Il y a des défaites symboliques qui annoncent des effondrements à venir.
Ce n’est plus une rumeur, ni une tendance à surveiller : selon les plus récentes données internes de Numeris, Mario Dumont est officiellement passé devant Patrick Lagacé dans la grande région de Montréal.
Pour la première fois depuis deux décennies, le 98,5 FM n’est plus l’alternative évidente du matin. C’est QUB Radio, longtemps perçue comme une expérimentation numérique, qui occupe désormais la troisième marche du podium montréalais, derrière ICI Première et Qub Radio. Un basculement historique.
Et il ne faut pas oublier l'autre défaite. Celle que vient d’essuyer Cogeco Média devant le CRTC en fait partie. Après un an d’attente, la plainte conjointe de Cogeco et de Bell contre Québecor a été sèchement rejetée.
QUB Radio pourra continuer de diffuser sa programmation sur les ondes du 99,5 FM, propriété de Leclerc Communication.
Pour Québecor, c’est une victoire politique et médiatique. Pour Cogeco, c’est une humiliation publique doublée d’un aveu de faiblesse : l’empire s’effondre, sa domination sur le marché montréalais vacille, et ses pertes financières deviennent sans fin.
Ce revers réglementaire est d’autant plus dévastateur qu’il arrive à un moment où le groupe est déjà fragilisé par une hémorragie interne.
Selon nos informations exclusives, Cogeco Média prévoit une perte nette de 5 millions $ pour l’année 2025. Cinq millions de dollars, dans un marché radio déjà en déclin, c’est un gouffre.
Et quand on se rappelle que Cogeco débourse chaque année une fortune pour conserver les droits exclusifs de diffusion radio des matchs du Canadien de Montréal, on comprend à quel point l’entreprise s’est piégée elle-même : elle s’est engagée à long terme dans un contrat prestigieux, mais ruineux, qui saigne lentement sa rentabilité. Sans oublier les juteux salaires accordés à Dany Dubé, Martin McGuire, Mario Langlois et compagnie.
Disons qu'au moment où l'on se parle, le duo McGuire-Dubé doit avoir chaud en voyant les pertes de leur station. Et avouons-le, ce n'est pas de leur faute.
L’échec de Patrick Lagacé à la barre de Lagacé le matin symbolise parfaitement cette descente. Ce qui devait être la renaissance des matinales après Paul Arcand est devenu une tragédie interne.
Les chiffres d’écoute dégringolent. Les sondages internes de Numeris montrent une réalité cruel : Patrick Masbourian, à ICI Première, domine désormais la case du matin avec une avance jugée “insurmontable” par plusieurs dirigeants du milieu.
Même Mario Dumont, sur QUB Radio, gruge peu à peu les parts du 98,5 FM, pendant que Benoît Dutrizac, lui, s’impose dans la case 10 h-midi face à Marie-Ève Tremblay.
À l’interne, le climat est horrible. Le congédiement discret du producteur et chef-recherchiste Frédéric Muckle, remplacé par Alexandra Marcoux, ancienne productrice de Paul Arcand, n’a rien réglé.
C’était censé être la bouée de sauvetage. Mais le navire continue de couler. L’audience continue de s’effriter, le public décroche, et le prestige du 98,5 FM s’effondre à vue d’œil.
Les dirigeants de Cogeco espéraient reproduire la recette Arcand : une matinale sérieuse, à mi-chemin entre le journalisme d’opinion et la radio-parole.
Mais les temps ont changé. Le ton paternaliste et moralisateur de Lagacé ne captive plus. Le public de 2025 veut de la personnalité, du rythme, de la vérité.
Mario Dumont et Benoît Dutrizac incarnent ce renouveau : un ton libre, une proximité avec les auditeurs, une approche qui tranche avec la froideur compassée du 98,5 FM.
Pendant que Cogeco se déchire à l’interne, Québecor avance ses pions méthodiquement.
Et Cogeco ? Elle se débat, incapable d’empêcher son rival d’occuper son terrain.
Pour Québecor, c’est la victoire stratégique qu’elle attendait depuis des années : un pied dans la radio FM montréalaise, malgré les restrictions réglementaires.
Pour Cogeco, c’est un désastre. Non seulement elle perd du terrain médiatique, mais elle voit le régulateur fédéral lui tourner le dos.
La situation financière de Cogeco Média est critique. Non seulement les projections internes évoquent des pertes annuelles de cinq millions de dollars dès 2025, et la direction sait pertinemment que l’année 2026 sera pire.
Le contrat de diffusion du Canadien de Montréal, renouvelé en 2023 dans l’euphorie, est désormais perçu comme un boulet.
Trop cher, trop rigide, et surtout trop déconnecté de la rentabilité réelle du marché publicitaire.
Dans les faits, le CH n’attire plus les mêmes revenus radiophoniques qu’autrefois. Les jeunes auditeurs consomment les matchs via les applications, Prime Vidéo, les flux YouTube, ou directement sur RDS et TVA Sports.
L’époque où les partisans écoutaient religieusement le match à la radio est révolue. Cogeco paie donc une fortune pour un produit dont la valeur commerciale décline.
Ajoutez à cela la perte progressive de parts de marché sur les 25–54 ans, l’exode des annonceurs vers le numérique, et la baisse globale des revenus publicitaires, et vous obtenez une équation intenable.
Dans un tel contexte, le 5 millions $ de déficit projeté pourrait n’être que le début d’une spirale descendante.
Québecor vise déjà le prochain chapitre
Pendant que Cogeco panique, Québecor jubile. Sur les réseaux sociaux, QUB Radio a célébré avec un ton provocateur :
« Vous vous demandez pourquoi la compétition tentait de nous faire taire ? Vous avez une partie de la réponse ici. »
Pierre Karl Péladeau n’a jamais caché son obsession : battre Cogeco sur son propre terrain. Et il a désormais une arme : un réseau radio national capable de concurrencer les stations traditionnelles, avec une structure de coûts bien plus légère.
QUB Radio est diffusée sur FM sans posséder la station ; Québecor paie zéro redevance de licence ; et l’audience grimpe.
Si la tendance se poursuit, il ne serait pas surprenant que Québecor tente de s’emparer des droits radio du Canadien de Montréal lorsque l’actuelle entente de Cogeco expirera.
Ce serait le coup de grâce. TVA Sports, qui se bat en ce moment pour avoir quelques matchs du CH en français dans la nouvelle entente de la LNH avec Sportsnet, pourrait combiner ses efforts avec QUB Radio pour offrir à la LNH et au CH une offre multiplateforme radio-télé-web.
Ce scénario, inimaginable il y a encore deux ans, devient soudainement plausible... un jour...
Cogeco se retrouve donc isolée. Son empire radio, autrefois intouchanle, chancelle de toutes parts : Lagacé plonge, les finances s’effondrent, la concurrence s’installe sur la FM sans payer de licence, et le CRTC lui tourne le dos.
La présidente de Cogeco Média, Caroline Jamet, parle d’un “dangereux précédent” et d’une “menace pour la diversité des voix”.
En réalité, c’est surtout une menace pour la domination de son propre groupe.
Cette “diversité des voix”, Québecor l’a comprise avant tout le monde : elle ne passe plus par la multiplication des stations, mais par la puissance de la marque.
QUB Radio, en seulement un an, a imposé son ton, son rythme, ses figures. Les Dumont, Dutrizac et Martineau sont devenus des repères dans le paysage médiatique québécois. Pendant ce temps, le 98,5 FM s’accroche désespérément à son prestige d’hier.
Dans les prochains mois, l’enjeu sera clair : Cogeco doit choisir entre restructurer son modèle, ce qui signifie couper, réduire, renégocier, ou continuer à s’enfoncer en prétendant que tout va bien.
Mais les chiffres ne mentent pas. Les pertes s’accumulent. Les sondages internes confirment la débâcle. Et le CRTC vient de fermer la porte à sa dernière arme réglementaire.
Dans les couloirs du 98,5, certains parlent déjà d’un “Titanic corporatif”. Les têtes tombent, les cadres s’accusent, les animateurs se protègent.
Le réseau du Canadien de Montréal, jadis symbole de stabilité et de prestige, est devenu un fardeau financier. Si rien ne change, Cogeco pourrait bien devoir choisir entre garder les droits du CH ou sauver le reste de son réseau.
Et dans ce duel d’ego et de millions, Québecor n’attend qu’une chose : la chute finale.
