Parfois, une légende devient un poids. Parfois, le héros d’hier devient l’obstacle d’aujourd’hui. Et c’est exactement ce qui se passe avec Steve Yzerman à Detroit.
L’homme adulé, celui qui devait ramener les Red Wings à la gloire, est aujourd’hui à genoux. La reconstruction qu’il a juré de piloter avec rigueur, patience et intelligence est un échec. Pire : elle est un modèle de ce qu’il ne faut pas faire.
Les Red Wings viennent, pour une neuvième saison consécutive, de rater les séries éliminatoires. Et cette fois, le ridicule s’ajoute à la déception : pour la deuxième année de suite, c’est au Centre Bell, face au Canadien de Martin St-Louis, qu’ils ont appris leur élimination.
Un symbole cruel. Montréal, en pleine ascension, s’amuse à renvoyer Détroit dans la cave, pendant que St-Louis savoure sa revanche contre celui qui l’a humilié il y a dix ans : Steve Yzerman.
Car oui, tout le monde dans le milieu du hockey le sait : Martin St-Louis n’a jamais pardonné à Yzerman de l’avoir écarté de l’équipe olympique en 2014.
Et même s’il a finalement été ajouté à la suite de la blessure de Steven Stamkos, il était trop tard. Le mal était fait. L’humiliation était publique. Et l’orgueilleux St-Louis avait demandé une transaction pour fuir Tampa. Aujourd’hui, il a sa revanche. Il est en séries. Yzerman, lui, regarde sa création s’écrouler.
Steve Yzerman fait n’importe quoi, et ce n’est plus un secret. Son plan de reconstruction est un champ de ruines. Il a repêché sept fois dans le top 10 entre 2017 et 2024, six fois depuis son arrivée comme DG, et pourtant l’équipe régresse.
Michael Rasmussen, 9e choix en 2017, sera à jamais un plombier de bas-étage.
Filip Zadina, 6e en 2018, est un flop qui a déjà quitté la LNH. Il a même quitté l'Amérique du Nord et ne reviendra plus jamais.
Joe Veleno, repêché en fin de premier tour en 2018, a été échangé à Chicago contre… Petr Mrazek, un gardien de 33 ans en fin de carrière.
On pourrait pardonner de mauvaises cuvées si les choix suivants étaient brillants. Mais même dans ses meilleurs coups – Moritz Seider, Lucas Raymond, Simon Edvinsson – rien ne permet de croire que ces jeunes peuvent à eux seuls renverser une organisation aussi profonde dans le trou.
Yzerman a aussi tenté d’accélérer artificiellement sa reconstruction, en surpayant des agents libres médiocres. Andrew Copp, J.T. Compher, Ben Chiarot… des contrats gonflés, des joueurs surévalués, et zéro impact dans les moments cruciaux.
Chaque saison, les Red Wings s’effondrent dès février. C’était 1-8-0 en 2024, 2-9-1 en 2023, 2-8-1 en 2022. Cette année? Une autre séquence de six défaites en ligne qui a anéanti leurs chances. On appelle ça un pattern.
Et pendant ce temps… Jeff Gorton attend.
Dans ce chaos, son nom revient de plus en plus souvent à Détroit. L’homme qui a redonné vie aux Rangers de New York. L’homme qui a rebâti en accéléré avec des repêchages intelligents, des décisions audacieuses, et une vision moderne du hockey.
Gorton saurait quoi faire à Détroit. Il aurait su éviter ces erreurs. Il ne repêcherait pas un Michael Rasmussen au 9e rang, ni ne signerait Andrew Copp pour 28 millions.
Mais Geoff Molson refuse. Il le garde sous clé à Montréal. Il a déjà bloqué Columbus, il a dit non à Buffalo. Et même si Détroit n’a pas encore demandé la permission, les rumeurs se multiplient.
Tout le monde sait que Jeff Gorton rêve de redevenir DG. S’il est encore vice-président du Canadien, c’est uniquement parce qu’il ne parle pas français. Mais un jour, il ne restera pas éternellement dans l’ombre.
Et avouons-le : les Red Wings seraient fous de ne pas l’approcher. Il serait parfait pour redresser ce navire en perdition. Il serait le chirurgien capable de reconstruire sur des bases solides. Il ferait mieux avec moins. Il le prouve déjà à Montréal.
Pendant que Détroit s’enlise, Montréal sourit. Ivan Demidov – un pur vol au 5e rang – enflamme la LNH. Lane Hutson, avec ses 64 points en 78 matchs, est en train d’inscrire une des meilleures saisons pour un défenseur recrue de l’histoire.
Et tout cela, c’est le fruit du travail combiné de Jeff Gorton et Kent Hughes, sans oublier Marc Bergevin, car Cole Caufield marque 37 buts. Nick Suzuki frôle les 90 points. Kaiden Guhle est solide. Samuel Montembeault est une révélation.
Les Red Wings, eux, ont cinq victoires de moins que l’an passé, deux défaites de plus, et un avenir flou. Brandsegg-Nygard, leur choix de 2024, fait ses classes en Suède avec 11 petits points.
Danielson, Kasper, Cossa… pas de vedette évidente. Et quand le Canadien les bat devant leur nez, pour les éliminer une fois de plus, c’est l’humiliation finale.
Steve Yzerman n’est plus ce qu’il était. Ce n’est pas parce qu’il a bâti Tampa Bay – avec un peu d’aide du destin – qu’il est infaillible.
Ce n’est pas parce qu’il est une légende à Détroit qu’il doit être protégé éternellement. Son aura s’effondre. Son plan ne fonctionne pas. Et son temps est révolu.
Detroit doit faire un choix. Continuer à s’enfoncer avec un mythe… ou enfin confier les clés à quelqu’un qui sait où il s’en va.
Jeff Gorton est prêt. Et Steve Yzerman, lui, a échoué.
Et c’est là que la réalité devient insupportable pour le vice-président du CH.
Jeff Gorton ne le dira jamais. Il est trop respectueux, trop professionnel pour laisser filtrer ses véritables pensées. Officiellement, il veut gagner la Coupe Stanley à Montréal, et il affirme que le CH est son projet ultime.
Mais tout le monde dans son entourage le sait. Il s’ennuie. Il s’ennuie d’être le vrai patron. Il s’ennuie de prendre toutes les décisions. Il s’ennuie de cette adrénaline qu’offre le poste de directeur général, où chaque appel, chaque signature, chaque mouvement est le sien.
Oui, c’est lui le supérieur hiérarchique de Kent Hughes. Mais ce n’est pas lui qui parle aux agents, ce n’est pas lui qui monte sur le podium au repêchage, ce n’est pas lui qui négocie les échanges en direct avec les autres clubs. Et même s’il continue de construire dans l’ombre, ça ne suffit plus.
Jeff Gorton veut revenir à l’avant-scène. Il veut retrouver ce fauteuil où il était respecté, écouté, redouté. Il veut à nouveau être le DG d’une organisation de la LNH.
Et pendant que Steve Yzerman s’enlise dans ses erreurs à Detroit, pendant que les Red Wings manquent les séries encore et encore malgré des choix de repêchage de luxe et des promesses non-tenues, le nom de Jeff Gorton commence à circuler.
Et il circulera de plus en plus fort.
Parce que même si Molson refuse pour l’instant de le laisser partir, même si les Canadiens veulent le garder comme cerveau de leur transition ou mentor de Kent Hughes, le hockey sait. Il sait que l’homme est prêt. Il sait que le moment approche.
Et pendant que Steve Yzerman regarde son empire s’effondrer à coups de contrats surpayés, de coachs dépassés et de repêchages mal gérés, Jeff Gorton, lui, est toujours debout. Toujours stratégique. Toujours pertinent. Toujours à la hauteur.
Et bientôt, quelqu’un lui redonnera les clés d’un club.
Et cette fois, il ne ratera pas sa chance.