Patrick Roy était au fond du trou.
Mais il y a des soirées qui changent le ton d’un récit. Hier encore, Kent Hughes et Jeff Gorton avaient l’air de deux cambrioleurs géniaux qui venaient de braquer une banque à mains nues en sortant avec Noah Dobson dans leurs poches.
Le Centre Bell jubilait à l’idée d’avoir mis la main sur un quart-arrière de luxe, un défenseur de 25 ans déjà auréolé d’une saison de 70 points. Mais ce soir, l’illusion s’est fracassée contre la glace : Dobson, fantomatique, a incarné tout ce que Patrick Roy reprochait depuis toujours à son jeu. Soft. Trop soft. Incapable de s’imposer malgré son gabarit.
Et le timing est cruel. Le Canadien de Montréal, en pleine préparation, a subi une véritable humiliation contre une équipe B (certains diraient même C) des Maple Leafs de Toronto.
Une dégelée au Centre Bell, devant un public abasourdi, où l’un des nouveaux joyaux supposés de la reconstruction s’est retrouvé au centre d’une tempête.
Un géant qui joue comme un petit.
Les fans ne s’y trompent pas. Dès les premières séquences, les murmures se sont transformés en soupirs. Dobson, 6 pieds 4, 200 livres, donnait l’impression de patiner avec une pancarte invisible : je ne toucherai personne.
Pas de mise en échec, pas de chien, pas de méchanceté. Pire encore : une absence d’urgence dans les replis défensifs, comme s’il jouait en juillet dans une ligue de garage.
Ce n’est pas une première impression. C’est une crainte qui hante déjà les gradins. Les partisans qui défendaient la transaction il y a quelques semaines commencent à se demander si Patrick Roy n’avait pas raison. Car Roy l’avait martelé : Dobson est trop tendre pour son gabarit. Trop raffiné, trop élégant pour inspirer la crainte.
Ce soir, cette critique s’est matérialisée de la pire façon. Chaque séquence rappelait les chiffres froids de la saison passée : un différentiel de -16, des revirements coûteux, et une incapacité chronique à dicter le rythme dans sa zone.
Comme si la soirée n’était pas déjà assez désastreuse, Noah Dobson a quitté le match prématurément. Ironie du sort : à force de jouer « soft », de se retenir, de reculer au lieu d’engager le contact pour éviter une blessure, c’est précisément ce scénario qu’il a fini par provoquer.
Le géant de 6 pieds 4 a semblé craindre le jeu physique toute la rencontre… et il termine malgré tout au vestiaire avant les autres. Une sortie qui illustre parfaitement son compte de malheur, et qui fera encore plus jaser : comment un joueur censé stabiliser la défensive du Canadien peut-il inspirer confiance si même en présaison, il a peur de se casser un onglet?
Revirement de situation suprême : ce cauchemar valide en partie le discours de Roy. L’entraîneur des Islanders avait répété à Mathieu Darche qu’il « ne voulait plus de Dobson ». Qu’il le jugeait distrait, davantage concentré sur ses réseaux sociaux et sa vie glamour avec Alexa Serowik que sur la rigueur défensive.
Roy, fidèle à sa vision old school, exigeait des guerriers. Il voulait des Romanov, des gars qui frappent, qui bloquent des tirs, qui vivent pour le hockey 24/7. Dobson, lui, incarnait une autre génération : celle qui assume son individualité, qui se met en scène, qui croit qu’un défenseur peut être aussi un artiste offensif.
Sauf que ce soir, au Centre Bell, Dobson n’a ressemblé ni à un artiste, ni à un guerrier. Il a semblé absent. Et les doutes resurgissent : et si Roy avait vu juste?
Sur les réseaux sociaux, les partisans des Islanders s’en donnent à cœur joie. Les forums sont remplis de commentaires ironiques : « Merci Montréal d’avoir pris ce problème », « Roy avait raison, trop soft pour New York », « Bon courage avec lui ».
C’est le cauchemar parfait pour le Canadien : non seulement l’équipe encaisse une volée face à une formation décimée de Toronto, mais en plus, le joueur censé incarner un « vol qualifié » se fait écorcher vif par ses anciens admirateurs.
Le rôle de Mathieu Darche, directeur général des Islanders, prend ici toute son importance. Car c’est lui qui, coincé entre les exigences de Roy et la réalité du marché, a décidé de céder Dobson à Montréal.
Si le CH finit par transformer ce pari en désastre, Darche sortira grandi. Il passera pour un gestionnaire lucide, capable de flairer la fragilité d’un joueur malgré ses statistiques impressionnantes. Et Roy, malgré ses excès, paraîtra visionnaire.
Mais si Dobson se relève, si ce soir n’était qu’une anicroche de présaison, alors l’histoire basculera encore une fois. Car ce qu’on oublie trop vite, c’est qu’il n’a que 25 ans, déjà près de 400 matchs dans le corps, et huit saisons pour faire mentir ses détracteurs.
La plus grande inquiétude ne vient pas des partisans. Elle vient du vestiaire. Car déjà, certains se demandent comment intégrer Dobson dans une hiérarchie défensive dominée par Lane Hutson.
St-Louis se retrouve avec un dilemme. Le plan initial était clair : Dobson devait devenir le général de la deuxième vague en avantage numérique, un rôle prestigieux dans un CH qui aligne désormais Ivan Demidov, Kirby Dach et même Patrik Laine. Mais que vaut un quart-arrière si sa confiance s’effrite dès septembre?
Difficile aussi d’ignorer l’ombre d’Alexa Serowik. La nouvelle épouse de Dobson, influenceuse et journaliste, attire inévitablement l’attention. Ses publications, ses apparitions publiques, ses collaborations médiatiques font partie du quotidien du couple.
À Montréal, ce cirque médiatique pourrait devenir une distraction encore plus massive qu’à New York. Déjà, certains se demandent : Dobson est-il prêt à supporter la pression d’un marché où chaque story Instagram peut devenir un sujet de discussion à TVA Sports ou à RDS?
Patrick Roy, lui, en est persuadé : cette vie publique nuit à son jeu. Ce soir, son absence d’engagement physique offre une munition parfaite à ses détracteurs.
La métaphore du « vol qualifié » circule depuis des semaines. On comparait Kent Hughes et Jeff Gorton à des bandits ayant dérobé une fortune à Long Island sans arme ni masque. Mais à la lumière de ce match, la formule prend un tout autre sens.
Et si, au fond, les véritables voleurs étaient les Islanders? Et si Darche et Roy avaient réussi à refiler à Montréal un joueur surévalué?
C’est la peur qui gronde déjà. Que Montréal n’ait pas acheté une pépite, mais une illusion.
Bien sûr, il serait facile de relativiser. Un match préparatoire ne fait pas une saison. Dobson n’est pas le premier joueur à connaître une soirée atroce en septembre. Et le CH n’est pas la première équipe à encaisser une correction sans conséquence.
Mais le contexte change tout. L’enthousiasme autour de Dobson était tel qu’on attendait une démonstration, un coup d’éclat, une confirmation que Hughes avait frappé un coup de circuit. Ce qu’on a eu, c’est un fantôme en patins.
Et dans un marché comme Montréal, ce genre de soirée laisse des traces. On pardonne rarement. On se souvient trop longtemps.
Martin St-Louis a du pain sur la planche. Il devra calmer les critiques, protéger son joueur, et trouver rapidement un rôle qui le mette en valeur. Dobson, lui, devra prouver dès les prochains matchs qu’il peut être plus qu’un défenseur soft, plus qu’un souvenir encombrant de Patrick Roy.
La reconstruction du CH ne repose pas uniquement sur lui, mais sa présence change tout. Avec Hutson, Guhle et Reinbacher (s'il ne devient pas un flop), Montréal rêve d’une brigade défensive jeune et explosive. Mais si l’un des piliers s’effondre, c’est toute la structure qui vacille.
En une soirée, Noah Dobson est passé du statut de bijou volé à celui de poids inquiétant. Le contraste est saisissant, presque cruel. Patrick Roy doit sourire en coin, quelque part à Long Island, en se disant : « Je vous l’avais dit. »
Mais le hockey reste un marathon. Dobson a huit saisons pour réécrire le scénario. Il peut faire taire les Islander trolls, regagner la confiance du Centre Bell, et prouver qu’il n’est pas qu’un défenseur Instagram trop poli.
En attendant, une chose est certaine : Montréal vient de recevoir son premier électrochoc de l’automne. Et si Noah Dobson ne retrouve pas rapidement ses repères, le « vol qualifié » de l’été pourrait bien devenir le plus grand mirage de l’ère Hughes-Gorton.