. Quand Samuel Montembeault a raté ses premiers arrêts contre les Flyers de Philadelphie, une frange du public montréalais s’est mise à le huer.
Quand il s’est repris, les mêmes gradins l’ont applaudi ... mais difficile de savoir si c’était sincère ou moqueur.
Ce moment-là, mardi soir, a cristallisé une tension sourde, bien plus large qu’un simple match de saison régulière.
Car la réaction du public a divisé la sphère médiatique de façon brutale, au point où certains journalistes ont carrément accusé les partisans d’être « inaptes socialement ».
C’est Anthony Martineau, de TVA Sports, qui a mis le feu aux poudres avec une chronique enflammée livrée à la radio.
Il ne s’est pas contenté de défendre Montembeault, il a directement mis en cause l’intelligence émotionnelle de certains spectateurs :
« Depuis quand débourser une somme d’argent, ça donne le droit à quelqu’un d’être inapte socialement ? Ces gars-là ont des émotions. Hier, Samuel Montembeault, ça a pris 25 minutes avant qu’il vienne nous parler dans le vestiaire. Vous pensez que c’est pourquoi ? Parce que la défaite, il l’a prise sur lui-même. »
Martineau ne s’est pas arrêté là. Il a poursuivi en reprochant au public d’avoir manqué de compassion à l’égard d’un athlète déjà fragile :
« Les gens n’aiment pas le rendement de Samuel Montembeault. Clair. On sait que le gars, sa confiance est affectée. Alors les gens décident de l’applaudir en dérision dans son propre aréna, en espérant quoi ? Le remettre sur pied ? Se faire plaisir pour deux secondes ? »
L’émotion est palpable, la colère aussi. Et dans le feu de son plaidoyer, le journaliste admet lui-même qu’il ne cherche pas à faire la morale, tout en en faisant clairement :
« Faites ce que vous voulez, mais au moins, ayez la décence de comprendre la réalité du gars. »
Cette sortie a eu l’effet d’une grenade médiatique.
Elle a soulevé des réactions tranchées.
Car au-delà du cas Montembeault, elle repose une vieille question : qu’est-ce qu’un partisan a le droit de faire lorsqu’il paie pour assister à un match ?
A-t-il le droit d’exprimer sa frustration envers un joueur en mauvaise posture ? Ou doit-il, en toute circonstance, afficher un soutien indéfectible, même dans la tempête ? Pour plusieurs, ce débat dépasse le hockey.
Le journaliste Jean-Nicolas Blanchet, du Journal de Montréal, a réagi dans une chronique lucide et nuancée, sans nommer directement Martineau mais en le ciblant à travers chaque paragraphe.
Son ton était moins émotif, mais son message tout aussi clair : vouloir faire la morale aux partisans est une pente glissante.
« Dans les années 30 et 40, les partisans mécontents garrochaient de vieux légumes sur la glace pour afficher leur mécontentement. On n’est pas là. », dit-il d’entrée de jeu, rappelant que la passion des partisans n’est pas un phénomène nouveau ni nécessairement malsain.
Blanchet ne minimise pas la peine que peut ressentir un joueur comme Montembeault.
Au contraire, il admet que « c’était triste de voir Samuel Montembeault se faire huer (ou applaudir sarcastiquement, ça revient au même) mardi soir à Montréal. »
Il vante son travail, sa gentillesse, sa persévérance. Il confesse même que ce traitement lui a « fait de la peine », lui aussi. Mais il ajoute aussitôt une couche de réalisme que certains ont trouvé salutaire :
« Samuel Montembeault n’est pas bon depuis le début de l’année. Dans toutes les statistiques avancées ou pas, il est dans le pire de la ligue. »
Et surtout, il oppose un contre-argument fort à ceux qui voudraient faire taire les partisans :
« Quand tu te fais une soirée à 1000 $ à un match du Canadien, tu as toujours bien le droit de huer l’équipe locale. Ça peut être injustifié, épais ou mérité. On s’en fout. C’est un spectacle. On ne commencera pas à faire la morale aux spectateurs ou à leur imposer du cheerleading. »
Ce contraste entre les deux ... l’un viscéral, l’autre plus froid ... résume à merveille la fracture actuelle entre deux visions du sport à Montréal.
D’un côté, l’approche émotionnelle, empathique, incarnée par Martineau, pour qui l’être humain doit toujours passer avant le spectacle.
De l’autre, l’approche populaire, plus rugueuse, portée par Blanchet, qui affirme qu’un athlète de haut niveau, surtout dans un marché comme Montréal, doit être capable de tout encaisser ... y compris la grogne du public.
Et Blanchet va encore plus loin :
« Même Derek Jeter a été hué par ses partisans après un mauvais début de saison en 2004. »
Cette comparaison n’est pas anodine.
Elle sert à rappeler que l’élite sportive, peu importe la ville ou le sport, est soumise à une forme de pression que les journalistes ne peuvent pas toujours atténuer par leurs éditoriaux.
Que l’on parle de Montréal, de New York ou de Philadelphie, les attentes sont démesurées, les réactions disproportionnées, mais elles font partie du contrat.
Et vouloir les lisser à coups de sermons revient à trahir ce qui fait la particularité de ces marchés.
Blanchet ajoute d’ailleurs une touche personnelle en évoquant son propre rôle de parent :
« Je peux chicaner mon fils de quatre ans et le coller d’amour dans les mêmes deux minutes. C’est parce que je l’aime. Comme les partisans aiment leur Canadien. »
Cette analogie, qu’on pourrait juger douteuse dans un autre contexte, fonctionne ici parce qu’elle illustre la complexité du lien entre le public montréalais et ses idoles : exigeant, impitoyable, mais sincèrement passionné.
Martineau, de son côté, refuse ce relativisme. Pour lui, ce n’est pas une question de culture du sport, mais de décence humaine :
« Quand je vois un gars de Bécancour qui se fait huer chez lui, dans l’uniforme de l’équipe de son enfance, mais qui réussit à tourner le vent de côté comme il le fait, moi, je lui lève mon chapeau. »
C’est là tout le paradoxe. Martineau félicite Montembeault d’avoir surmonté l’épreuve, mais refuse aux partisans le droit de lui avoir imposé cette épreuve.
Blanchet, lui, concède que c’était cruel, mais estime que ce genre de moment forge le caractère ... ou révèle les limites d’un athlète.
Entre les deux, il y a une zone grise, inconfortable, où se situe le vrai débat : peut-on aimer un joueur et quand même le huer ?
Peut-on être un bon partisan sans être un cheerleader ?
Et surtout, les journalistes doivent-ils constamment dicter aux foules comment elles devraient se comporter ?
En bout de ligne, Montembeault a tenu le coup. Il a répondu avec calme et courage. Et comme l’écrit Blanchet avec une sincérité touchante :
« Le Montembeault qu’on a connu reviendra très rapidement. »
Peut-être. Peut-être pas.
Mais une chose est certaine : l’amour du public montréalais est aussi imprévisible que ses huées.
Et les journalistes, aussi bien intentionnés soient-ils, devraient peut-être cesser de vouloir réécrire ce contrat tacite entre une foule passionnée et son club adoré.
Misère...
